Le MoDem est très attentif à la question des indicateurs de richesse. L’humanisme, le projet de société qu’il défend, nécessite une autre vision que celle du PIB. Si le PIB a constitué un progrès de la connaissance économique dans les années 30, il est aujourd’hui insuffisant car il ne rend pas compte de nombreuses réalités. Les élections régionales sont l’occasion d’une réaffirmation forte d’une vision de la richesse qui soit centrée sur sa valeur humaine, et non plus seulement sur sa production et sa concentration (vision capitaliste simple) et sur sa distribution (vision socialiste commune).
FAIR:Le PIB (et sa croissance) constituent-ils des indicateurs pertinents pour la définition des orientations de votre formation politique ?
MoDem: Le PIB est une invention des économistes faite à la suite de la crise de 1929, pour rendre compte de l’activité économique, et tenter d’en prévenir les crises et les effets pervers. Mais à ne mesurer la richesse d’un pays que par la somme des valeurs ajoutées, on ignore une grande partie de l’activité humaine, et on fait des contresens. Ainsi, par exemple, les ventes d’automobiles, l’accroissement des bouchons sont comptabilisés positivement dans le PIB (ils l’augmentent) alors qu’ils dégradent la qualité de la vie ; de même, si la dépense de santé augmente – due aux allergies par exemple - en raison d’une mauvaise organisation des transports, en raison de la pollution ou d’une mauvaise alimentation, cette dépense accroît le PIB positivement, alors qu’elle est l’indicateur d’une dégradation pour nos concitoyens. Il faut sortir de cette vision parfois absurde parce qu’elle est trop simple.
En Ile-de France, si la région se situe en France au premier rang lorsqu’on la mesure par le PIB, elle ne situe qu’au 15ème rang sur 22 en ce qui concerne la qualité de la vie, qui ne cesse de se dégrader.
Nous considérons donc que le PIB (et sa croissance) n’est qu’un indicateur parmi beaucoup d’autres. Ses limites actuelles incitent à la prudence dans son utilisation, tant il fait l’objet de sévères critiques:
- Il ignore les atteintes à l’environnement - le réchauffement de l’atmosphère n’y figurant pas - et à la santé ainsi que l’épuisement des ressources naturelles, auquel il n’attribue qu’une valeur égale à Zéro, c'est-à-dire neutre, dans les comptes
- Il ne prend pas en compte la qualité de la vie, ne retenant que le niveau de vie mesuré par la richesse matérielle ;
- Il ne donne pas d’indication sur la répartition de la richesse et donc sur les inégalités.
Il convient de le dépasser en élaborant d’autres indicateurs de la croissance plus pertinents. Lors de son dernier congrès programmatique de décembre 2009 à Arras, le MODEM a proposé dans son « projet humaniste » de « modifier les indicateurs de mesure de la richesse afin que les activités négatives (accidents, pollution, embouteillages…) ne soient plus seulement comptabilisées comme accroissant le produit intérieur brut et la consommation des ménages alors qu’ils dégradent le bien-être ». Nous proposons que d’autres valeurs comme le niveau de l’éducation, la santé, la disponibilité et la qualité des services publics fassent partie d’une mesure d’ensemble de la qualité de la vie.
Nous nous réjouissons que la commission Stiglitz (Commission pour la mesure de la performance économique et du progrès social, dont les conclusions ont été rendues en septembre 2009) préconise de mettre en place de nouveaux indicateurs prenant en compte des phénomènes que le PIB ne mesure pas. Par ailleurs, la Commission européenne a publié une feuille de route pour le développement de nouveaux indicateurs environnementaux et sociaux afin de mesure la prospérité et le bien-être réels des Etats, au-delà du PIB.
L’enjeu d’une croissance durable implique de prendre en compte les effets sur l’environnement. L’enjeu d’une croissance équitable implique de reconnaître que la moyenne de la croissance du revenu perd son sens quand on constate que la majorité des citoyens voit son revenu baisser tandis que les hauts revenus progressent très rapidement. La crise actuelle accélère la nécessité d’un nouveau modèle de croissance à la fois plus durable ou plus équitable. Les indicateurs de développement à promouvoir doivent être en phase avec les nouveaux enjeux :
- Prise en compte des transformations du capital dans toutes leurs dimensions (en particulier le capital humain, le capital naturel) et non seulement dans sa dimension financière ; il faut une prise en compte de son accroissement lorsqu’il produit de nouvelles richesses, et de sa dépréciation lorsqu’il contribue à la destruction d’une autre richesse. Ceci conduit à mesurer ainsi le Produit National Net (PNN) tenant compte, en plus de la valeur ajoutée économique, des dépréciations du capital quel qu’il soit ; dans ces conditions, il est clair par exemple que les dommages environnementaux réduisent le PNN.
- Prise en compte des inégalités : dans nos sociétés inégalitaires, il faut tenir compte de la médiane – qui mesure le point d’équilibre entre les plus riches et les moins riches - et de la dispersion des revenus, qui tend aujourd’hui à s’accroître. Ces deux indicateurs rendront mieux compte du partage des richesses que le PIB.
- Prise en compte de la production non marchande (travail des femmes à la maison, travail des retraités ….)
FAIR: Votre parti utilise-t-il d’autres indicateurs clés pour guider son analyse et ses propositions en matière économique, sociale, environnementale, démocratique ?
MoDem: Nous utilisons tous les autres indicateurs disponibles pour élaborer nos propositions en matière économique, sociale, environnementale et démocratique. Nous sommes particulièrement attentifs à tous les indicateurs de développement humain et d’environnement. Dans les valeurs de notre projet, « nous plaçons l’homme au centre de chaque question de société » et « l’homme est partie prenante de la nature, il ne peut vivre hors d’elle ni sans elle ».
Nous sommes particulièrement préoccupés par l’environnement car nous entendons prendre la parole « au nom d’une catégorie que l’on sacrifie : les plus jeunes des français : les enfants ».
Nous sommes préoccupés par l’inégalité d’accès à la connaissance, dont la première marque est l’illétrisme, constaté dès l’entrée au collège et perpétué ensuite dans l’échec scolaire. L’OCDE elle-même a montré que la croissance est une fonction directe du niveau d’éducation.
Nous entendons lutter d’une part, contre les inégalités croissantes de la société, ce qui nous amène à intégrer les indications de dispersion des revenus et des richesses, et d’autre part contre toutes les discriminations, ce qui nous conduit à nous intéresser à tous les indicateurs du « vivre ensemble » (parité, handicap…)
Notre approche fondamentale est ainsi que l’économie doit servir l’humanité, plutôt que de soutenir la position dominante actuelle dans le monde qui consiste à mettre l’humain au service de l’argent, qui détruit les solidarités longuement construites par les générations précédentes parce qu’elles sont un frein à son expansion.
FAIR: Cette question fait-elle l’objet d’un débat au sein de votre parti ? Au sein de votre région ?
MoDem: Cette question fait consensus; elle est au cœur même de la réflexion politique de notre mouvement.
Dans la Région Ile de France, la préparation du projet du MODEM conduit à s’intéresser à bon nombre d’indicateurs dans les domaines cités : accessibilité à l’emploi et aux services, proximité, etc. En outre, attentifs à la qualité de vie qui ne cesse de notre point de vue de se dégrader, nous avons utilisé avec profit l’Indicateur de Santé Sociale (ISS) qui nous parait être un indicateur pertinent de « qualité de vie », et qui nous a confirmé malheureusement l’indéniable dégradation que l’on ressent en Ile-de-France.
FAIR: En quoi de nouveaux indicateurs peuvent-ils avoir des répercussions utiles et concrètes sur les politiques mises en œuvre, au niveau national et au niveau régional ?
MoDem: Nous attachons beaucoup d’importance à ce que de nouveaux indicateurs de richesse, de qualité de vie, d’inégalités et d’environnement soient élaborés pour éclairer et aider à la décision.
L’Ile-de-France est particulièrement concernée puisqu’elle concentre sur son territoire presque 20% de la population française, environ 30% du P.I.B., plus de 40% du potentiel de recherche. Face à ces atouts, on constate cependant une dégradation des conditions de vie sans précédent (temps de transports, cherté du logement, inégalité d’accès au service public, etc.).
Pour la Région Ile-de-France, la réflexion sur les indicateurs de développement, de revenu fiscal, de transport, de qualité de vie, nous a conduits à soutenir dans notre projet le rééquilibrage du développement de l’Ile de France, trop de richesse et d’emplois se concentrant en trop peu de points de la Région au détriment de tous les autres. Nous proposons de rapprocher l’emploi de l’habitat, au sein de bassins de vie à taille humaine, plus petites que l’ensemble de la région. Nous sommes l’une des rares régions d’une si grande taille démographique en Europe. Il ne s’agit pas simplement d’un rééquilibrage entre l’ouest et l’est. Il s’agit de quitter comme seul principe d’aménagement la concentration des activités économiques en un petit nombre de lieux, ce qui conduit à augmenter sans cesse le temps de déplacement, à rendre inadéquat notre système de transports, et à créer des charges nouvelles trop fortes pour nos collectivités publiques, qui se transforment inéluctablement en augmentation de la fiscalité ou de l’emprunt.
Si on rapproche l’emploi de l’habitat, ce qui est possible pour un très grand nombre de PME de production ou de service, si l’on re-fabrique du local, on ne se trouvera plus dans l’impossibilité d’aménager avec 30 ans de retard temps une région pour y vivre ou y travailler, comme c’est le cas aujourd’hui ; on fabriquera collectivement à l’échelle infra-régionale des bassins de vie une qualité de vie qui donnera accès à un logement, un emploi, des services publics et privés, on re-fabriquera du temps libre pour la famille, les loisirs, les activités associatives et civiques. On situera l’économie dans une autre perspective qui est celle, plus naturelle, d’organiser la production et la distribution des biens et services avec efficacité, pour servir l’individu, la famille et la collectivité.
FAIR: Quels doivent être les processus d’élaboration de nouveaux indicateurs ?
MoDem: A la racine des processus se trouve l’expression politique : quelle représentation se faire de notre société demain ? De notre région demain ? C’est à cette articulation entre politique et économie que peut naître la réflexion sur les indicateurs dont nous avons besoin pour suivre l’évolution de notre région. Avant de lancer une batterie d’indicateurs nouveaux, nous demandons qu’à chaque niveau se déroule une large consultation de tous les acteurs institutionnels, politiques et associatifs, de façon à rendre cohérents la réflexion initiale, les moyens mis en œuvre, la diffusion des données et l’utilisation des ressources pour y parvenir.
Il convient d’articuler des processus d’élaboration de nouveaux indicateurs au niveau national et au niveau régional. Au niveau national, comme on l’a déjà indiqué, il est primordial que les organismes officiels élaborent de nouveaux indicateurs, qui pourront être ensuite déclinés de manière régionale et locale. Au niveau régional, tous les instituts d’études et de statistiques doivent également y contribuer. Nous demandons que les organismes officiels, comme l’INSEE et l’OCDE, ou indépendants comme l’Université, soient mandatés pour préparer les nouveaux indicateurs.
FAIR: Quels engagements prenez-vous, dans le cadre de la campagne des régionales, pour le développement de nouveaux indicateurs de richesse ?
MoDem: Nous considérons que le développement de nouveaux indicateurs de richesse, de qualité de vie, d’inégalités et d’environnement doit être une préoccupation importante des Régions. Le MODEM propose pour la Région Ile-de-France, d’élaborer avec un institut indépendant un indice que nous appelons « Qualivie ». Il sera évalué par un organisme indépendant. L’indice QUALIVIE sera rendu public annuellement pour rendre compte de l’ensemble des indicateurs choisis. Il sera un élément du bilan politique de la gestion de la Région.