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Après 4 journées de dépouillement scrutées par le monde entier, les médias américains ont pu annoncer, à 11h30, heure de la côte est, que le peuple américain avait mis fin à la présidence de Donald Trump. Celui-ci devient donc le sixième « one-term president » depuis 1900 après William. H. Taft, Herbert Hoover, Gerald Ford, Jimmy Carter et George Bush Sr, à moins bien sûr qu’il ne soit élu dans 4 ans. Bien qu’il soit encore très complexe d’imaginer une transition entre les équipes des deux Présidents, il est certain que Joe Biden va devoir se mettre au travail pour s’attaquer aux nombreux problèmes qu’affronte son pays notamment depuis l’apparition de la pandémie mais aussi depuis de longues années.
Réunir les Etats-Unis.
« We may be opponents, but we’re not enemies. We’re Americans. »
Joseph. R. Biden Jr
L’élection de 2020 a vu une foule record d’électeurs et d’électrices se prononcer quant au nom de leur futur président, mais aussi de leur représentant, quelque fois sénateur ou même gouverneur. Alors que beaucoup voyaient, dans cette participation record, une indication d’une très probable ‘vague démocrate’, le constat est tout opposé. Si Donald Trump a perdu la présidence, il a tout de même récolté sur ce nom, pas moins de 71 millions de voix, à l’heure de la rédaction de ce billet. Son score se place comme deuxième meilleur résultat d’un candidat à une élection présidentielle américaine… après celui de son adversaire et vainqueur, Joe Biden. Ainsi, le Président Trump a fait de nombreux gains, notamment en Floride où il atteint des sommets auprès des populations hispaniques, particulièrement cubaines, qui ont souvent voté contre « Biden le socialiste ».1
Cette Amérique coupée en deux se ressent même au sein du Congrès. Le Sénat ne sera pas départagé avant janvier puisque les deux sièges de la Géorgie vont devoir être remis aux voix et que pour l’instant aucun parti n’a la majorité de sièges. A la Chambre, les démocrates gardent la majorité mais la Speaker Nancy Pelosi devra composer avec un nombre moins important de représentants puisque les républicains ont réussi l’exploit inattendu de gagner quelques sièges. Le Président Biden risque donc d’être dans une situation de cohabitation qui le forcera à voir à la baisse ses désirs de réforme et à négocier avec le parti adverse. Pour ce nouveau Président qui veut unir les Américains et trouver des solutions au-delà de la logique partisane, il va falloir beaucoup de leadership et de mansuétude pour convaincre des membres du parti de Lincoln de voter ses mesures sur la santé, l’environnement et la fiscalité des plus riches. Barack Obama, en son temps, avait eu d’immenses difficultés à travailler avec un Congrès, même démocrate, qui refusait certaines dispositions de sa réforme de l’assurance santé ou bien quelques années plus tard de la régulation de la vente des armes à feu.
Réunir son parti.
"The arc of the moral universe is long, but it bends toward justice.''
Martin Luther King
Les primaires de cette année l’ont bien montré, on voit s’affronter, au sein du Parti du nouveau Président, des visions très différentes sur la conception de la société américaine et des réponses à apporter aux multiples problèmes qu’ils rencontrent. Si l’équipe de Biden, l'un des plus modérés et centristes des candidats à la primaire, a implanté dans son programme après sa nomination quelques propositions des candidats les plus progressistes, la situation au sein du Congrès et les concessions que va devoir faire la nouvelle administration risquent de faire voler en éclat la coalition qui a porté le ticket Biden-Harris à la Maison-Blanche.
Après les scandales suite aux manipulations de la direction du Parti démocrate en 2016 contre la candidature de Bernie Sanders révélées peu avant l’élection de Trump, beaucoup de militants progressistes ont perdu confiance en la possibilité de gauchiser le parti. Ainsi, cet été, alors que les démocrates se réunissaient pour leur convention par visio-conférence et à Milwaukee pour lancer la dernière ligne droite de la campagne, le « Mouvement pour un parti du Peuple » organisait sa propre convention.2 Durant cet évènement, différentes personnalités de la gauche américaine prononcèrent des discours appelant à créer un nouveau mouvement à la gauche du Parti démocrate. Parmi elles, on retrouve Nina Turner, codirigeante de la campagne de Sanders en 2020, Marianne Williamson, candidate durant cette même primaire et qui a ensuite soutenu le sénateur du Vermont ou bien le philosophe Cornel West.
D'autre part, lors des primaires, beaucoup d'attaques lancées par les candidats les plus modérés envers Bernie Sanders et Elisabeth Warren, concernaient leur non-éligibilité du fait de leur agenda trop radical. Le caractère très serré de l’élection à laquelle nous venons d’assister, a fini de convaincre certains des électeurs proches des idées de ce mouvement qu’un programme plus mesuré et libéral économiquement pour les démocrates ne les rendaient pas plus éligibles dans l’Amérique de 2020.
Si pour l’instant, des membres de l’aile la plus progressiste du Parti démocrate comme la très médiatisée représentante du 14e district de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, refusent de franchir le Rubicon et tentent plutôt de changer les choses de l’intérieur du parti, on peut facilement penser à ce que des décisions trop modérées pourraient conduire. Le choix de Kamala Harris, centriste et connu pour des prises de position controversés en tant procureure, comme colistière n'a pas vraiment fini de convaincre les progressistes de la volonté du candidat démocrate de prendre en compte leurs revendications. De plus, différentes sources estiment que l'administration Biden pourrait rassembler des républicains modérés à des postes clefs comme celui de Secretary of State. Peu de noms de progressistes ont été cité pour faire partie de l'exécutif fédéral pour l'instant.
Il est notable que les différentes franges du Parti de Biden aient des électeurs et des soutiens bien différents. Ainsi, l’électorat de Sanders, plus progressiste, est éminemment plus jeune que celui des candidats plus modérés au primaire. De ce fait, ceux qui croient au temps long comme le rappelle la citation de Martin Luther King en préambule de cette partie, pourront accepter de simples petits pas et non pas la révolution promise par les campagnes les plus à gauche des primaires démocrates de ces dernières années.
Réunir les américains.
« No justice, no peace »
Au-delà de la polarisation extrêmement importante des électorats, le Président élu devra répondre vite à des sujets brûlants qui touchent les Américain-e-s au plus profond d’eux-mêmes. La première est évidemment la réponse à la pandémie du coronavirus et de son impact sur l’économie américaine. Si les chiffres du chômage sont en train de redescendre après l’explosion du printemps, 230 000 Américain-e-s sont mort-e-s de la COVID-19 et le nombre de contaminations quotidien a atteint un record hier avec plus de 132 000 cas recensés dans le pays. Une rechute brutale de l’économie est donc fortement possible si les gouvernements locaux prennent des mesures raisonnables comme au début de la première vague au printemps. Si le gouvernement fédéral risque de critiquer les décisions de confinement des États, la nouvelle administration qui sera en place dès janvier pourrait prendre de nouvelles mesures, que Donald Trump s’était toujours refusées, qui pourrait fragiliser encore plus l’économie. Néanmoins, il est certain que cette même nouvelle administration pourrait prendre des mesures plus volontaristes de protection des emplois et des secteurs fragilisés.
Ensuite, la campagne présidentielle a été considérablement marquée par les manifestations suite aux violences policières contre des personnes noires. Ainsi, on a vu, en pleine épidémie, des milliers de personnes défiler dans les rues des principales villes de chaque État pour témoigner de leur colère. La Maison-Blanche est, depuis, entourée de manifestants et de slogan anti-Trump. Ce dernier a refusé d’ailleurs, durant le premier débat, de dénoncer les suprématistes blancs et a demandé aux « proud boys » de se tenir prêt. L’ambiance est explosive et terriblement dangereuse. Dans les jours précédant l’élection, les ventes d’armes ont grimpé notamment dans la communauté noire, prêtes à se défendre en cas d’attaques armées des « proud boys ». Le nouveau Président et vice-présidente vont devoir trouver les mots et les politiques pour réussir à répondre à cette colère et cette opposition de plus en plus frontale entre les communautés du pays.
Enfin, alors que la présidence de Donald Trump a vu l’entrée à la Maison-Blanche et dans les plus hautes sphères de l’État américain de la désinformation, Joe Biden et ses équipes vont devoir trouver un moyen d’expliquer leurs politiques et leurs décisions à des populations opposées, totalement aliénées par différentes théories du complot. En outre, le mouvement QAnon, propageant l’idée d’une guerre entre Trump et des élites « sataniques » a réussi à faire élire une de ses membres sous l’étiquette républicaine à la Chambre. C’est aussi avec cette opposition que Biden et ses alliés devront tenter de discuter. La tâche du futur Parti démocrate sera donc également à étudier en fonction de l'évolution du Parti républicain : une modération, une Trumpisation ou pire.
La tâche du nouveau Président américain est donc extrêmement ardue et nécessitera une force de caractère et des heures de tractations à chaque réforme. Néanmoins la grande probabilité que Joe Biden ne se représentera pas en 2024 le rend davantage libre puisqu’il n’aura pas à rendre des comptes à ses électeurs. Dans un pays qui prône la liberté au-dessus de toute autre valeur, on peut donc s’attendre à des années très intéressantes outre-Atlantique.
1 Fréderic Autran, "En Floride, Trump parie sur «la peur du communisme» des Hispaniques", dans Libération. Novembre 2020
2 Site du Mouvement for a People's Party https://peoplesparty.org/