Le Forum pour d'Autres Indicateurs de Richesse (FAIR) interroge, dans le cadre des élections régionales, les principales formations politiques, sur la façon dont elles abordent la mesure de progrès ou développement humain durable, et l'intérêt qu'elles portent à la mise au point et l'utilisation de nouveaux indicateurs de richesse en région. Jean-Pierre Merci, tête de liste pour Lutte Ouvrière en Ile-de-France, a répondu à notre questionnaire.
1) Le PIB (et sa croissance) constituent-ils des indicateurs pertinents pour la définition des orientations de votre formation politique ?
Non. Le PIB n’est pour nous qu’un indicateur largement truqué qui est très éloigné des réalités sociales. On sait que le PIB inclut aussi bien la mesure de la production industrielle que celle des services, et même la reconstruction après des destructions… On se souvient que le PIB de la région de la Nouvelle-Orléans après le cyclone Katrina avait explosé, eu égard aux énormes travaux entrepris pour reconstruire la ville. Ce seul exemple donne la mesure du décalage entre le « PIB » et la réalité concrète.
Il est évident que le PIB, comme d’ailleurs toutes les statistiques et notamment celles concernant les chiffres du chômage et de l’inflation, font l’objet de toutes sortes de manipulations statistiques pour tenter – sans succès – de cacher la réalité au plus grand nombre.
2) Votre parti utilise-t-il d'autres indicateurs clés pour guider son analyse et ses propositions en matière économique, sociale, environnementale, démocratique ?
Nous n’avons, à vrai dire, pas besoin d’indicateur pour constater la dégradation du niveau de vie des classes populaires. Il nous suffit de regarder notre propre bulletin de paye, et de constater les difficultés que nous-mêmes et nos camarades de travail endurent pour joindre les deux bouts. Lutte Ouvrière est une organisation de travailleurs, qui vit et milite au milieu du monde du travail. Qui organise chaque jour des activités militantes dans les quartiers les plus pauvres. C’est cela qui est, pour nous, le meilleur « indicateur » économique. Il nous suffit d’entendre, jour après jour, l’expression de la détresse et de la colère des milieux populaires pour savoir à quel point la pauvreté grandit dans ce pays.
Ceci dit, nous ne négligeons pas les indicateurs économiques, pas plus que quiconque. Apprendre, comme nous l’avons fait ce jour-même, que le PIB a reculé de 2,2% en 2009, est tout de même la marque évidente d’une société en crise.
3) Cette question fait-elle l'objet d'un débat au sein de votre parti ? Au sein de votre région ?
Non. Les militants de Lutte Ouvrière sont convaincus, de par leur vie quotidienne, que l’annonce d’un PIB en hausse ne signifie pas une hausse du niveau de vie pour les travailleurs. Témoin, le PIB en hausse quasiment constante depuis des décennies, alors que le pouvoir d’achat des travailleurs se dégrade année après année depuis les blocage des salaires de 1982.
4) En quoi de nouveaux indicateurs peuvent-ils avoir des répercussions utiles et concrètes sur les politiques mises en œuvre, au niveau national et au niveau régional ?
Pour nous, il semble évident que ce n’est pas la mise en place de nouveaux indicateurs qui changerait la politique d’un exécutif, mais sa volonté politique ! Le gouvernement, qui utilise des indicateurs faussés pour masquer la réalité du chômage, est dans la situation d’un médecin qui utiliserait un thermomètre truqué pour masquer une épidémie ! Le fait même d’agir ainsi est révélateur de leur mépris pour les conditions de vie de la population travailleuse.
Les hommes politiques qui nous gouvernent savent parfaitement quels drames vivent les travailleurs. Ils n’ont pas besoin pour cela d’indicateurs différents. Ils le savent, parce qu’ils en sont en partie responsables. Les autres responsables sont les patrons qui imposent licenciements et bas salaires. Changer les indicateurs les amènerait simplement à dévoiler au grand public les conséquences de leurs méfaits, et il est bien peu probable qu’ils le fassent ! Mais quand bien même ? Ce n’est pas cela qui les amènerait à changer d’orientation, c'est-à-dire à interdire les licenciements, imposer le partage du travail entre tous sans diminution de salaire, stopper toutes les suppressions d’emplois dans la Fonction publique, embaucher massivement dans la Santé, l’Éducation nationale, construire des millions de logement, etc.
Dans ce cas comme dans bien d’autres, changer de thermomètre ne guérit pas les maladies. Et la maladie qui frappe la société, c’est l’avidité des actionnaires des grandes entreprises.
5) Quelles doivent être les processus d'élaboration de nouveaux indicateurs ? et 6) Quels engagements prenez-vous, dans le cadre de la campagne des régionales, pour le développement de nouveaux indicateurs de richesse ?
Nous sommes pour le contrôle de la société par les travailleurs eux-mêmes. Si, comme nous l’exigeons, tous les comptes publics et privés étaient soumis au contrôle de la population, il n’y aurait aucune difficulté à mettre en place des indicateurs réels et fiables du niveau de vie des classes populaires… et de celui des couches aisées. Le seul engagement que nous puissions prendre en la matière serait, si nous en avions la possibilité, de nous appuyer sur de vastes luttes sociales pour imposer la transparence totale des comptes des entreprises et des collectivités, la suppression immédiate des secrets bancaire, industriel et commercial, et donc la mise en œuvre d’une politique qui s’appuierait sur les revendications directes de la population et non sur les indicateurs truqués d’organismes gouvernementaux plus ou moins inféodés au grand patronat.