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Billet de blog 9 avril 2018

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TUNISIE : Les frères démocrates

Les partis islamistes qui ont envahi la scène politique des pays du printemps arabe, peuvent-ils réellement participer au jeu démocratique et à la diffusion d'une culture démocratique ? En Tunisie, l'expérience de transition démocratique en cours, semble démontrer l'impossibilité d'une telle démarche.

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LES FRÈRES DÉMOCRATES


Le jeu démocratique suppose une alternance du pouvoir que dictent les résultats des urnes qui
évoluent d'une élection à une autre. Ainsi des partis perdent-ils le pouvoir suite à un vote-sanction et
d'autres le récoltent en conséquence. Cela suppose donc une fluctuation, d'un scrutin à un autre, du
nombre d'électeurs en faveur de tel ou tel parti. Tous les partis politiques subissent cette règle et sont
acculés à en tenir compte dans leur bilan.
Tous les partis ? Non ! Un seul échappe à cette sacro-sainte règle démocratique et se place en marge
de celle-ci. C'est le parti Ennahdha.
À l'instar de tous les groupes religieux et sous quelque dénomination que ce soit, les partis islamistes
puisent leur vigueur non du degré de satisfaction des électeurs, mais de la baraka divine, qu’ils
monopolisent et dont ils distribuent les indulgences.
Les adhérents à ce parti ne sont pas des membres mais des adeptes et les chefs ne sont pas des leaders
mais des Imams-prélats. On adhère à un mouvement islamiste comme on rentre dans un ordre
religieux. On ne le rejoint pas, on est marié au mouvement comme les prêtres le sont à l’Église. On y
entre par un processus initiatique et on n’en sort que défroqué et voué aux feux de l’enfer.
Face à la miraculeuse régularité d’Ennahdha, caracolent 216 partis aussi divisés et inutiles les uns que
les autres. Alors que ces formations gonflent et rétrécissent et parfois même se désagrègent au gré
des suffrages et des évènements politiques, alors que leurs députés, sans foi ni voix (sans jeux de mots)
voyagent d’un parti à l’autre, à la recherche du plus généreux acquéreur, les électeurs d’Ennahdha
étaient, sont et seront toujours les 18 % de brebis qui ont rejoint l’ordre. Qu’il neige, qu’il pleuve ou
qu’il vente, chaque élection drainera son lot des 18 %. Peu importe les performances ou les défaillances
du parti, les 900.000 électeurs répondront toujours présents, prouvant à chaque fois, leur discipline et
leur dévouement à la mission divine qui leur est confiée. Ses députés garderont leurs rangs aussi serrés
que les mailles d’un tapis de soie, sans ambitions ni égos.
Ce statut de « parti-confrérie » altère tout le processus de l’alternance du pouvoir et fausse
insidieusement les règles du jeu démocratique qui sont censées mettre tous les partis politiques sur la
même ligne de départ dans une compétition loyale. Tout se passe comme si Ennahdha partait à chaque
échéance électorale avec plusieurs têtes d’avance sur ses concurrents et bénéficiait d’un paquet de
900.000 bulletins garantis inoxydables, avant même l’ouverture des bureaux de vote.
Il est, dès lors, légitime de se poser la question : ces 900.000 voix sont-elles celles de citoyens-électeurs
qui agissent sans contraintes aucune et selon leurs intérêts réels ? Ennahdha participe-t-elle
réellement à la vie démocratique du pays ? favorise-t-elle la dissémination de la culture de la liberté
citoyenne et des libertés individuelles et de conscience ?
La réponse est assurément non, car aucun parti islamiste ne peut jouer le jeu démocratique et civil.
Assurément, Démocratie et Islam politique sont incompatibles. Il s’agit simplement ici de rendre à
César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu.
Entre les adeptes des vérités transcendantales et les tenants de la laïcité. Entre le sacré qui ne peut
souffrir d’opinions contradictoires et le profane partisan de la liberté de conscience et du libre arbitre.
Entre le souci du bien-être de l’individu libéré et celui de la communauté des croyants indivise, s’étend
le vaste no man’s land qui sépare religion et démocratie, le royaume des cieux de la république de
Platon
La séparation du politique de la prédication religieuse prônée par Ennahdha est une démarche
insuffisante voire manipulatrice, car dans cette optique, le religieux reste en réserve, embusqué, prêt
à réintégrer sa place première, celle d’instaurer la charia et une culture islamique rigoriste. Faire de la
politique, c’est se placer dans le spectre des idéologies politiques qui s’étend de l’ultra-gauche à l’infradroite
et qui offre un champ infini de débats d’idées et de rêves humains. Introduire le Bon Dieu dans
ce débat, c’est réduire le spectre idéologique à un dogme unique et incontestable. C’est tout
simplement interdire le débat
Aucun acteur politique possédant des référents religieux n’est capable de se défaire des buts ultimes
que lui impose son adhésion à l’islam politique. Le discours peut être modulé, le costume occidentalisé
et la barbe taillée, il restera intraitable sur l’essentiel. Ceci explique d’ailleurs le fait que l’Islam
politique est en perpétuelle discorde avec la laïcité et périodiquement, le débat identitaire est remis
sur la table. Il fait reculer la société et lui impose de revenir sur des avancées en terme de liberté et
d’égalité qu’elle pensait définitivement acquises. Le domaine de Dieu est infini et son exploration tient
de l’ésotérisme et non de la politique. On n’y accède pas dans le costume du politicien mais dans la
laine du Soufi et du Marabout.
Ne faut-il pas dès lors réviser la loi sur les partis et interdire les partis à références religieuses ?

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