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Billet de blog 12 juillet 2015

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Tsipras a rendez-vous avec l'histoire

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La situation est désormais stabilisée. Une partie de l'Europe, Allemagne en tête, somme la Grèce de boire une potion supplémentaire d'austérité, et assumera le "Grexit" au besoin. Une autre partie cherche une voie de sortie, en soutenant la Grèce. Les représentants de la France seraient apparemment dans ce cas, mais il est difficile d'en être assuré, vu la politique menée tant en interne qu'au niveau européen. Le "refus" de laisser sortir la Grèce est sans doute en grande partie de façade, expression bien intentionnée d'un socialisme paternaliste gestionnaire, sans imagination ni soutien politique réel. Entre les deux, un ensemble de pays qui craint pour les risques qu'une sortie provoquerait tant pour la zone Euro que pour la suite de la construction européenne.

Est-il raisonnable de "demander plus" à la Grèce, en termes "d'austérité" ? Assurément non, il suffit de revenir sur les différents plans successifs et leur contenu pour s'en convaincre. Pour deux raisons. La première est que les Grecs ont assez payé, pour des problèmes qu'ils n'ont pas causé. La falsification des comptes, pour laquelle Goldman & Sachs a été grassement rémunérée ? Les gouvernements qui s'y sont livrés ne l'avaient évidemment pas inscrit dans leur programme électoral. La dette creusée par les dépenses irraisonnées ? Les banquiers en sont au moins autant responsables, c'est un peu comme si on demandait aux victimes des subprimes de renflouer les banques. Le programme de défense déraisonnable ? Les ventes d'armes de l'Allemagne et de la France ont été heureux d'en bénéficier largement. Rappelons en outre que le spectre de 2008 ne s'est pas éloigné : les banques continuent de spéculer à tour de bras, les niveaux sont ceux de 2007 et certains analystes financiers s'alarment, pointant notamment le fait que 80% de la spéculation est dans les mains d'une quinzaine de mégabanques mondiales qui sont toutes "trop grosses pour faire faillite". C'est donc plutôt de ce côté-là qu'il faudrait s'inquiéter, par ordre de priorité, en se rappelant que ces banques ont déjà coûté bien plus cher que la Grèce, sans aucune réforme en contre-partie. Bref quand on regarde de près, le Grec moyen a certes vécu un peu au-dessus de ses moyens, mais sa responsabilité est limitée, dans ce qui a provoqué cette situation. Il importe donc que les responsables soient tenus pour responsables. Rappelons que 80% de l'argent versé est retombé immédiatement dans les poches des créanciers privés.

Le second point est le contenu de la potion. On parle beaucoup de montants mais assez peu de la qualité des mesures préconisées. Là aussi il suffit de lire les différents plans successifs pour voir que nous ne sommes pas du tout dans une logique d'émancipation. L'approche est arithmétique, on prend les entrées et les sorties et on voit sur quoi jouer. La "gouvernance" et la dimension politique sont largement absentes de la réflexion. Les incohérences sont criantes. La Troïka veut augmenter les taxes tout en réduisant le nombre de percepteurs. Elle n'a guère de propositions à faire en matière de corruption ou démocratisation de l'Etat, qui seraient pourtant des points clé. Elle ne se hâte pas vraiment de faire revenir les 280 milliards d'avoirs grecs réfugiés en Suisse. Le raisonnement est donc assez largement hors sol, la seule chose à laquelle elle parvient est de toucher le porte-monnaie des plus faibles, qui tentent alors de s'en sortir en faisant de plus en plus passer l'économie dans l'informel.

Alexis Tsipras a pour l'instant été assez exceptionnel. Alors que tout le monde donnait ce gouvernement perdant, trop sûr de se retrouver face à une bande de gauchistes issus d'un vote purement protestataire, non seulement M. Tsipras est toujours là, mais il a élargi son autorité, grâce au référendum, puis à la quasi-union sacrée, qu'il est parvenu à réaliser, dans la classe politique. Il a même poussé certains observateurs conservateurs tels J.-M. Colombani à s'exaspérer, et à demander que les armateurs et l'Eglise soient taxés. Il est clair désormais que c'est au peuple grec que la Troïka exprime son mépris, et pas simplement à un gouvernement "extrémiste", qui aurait volé les élections en surfant sur le ras-le-bol et la propension du peuple à alimenter les candidatures "déraisonnables", ce peuple qui, point cardinal de la pensée réactionnaire, aurait toujours besoin d'un maître.

Reste que le plus dur est à venir. La Troïka ne cède pas, comme le souligne P. Khalfa. M. Tsipras a donc rendez-vous avec l'histoire : soit il capitule, et aura fait tout ça pour rien, soit il s'appuie sur le vote du peuple, et prend des décisions unilatérales, telles que l'émission d'obligations voire d'une monnaire ("l'euro drachme") permettant de préserver l'activité économique. Capituler serait une perte énorme à tous points de vue. M. Tsipras est le premier à contester les politiques économiques qui ont émergé dans les années 80 et que l'on désigne souvent par le concept de "néolibéralisme". Il porte une espérance qui dépasse de très loin le cas de son propre pays. Salué au Parlement Européen et dans un grand nombre de lieux en Europe, il incarne un autre avenir possible. C'est d'ailleurs l'une des raisons majeures pour laquelle les conservateurs entendent l'empêcher d'aller plus loin, et de mettre en actes ce qui n'est pour l'instant en grande partie que promesse. M. Tsipras est aussi l'un des rares politiques à n'avoir pas (encore) trahi. Si cela arrivait, le cou porté serait important. Bref M. Tsipras a jusqu'ici, et sous réserve d'inventaire, été un grand homme d'Etat.

Il reste que si M. Tspiras veut s'en sortir, il ne pourra pas s'appuyer sur les contestations les plus brouillonnes du néolibéralisme. S'il est vrai que la doxa simpliste de la Troïka est en gros la suivante : le privé, c'est bien, le public, c'est mal, s'en tenir à inverser les termes de l'équation, comme le font une partie des contestataires, reviendrait à s'enfermer dans un déni majeur de réalité. Pas un parti ne fait plus de 10%, avec une telle rhétorique, pour des raisons bien compréhensibles. Expliquer tous les malheurs du monde par "les marchés" et "le privé" est très excessif, encore plus dans un pays comme la Grèce où le public n'est guère vertueux. En fait de "néolibéralisme" c'est plutôt l'apolitisme économiciste qui fait des ravages, raison pour laquelle la Troïka souhaitait un "gouvernement de technocrates", comme si cette expression n'était pas un oxymore. M. Tsipras réhabilite la politique, souhaitons qu'il ne s'arrête pas en si bon chemin. Pour cela il aura besoin de toutes les bonnes volontés, y compris privées. De nombreux artisans commerçants etc. ont voté pour lui. Restaurer la confiance dans la politique sera un enjeu de premier ordre, là où le peuple a pris l'habitude de régler les choses à sa façon. C'est une situation qui est courante, dans les pays qui ont connu la dictature. Il faudra aussi bien récupérer les biens bradés à l'étranger que réformer l'Etat, et s'en prendre aux grandes fortunes. Souhaitons que ces objectifs soient clairement présents à l'esprit de M. Tsipras. Ce qui se joue à l'international en ce moment peut lui donner les moyens d'agir.

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