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Billet de blog 21 avril 2017

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La fermeture des mosquées n’est pas la réponse

Le programme présidentiel de Marine Le Pen prévoit la fermeture de 120 mosquées. Fermer ces mosquées peut avoir des conséquences negatifs pour des femmes salafistes--qui trouvent dans leurs mosquées des opportunités pour apprendre et gagner en confiance, parfois contre les souhaits de leurs maris. (Traduit de l'anglais par Marie Roche.)

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Depuis que l’état d’urgence a été déclaré il y a plus d’un an, le gouvernement a fermé une vingtaine de mosquées et espaces de prière musulmane. Adoptant une position intransigeante sur ces questions, il a rejeté au cours des derniers mois les appels de deux associations de mosquées distinctes ainsi que les préoccupations de maires locaux.

Le programme présidentiel de Marine Le Pen, publié en février, prévoyait dans ses propositions, la fermeture de 120 mosquées salafistes. Une victoire finale inattendue pour elle pourrait rendre ces fermetures, une réalité.

Par une belle journée de printemps, j’arrivais en retard à une mosquée largement salafiste, située dans une des banlieues ternes et ouvrières de Lyon. Discrètement, je me suis approchée du fond de la salle alors que l’enseignante, vêtue de son long jilbab noir qui la recouvrait entièrement, sauf son visage, disait: « Parmi nous, quel que soit notre statut, personne n’est parfait. Nous avons tous besoin de Dieu. » Elle enseignait un verset du Coran. « Quand le cœur est lié à Dieu, nous avons l'humilité. Quand nous sommes liés à lui, nous avons l'amour. Est-ce clair pour nous mes sœurs ? » Les près de 100 femmes présentes ce jour-là étaient captivées, absorbées par ses mots de sagesse.

L’enseignante et les dizaines de femmes qui étaient présentes à cette mosquée, s’associent plus ou moins à la tradition salafiste de l’Islam. Le salafisme est une tradition diverse, globale que les États comme la France et l’Allemagne ont de plus en plus confondue avec le soutien au terrorisme. Plus généralement, c’est un mouvement de réforme théologique au sein de l’Islam sunnite et aux origines historiques diverses. Malgré cette diversité, même Jean-Pierre Chevènement, actuel directeur de la Fondation de l’islam de France, a proclamé que la France devait « mener une lutte culturelle contre le salafisme ».

Mais qui sont ces personnes diverses qui composent ce mouvement en France ? Parmi elles se trouve un nombre important de converti à l'Islam ainsi que des femmes de milieux ouvriers qui ont trouvé une nouvelle signifiance dans le développement de leur foi et l'éducation religieuse. En tant que sociologue américaine de religion, j’ai passé plus d’un an parmi cette communauté de mosquée en région lyonnaise. J’ai vu des jeunes femmes apprendre à réciter l’arabe avec passion et compétence, méditer sur le sens du regret et du pardon et même réaliser la valeur de douter de leur foi. Leurs enseignements éthiques et leurs débats allaient de questions banales telles que ce qui constitue la suralimentation à des questions plus profondes sur l'existence de la souffrance.

Depuis l'interdiction de porter le foulard dans les écoles publiques en 2004, j’ai aussi été témoin de la lutte que ces femmes mènent avec leur décision d’abandonner l’école en raison de cette législation. Je les ai vus humiliés lorsque leurs employeurs les ont renvoyés à cause de leur voile et défiantes lorsqu'elles étaient directement confrontées à l'agression physique et le harcèlement dans les transports en commun. Pour elles, se rassembler dans la mosquée est le soutien moral d’une communauté et le refuge nécessaire pour vivre dans une société qui les rejette et les démonie.

Si le Front National prend le pouvoir, ces femmes peuvent être réduite au silence. Elles pourraient perdre l’accès à un espace où elles ont pu jusque la socialiser, se développer intellectuellement et même gagner la confiance de répliquer à leur mari en cas de désaccord. Pour celles qui quittent l’école parce qu’elles ne peuvent pas imaginer de ne pas porter leur foulard, perdre leur mosquée serait une grande perte.

Certes, certains diront que la fermeture des mosquées remplies de « radicaux » est un petit prix à payer dans la guerre contre le terrorisme. Après tout, il semble que certains criminels inspirés de ISIS ont brièvement joins des mosquées salafistes. Et bien entendu, alors que les femmes peuvent prêcher l'amour et l'humilité, les hommes peuvent avoir d’autres objectifs. La recherche limitée qui existe sur les hommes salafistes n'a pas exactement confirmée cela. Et pour les rares qui se sont cachés dans une mosquée, il semble qu'ils n'aient eu ni l'intérêt ni la patience pour des enseignements éthiques et moraux rigoureux. Même strictement d’un point de vue sécurité il ne rime à rien de fermer les mosquées, parce qu’elles sont ouvertes et peuvent être surveillées.

Comme les églises, les temples et les synagogues, les mosquées sont loin d'être parfaites, mais elles offrent des espaces vitaux de conversation, de débat et de communauté. Elles peuvent être pour les jeunes le moyen de donner un sens à leur vie, comme c’est le cas pour ces femmes en périphérie des villes de Lyon.

Quand une étudiante a demandé à l’enseignante de Lyon si les femmes devaient assister à la mosquée, l'éducatrice a répondue : « Allah dit qu'il est préférable pour les femmes de prier chez elles. Mais si elles veulent aller à la mosquée, les hommes ne peuvent pas leur interdire. »

Ironiquement, pour les musulmanes françaises, c'est avant tout une femme, Le Pen, qui tente de leur interdire de fréquenter leurs mosquées. Il appartient maintenant à tous ceux qui, en France, se soucient profondément de « Liberté, (d’) Égalité et Fraternité» de rappeler à leur gouvernement de rester fidèle à cette maxime nationale sacrée.

 Z. Fareen Parvez est professeur adjoint de sociologie à l'Université du Massachusetts à Amherst et auteur du livre "Politicizing Islam: The Islamic Revival in France and India" (Oxford University Press, fév. 2017).

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