Nous le savions déjà, grâce aux quotidiens, hebdos, TV et radios de notre pays démocratique généralement bien informé : le Mexique connaît actuellement une vague de violence sans précédent, due essentiellement à l'explosion du narco-trafic, à l'industrie des enlèvements, et à l'implication dans ces activités d'un nombre impressionnant de policiers et de militaires.
Par ailleurs, l'armée occupe littéralement les régions à population majoritairement indigène : Chiapas, Oaxaca, Guerrero, Veracruz... pour de tout autres raisons.
Le 13 août dernier, le journal El Universal comptabilisait, depuis le début de l'année, 2617 assassinats liés à la drogue. 22 le 11 août, dans le seul état du Chihuahua. Dans celui du Nuevo León, un entrepreneur est enlevé et rançonné chaque jour en moyenne, selon la même édition. Des officiers de police ont récemment participé au kidnapping et à l'assassinat du fils d'un industriel de la capitale. D'après le Département d'Etat des USA, 22 milliards de dollars de la drogue ont été rapatriés ces dernières années au Mexique(1).
Rien d'étonnant à cela : le gouvernement mexicain, depuis belle lurette, dirige un «état voyou». En 1968, voici 40 ans, il assassinait 300 étudiants sur la place des Trois Cultures. A quelques jours des J.O. de Mexico. M. Kouchner n'était certes pas encore ministre du droit d'ingérence humanitaire.
La Banque Mondiale, qui n'est pas une institution liée à ATTAC, et qui finance des projets de destruction massive sur tout le continent américain (le barrage de Chixoy au Guatemala n'en est que l'un des exemples), affirme que la corruption au Mexique représente une perte de 60 milliards de dollars(2). La corruption, ce sont les entreprises, nationales ou internationales...et l'administration, et les politiques à tous les niveaux.
L'agriculture mexicaine se porte bien, merci pour elle. Même si le pays, dont les habitants ont inventé le maïs voici 9000 ans, et développé des centaines de variétés de cette plante miraculeuse, doit aujourd'hui -depuis le traité de libre commerce avec les USA et le Canada- importer 35 % de sa consommation, pendant que les petits producteurs ferment boutique et plient bagage pour les USA ou le nord du pays... Un endroit, précisément, où 4 millions de personnes travaillent dans l'agriculture industrielle, dans la production de tomates et autres fruits, légumes et fleurs destinées aux grands marchés urbains. Ils triment par familles entières(3), parce que les enfants sont plus rentables (plus près du sol pour la cueillette rapide, bien moins payés), et mettent des mois à rembourser le généreux patron qui les a fait venir à ses frais. Ils doivent tout lui acheter, à des prix prohibitifs, sont logés dans des campements misérables, sous la surveillance de gardes-blancs armés jusqu'aux dents (ceux-là même qui protègent le narco-trafic, ça tombe bien), pour le cas où leur viendrait l'idée saugrenue de quitter le généreux patron avant d'avoir remboursé leurs dettes et fini le travail...
Les paysans d'Atenco, à 40 kilomètres de la capitale du pays, s'étaient opposés à l'expropriation de leurs terres collectives (des terres ejidales), décrétée pour la construction d'un aéroport. Après des mois de résistance acharnée, ils avaient gagné. En mai 2006, 3000 policiers débarquaient sur le village, tuant, pillant, violant une trentaine de femmes lors de leur transfert en prison, repartant avec leur butin, plus de 200 paysans(4). Leur porte-parole, Ignacio del Valle, a été condamné à 67 ans et demi de prison, puis à 45 ans supplémentaires (pour « enlèvement » de fonctionnaires de police, retenus par la population, puis relâchés), soit 112 ans! Deux autres ont écopé de 67 ans et demi. Dix autres, « seulement » 31 ans, 10 mois et 15 jours.
Le gouverneur de l'état de Mexico, Enrique Peña Nieto (PRI), le président de la république(5)(PAN) et le président municipal de Texcoco (PRD) se sont vengés de ces manants.
Les policiers violeurs, eux, sont libres et vont bien(6). Merci pour eux. M. Kouchner n'a pas à s'en faire.
Il ne nous reste qu'à pleurer sur les paysans d'Atenco. Ou à faire comme eux, comme les communautés indigènes au Chiapas et ailleurs : des jardins, des champs, du travail collectif, sur une terre partagée, des fêtes et un (ré)apprentissage de la solidarité et de la dignité.
21/08/2008 Jean-Pierre Petit-Gras (atencoaxaca@no-log.org)
1Cf La Jornada du 12 août 2008.
2Cf article d'Andrea Merlos, El Universal du 13 août 2008. Précisons que ce journal n'est pas un torchon de gauche...
3Ces familles sont souvent des indigènes, chassés de leurs terres par les « mégaprojets » touristiques, hydrauliques ou agricoles , par les politiques de destruction des forêts et la violence que font régner les gros propriétaires fonciers, par l'intermédiaire des partis politiques officiels (PRI, PAN, PRD) et de leurs hommes de main.
4Amnesty International, la CCIODH, et d'autres, ont rédigé des rapports accablants sur ce « crime d'état ».
5Felipe Calderón a été élu après une fraude monumentale; chacun le sait, au Mexique comme en France.
6Grâce notamment à la sollicitude de la hiérarchie, qui avait fait distribuer des préservatifs à ces vaillants défenseurs de l'ordre, juste avant l'attaque sur Atenco.