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Billet de blog 10 janv. 2015

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Moi, enseignante en banlieue...

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Moi, enseignante en banlieue, en lycée, au cœur des cités, depuis des années. Moi horrifiée mercredi à la nouvelle du journal décimé, Charlie.

Moi qui assiste en salle des professeurs à la peur de certains à cette idée de demander une minute de silence. Parce qu’ils savent que certains élèves ne seront pas d’accord, et quoi faire s’ils l’expriment et quoi faire s’ils n’acceptent pas. Et ils se sentent fragiles, pas sûrs de pouvoir utiliser les bons mots, de ne pas être dans l’excès, dans la colère. Dire cela, c'est dire où nous en sommes.

Car pour beaucoup d’entre nous qui enseignons en banlieue, la tension est là, tangible. Dans les voiles qui se multiplient. Dans les remarques faites sur les textes ou les thèmes que nous abordons, sur les tableaux que nous montrons -où la nudité paraît comme un blasphème.

Ma position, pour tenter d’être toujours dans une perspective de cohésion, se doit de poser un cadre de pensée, d’ouverture, de tolérance. Elle se doit de poser dans le même mouvement ce qui n’est pas tolérable. Elle se doit aussi de parvenir à pratiquer une forme de maïeutique pour faire prendre du recul par rapport à une position première souvent fermée et obscurantiste, de cet obscurantisme contemporain qui se nourrit de télévision, d’opinions toutes faites, et parfois de discours de propagande anti-français, porté par un sentiment d’exclusion sociale, politique et culturelle.

Les mots. Toujours reprendre les mots et revenir sur leur sens. Mettre en perspective les positionnements. Montrer les dangers de certains modes de pensée. Mais ce qui apparaît au travers de tout cela, c’est, qu’en même temps que nous avons le sentiment que ces jeunes souffrent d’une absence de repères de toutes sortes, ils souffrent aussi –et c’est d’une certaine manière la même chose- d’une incapacité à penser les problèmes qui se posent à eux en termes de lutte politique.

Et ce n’est pas un hasard. Pour finir, c’est à l’absence d’une prise en compte politique réelle de l’exclusion des jeunes en banlieue que nous, enseignants qui y travaillons, devons faire face. Les discours islamophobes plus ou moins voilés qu’ils doivent subir. La difficulté à trouver du travail à l’issue de leurs études. La police qui tourne et qui parfois joue la provocation. L’impossibilité de se loger ailleurs qu’en banlieue -pour un de mes anciens élèves devenu avocat alors même que je m’étais portée caution, refus partout de lui louer un studio parce qu’il était issu du Val Fourré…

Et, par-dessus tout cela, au risque de me répéter, aucun discours politique audible par eux, qui prendrait en compte leurs difficultés. Comment, dès lors, peuvent-ils développer une pensée politique de rébellion, de celle qui ferait changer leur réel ? Quels modèles ont-ils ? Quels défenseurs/penseurs à leur portée ?

Alors, aujourd’hui, ma peur est celle de ce qui va se passer demain. Moi, enseignante, je peux enseigner et éduquer tout en même temps ; ces deux éléments sont aujourd’hui incontournables dans mon métier tel que je le pratique. Je peux poser des cadres, je peux amener à réfléchir. Mais je sais aussi que si la réalité ne change pas, si le pouvoir politique ne joue pas son rôle en banlieue, si les partis politiques, les syndicats restent extérieurs aux cités, s’ils ne s’associent pas aux associations, aux acteurs de terrain, si on enlève à ces associations, à ces acteurs la possibilité d’exister et de faire leur travail, alors ma parole qui cherche toujours à être celle du lien, de l’ouverture, de l’espoir courra le risque de se vider de sens –c’est parfois d'ailleurs déjà le cas.

Et de la béance d’une société inégalitaire qui crée les exclusions et encourage inconsciemment ou pas les communautarismes naissent des monstres.

La vigilance doit tenir compte de cette réalité au risque de n’être que surveillance avec tous les risques de fermeture de tous ordres que cela comporte.

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