Dans un arrêt rendu le 18 juin 2025, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon a confié à son président, Dominique Brault, un nouveau supplément d'information « aux fins de procéder à l'interrogatoire de première comparution de Mme jacqueline (sic) JACOB née THURIOT, envisager sa mise en examen sous la qualification d'association de malfaiteur criminelle[1] ». Et ce, en opposition avec les réquisitions du parquet général dijonnais datées du 3 avril, estimant « qu'en l'état, le dossier est trop mince pour mettre en cause l'octogénaire[2] ».
Une fois encore, les chasseurs de corbeaux – les « ornithologues/ criminologues » si je puis dire –, s'en donnent à cœur joie, avec, bien sûr, l'habituelle moisson d'inexactitudes[3]...
Nous le savons, l'hypothèse retenue par l'institution judiciaire depuis plusieurs années est ce que j'appellerais « l'itinéraire bis » de la piste Laroche. Comprendre : l'enlèvement de Grégory Villemin par Bernard Laroche afin d'être remis à des tiers, qui auraient ensuite fait passer l'enfant de vie à trépas. La thèse « Bernard ravisseur et assassin » – notamment infirmée par le timing[4] – n'a plus beaucoup de partisans de nos jours. Sur le scénario privilégié par les enquêteurs, j’évoquerai brièvement de petites choses qui accrochent (trois fois rien, dirions-nous).
Aucun des protagonistes du dossier soupçonné à tel ou tel moment de la procédure d'avoir participé à une conjuration familiale n'a été vu ou aperçu à proximité de la poste de Lépanges-sur-Vologne l’après-midi où la lettre de revendication du crime a été postée, le 16 octobre 1984, qu'il s'agisse de Bernard Laroche, des couples Marcel et Jacqueline Jacob ou Michel et Ginette Villemin (ces deux derniers ne furent jamais inculpés ou mis en examen, rappelons-le[5]). Et Dieu sait qu’il y a eu pléthore de témoignages dans ce dossier hors norme, qu’il s’agisse de témoins plus ou moins sérieux, directs ou du genre « L’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’ours ».
Par ailleurs, je reviendrai sur un élément déjà évoqué dans mon précédent billet du 16 octobre 2024 : le lieu dit « privilégié », ce chemin de terre situé non loin d'un passage à niveau où ont relevées des traces de pneus et d'un talon de chaussure de femme, « c’est-à-dire à quatre cents mètres en amont du village de Docelles, en contrebas de la voie ferrée[6] ». Ledit endroit a été longtemps considéré comme un probable lieu d'immersion de la victime – un point qui a été très discuté d'ailleurs[7]. Voici ce que nous pouvons lire à ce sujet dans la synthèse d’analyse criminelle de 48 pages rédigée par deux OPJ de gendarmerie, datée du 10 mai 2017 : « Cet endroit [...] peut correspondre à un endroit d'échange de l'enfant. Des traces de pneumatiques et de chaussures sont constaté[e]s le jour des faits[8]. C'est un lieu discret, à l'abri des regards où Bernard a simplement pu remettre l'enfant à une ou plusieurs personnes avant de repartir sans avoir pris part à la mise à mort de ce dernier[9]. »
Certes, dans ce document, tout cela est présenté comme une hypothèse parmi d’autres. Mais dès fin 1984, on savait que les traces de pneumatiques XZX de calibre 125 ou 135 ne « matchaient » guère avec la Peugeot 305 de Bernard Laroche, mais avec des R4 ou avec des R5 – ce qu'un reporter avait appris en se renseignant auprès d'un professionnel[10] (d’ailleurs, pas de correspondance non plus avec la R9 que possédait le couple Jacob à l’automne 1984).
Les vérifications auprès de nombreux véhicules de type R4 et R5 (fin 1985) s'étaient avérées bien trop tardives, tout comme l'expertise (décembre 1985/janvier 1986) des moulages réalisés le lendemain du drame, soit le 17 octobre 1984 : « ce n’est que plus de treize mois plus tard que, sur les instances de la partie civile des grands-parents de Grégory, on a fini par les retrouver au fond de la cave de la gendarmerie de Bruyères[11] ! » « L’affaire Villemin, dans le fond, tient toute entière, caricaturale, dans cet épisode des pneus » avait écrit le journaliste Pierre Georges[12]. « Toute entière », certes non, mais aujourd'hui encore, on regrette que l’identité du conducteur de la petite cylindrée ayant stationné près du passage à niveau de Docelles le 16 octobre 1984 en fin de journée demeure inconnue.
Le supplément d’information décidé le 18 juin apportera t-il des éclaircissements, de nouveaux éléments ? Il est encore un peu tôt pour le dire. Plutôt que de se joindre « au bruit des malédictions de la foule[13] » (foule « 2. 0 » s’entend, la lecture de certains commentaires sur YouTube étant tout à fait édifiante), attendons patiemment la suite des évènements.
[1] Cité par Timothée Boutry, « L'affaire Grégory relancée », Le Parisien, 19 juin 2025, p. 15.
[2] Timothée Boutry, Ibid. Réquisitions citées par le procureur général Philippe Astruc dans son communiqué daté du 18 juin 2025.
Sur les charges réunies contre Jacqueline Jacob :
Sur la question juridique soulevée par la qualification d’association de malfaiteurs criminelle :
[3] Exemple bien connu, la légende tenace du premier magistrat instructeur manipulé par des tiers afin d’aboutir à l’inculpation de la mère de Grégory, dessaisi du dossier, etc. « Foutez la paix à sa mémoire ! », avait écrit son ami journaliste Pascal Giovannelli. Huit ans après la disparition tragique de Jean-Michel Lambert, il serait temps, effectivement :
https://www.public.fr/jean-michel-lambert-foutez-la-paix-a-sa-memoire
[4] Dès la fin de l'année 1984, le journaliste Serge Garde avait chronométré : il manquait deux minutes pour valider le scénario en question (« Contre-enquête sur l'affaire Grégory », L'Humanité Dimanche, n° 256, 21 décembre 1984, p. 5). Dommage que ladite démonstration soit rarement citée, contrairement, par exemple, au chronométrage effectué par feu Jean-Paul Pradier (du Nouveau Détective) ayant abouti à l'impossibilité mathématique d'un infanticide commis par Christine Villemin, chronométrage évoqué dans le quatrième épisode (titre : « Le dérapage ») de la télésuite de Raoul Peck L'affaire Villemin (2006). J. P. Pradier, renommé Bourdieu, y était interprété par Pascal Renwick.
[5] « Les très nombreuses investigations menées autour de ce couple n'ont toutefois pas permis d'attribuer à l'un ou l'autre de ses membres, qui étaient tous deux indisponibles au moment du crime, une participation à sa préparation ou à son exécution. » (Arrêt n° 32/ 93 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon du 3 février 1993, p. 85). Michel Villemin est décédé le 21 mars 2010 à Granges-sur-Vologne (Vosges), emporté par un cancer à 54 ans. Ginette sera interpellée par la section de recherches de la gendarmerie de Dijon le 14 juin 2017, et remise en liberté après une garde à vue de 36 heures.
[6] Lucien Miard, « Grégory : l’enquête toujours recommencée », Le Figaro, 30 décembre 1987, p. 32.
[7] Voir l’article de Lucien Miard précité, ainsi que ce reportage de la chaîne FR3 relatif à la reconstitution réalisée sous la direction du président Maurice Simon (deuxième magistrat instructeur du dossier) le 17 novembre 1987 :
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cac02005983/affaire-gregory-derniere-reconstitution
Au moment de ladite reconstitution, des travaux effectués sur la route départementale D44 avaient modifié l’ancien état des lieux dans la zone du passage à niveau.
[8] Moulages réalisés le lendemain par le service technique de la gendarmerie ; voir le procès-verbal de transport des constatations et des mesures prises, rédigé par le capitaine Sesmat à Bruyères (17 octobre 1984, pièce n° 1137/ 2, cote D2).
[9] « Commission rogatoire Procès-verbal d’analyse criminelle Affaire Grégory Villemin », Procès-verbal n° 65104/00018/2016, Pièce n° 9, Pontoise, 10 mai 2017, p. 27.
[10] « Un garagiste m’a dit que cela pourrait correspondre à une R4 ou à une R5 » (Serge Garde, « Contre-enquête sur l'affaire Grégory », article cité). Se reporter également aux observations du réquisitoire aux fins de non-lieu en faveur de Christine Villemin rédigé par Jean Stéfani, procureur général près la cour d’appel de Dijon, daté du 22 juin 1992 (p. 28).
[11] Lionel Raux, L’Est républicain : Grégory : A quand la vérité ? L’affaire de A à Z, février ou mars 1986, entrée « TRACES ».
[12] « La recherche du temps perdu », Le Monde, 23 décembre 1985.
[13] Expression empruntée à Charles Maurice, témoin de l’exécution de Robespierre, témoignage cité par le docteur Augustin Cabanès, « Robespierre s’est-il suicidé ? Le coup de pistolet du gendarme Merda », Historia, n° 220, mars 1965, p. 357.