Voilà.
Retour en classe pour une autre période de grande intensité. Je fais le plus beau métier du monde, celui qui au temps d’Aristote, « le maître de ceux qui savent », fut vénéré. Un temps hélas très éloigné. Après des années à y penser et à hésiter, il est temps de me lancer, de proposer ce texte pour essayer de donner une vision de ce qu’est devenu ce métier qui a tant été abîmé alors qu’il est essentiel à la société. C’est un témoignage qui j’espère intéressera au moment où est lancée une grande consultation sur l’Ecole et où nous avons encore un nouveau ministre qui encore une fois n’a pas de cap, ni de vision de ce que peuvent être les enjeux de cette profession. Peut-être ce plaidoyer lui permettra-t-il de revoir sa/ ses propre(s) orientation(s).
Aujourd’hui on nous demande d’être professeurs et éducateurs et tant d’autres choses encore, de faire preuve d’autorité tout en accordant de la liberté mais sans nous donner les moyens d’être écoutés. Cette dernière semaine avant les vacances a été agitée par quelques individualités, toujours les mêmes, cent fois désignés (observations, retenues, exclusions...). Sous prétexte que ce sont des enfants, des adolescents, ils seraient trop jeunes pour comprendre qu’il est dans leur intérêt d’apprendre.
Alors, on ne leur apprend plus rien, ni le respect de l’autorité, ni les limites, ni l’empathie pour ensuite les blâmer après les avoir excusés. Sous prétexte de bienveillance les adultes, parents, professeurs, encadrants ont été poussés à abandonner leur rôle, leurs responsabilités, la peur s’est insinuée de se voir accuser de malveillance lorsque l’on fait preuve d’exigence. Nous avons oublié que nous sommes des animaux dont l’instinct n’est pas éteint. Nos enfants sentent nos reculs et agissent pour certains avec la totale conscience de ces abandons, de ces freins. Ils défient l’autorité avec insolence et des provocations répétées en toute impunité parce qu’on leur a accordé une sorte d’immunité, celle de la non responsabilité. L’éducation selon Aristote est de faire de l’élève « un citoyen policé, vertueux, apte à vivre en société ». Pour être apte à vivre en société, pour vivre ensemble il faut respecter l’autorité de la République et ses lois. Or nos élèves ne respectent plus leurs professeurs ni les règles pour le bien vivre ensemble au collège. Pourquoi le feraient-ils puisqu’ils ne peuvent être exclus de cours que « s’ils représentent un danger éminent », mais n’y a-t-il pas plus grand danger que de tuer l’enseignement, mépriser l’enseignant ? Y a-t-il plus grand danger que de refuser l’accès aux connaissances aux autres apprenants ?
C’est ainsi pourtant que l’on construit une société d’ignorants qui finissent un jour ou l’autre par se détourner des sachants. On crée ainsi le terreau où germent des climatosceptiques, des complotistes, des platistes, des radicalistes, des intégristes… parce que l’on a oublié le rôle de chacun, parce que la confusion des statuts a créé un rapport à l’enseignant qui ne permet plus le respect car il n’y plus de reconnaissance de ses compétences. Aujourd’hui on remet de plus en plus en question les médecins, les scientifiques, les chercheurs… parce que l’on a détruit la légitimité des professeurs qui ne peuvent plus lutter contre les contre-vérités.
« Il faut tout un village pour élever un enfant » dit si bien un proverbe africain. Notre responsabilité est collective. Nous devons coopérer pas nous opposer et pour coopérer les règles doivent être claires, expliquées et surtout, surtout appliquées sans avoir peur d’être abandonné par une hiérarchie trop souvent préoccupée par un objectif être distinguée. Alors surtout « pas de vague », restons cachés chacun dans son abri. Or nous devons œuvrer ensemble pour nos enfants sans démagogie, sans ambition personnelle et ce à toutes les échelles. Pour cela il faut retrouver la capacité de proposer une pédagogie qui s’appuie sur des principes et des valeurs construites sur une histoire et des récits communs. Grâce à Homère les grecs malgré leurs conflits restaient unis. Les petits grecs apprenaient à lire et à écrire avec l’Iliade et l’Odyssée mais au-delà de cet apprentissage, ils se construisaient à travers ces poèmes. Ils découvraient les vertus du courage, de la ruse, de la vaillance, de la persévérance…de l’honneur, de la loyauté. Ils pouvaient s’identifier à des héros dans leur grandeur comme dans leurs défauts. Nous n’avons plus de récits fondateurs qui nous lient, les religions sèment la division, les médias la haine et la confusion, les politiques ne proposent aucun horizon. L’Ecole reste la seule solution. Il faut des récits fondateurs, fédérateurs, Emile Zola, Victor Hugo, Verlaine, Baudelaire mais aussi Aimé Césaire, Léopold César Senghor, Amine Maalouf, Kamel Daoud… ne plus étudier la résistance mais les résistants, ne plus étudier l’Homme mais l’Humanité…, proposer une histoire globale en perspective avec l’histoire nationale…car c’est par l’universalité que nous vaincrons aujourd’hui l’obscurité.
Aujourd’hui nous avons perdu le sens de la transmission. Certains considèrent que l’enfant n’a plus rien à apprendre des adultes, on induit ainsi un rapport à la société, à l’autre quel qu’il soit et donc à la loi qu’il convient de questionner. Pouvons-nous tous être dans un statut d’égalité ? Je ne parle pas de rapport d’égalité mais de statut.
Puis-je ignorer en tant que professeur les instructions nationales (malgré le peu de cohérence) ? La réponse est simple et sans appel, c’est non. Alors pourquoi un élève ne respecterait-il pas les recommandations de son professeurque ce soit au niveau scolaire ou du comportement. Est-il normal de s’entendre répondre de plus en plus souvent « Non mais moi je préfère faire comme ça. », « Non mais c’est mon écriture, j’écris comme ça »… ? Et si vous persistez dans l’exigence, alors vous ne faites pas preuve de bienveillance et vous risquez non seulement la colère d’un parent mais pire la désobligeance de certains enseignants. Nous en sommes là, car hélas nous avons reculé car il y a eu tant de coup porté contre notre profession que beaucoup se sont fait une raison tout en continuant d’essayer de mener malgré tout à bien leur mission. Ils continuent à se battre contre un monde où l’on crée des citoyens sans réflexion, qui ont leur vérité venue des réseaux, inondés de messages racistes, intégristes et complotistes de tous bords puisqu’eux conservent un récit, savent l’importance de la transmission, donnent une direction à des enfants de la République perdus et sans illusions, un monde dans la division. Donald Trump, que l’on traite d’idiot l’a bien compris « Make America great again » . Quelle promesse ! quel récit ! pour attirer tous ces esprits que l’éducation a perdu. Et si nos enfants adhèrent à d’autres récit, c’est que de notre côté, nous les avons laissés sans direction, sans les repères que permet la transmission. Nous avons plongé dans le socio-constructivisme et nous n’en avons jamais fait l’analyse, le bilan.
Or, nous reculons année après année dans les tests PISA. Pourquoi ? Toujours les mêmes réponses, pédagogie différenciée, groupes de niveaux (alors que cela a été expérimenté en primaire et arrêté car peu probants mais depuis tous les élèves ont deux heures hebdomadaires en moins !), formation des enseignants bien sûr, bien sûr, toujours les enseignants ces incompétents fainéants. Mais l’élève ? où est la place de l’élève dans tout cela ? Au centre des apprentissages parait-il ! car « ils ne sont pas une boîte noire » ! Et bien moi avant d’apprendre à lire, je ne savais pas lire comme tant d’autres enfants, certains apprennent seuls oui et de façon globale ! Eternelle dispute, globale ou syllabique et bien pourquoi pas les deux, la méthode mixte qu’appliquent tous les professeurs ceux qui savent ce qu’ils font car c’est leur métier, car UN métier même en maternelle, peut-être surtout en maternelle où les apprentissages, notamment langagiers sont essentiels.
Bien, arrêtons les digressions et revenons au cœur du sujet. Par manque de récits fondateurs communs et des valeurs que ceux-ci transmettent, par le rapport à l’adulte qui aujourd’hui s’est détérioré et qui n’est plus source de sagesse et de vérité, nous produisons des enfants égarés. Aujourd’hui les élèves doivent avancer sans bagages, sans boussole, sans carte puisqu’ils sont aussi aptes que des adultes selon certaines théories d’éducation. Nous les plongeons dans l’obscurité, dans l’inquiétude et l’angoisse puis nous nous étonnons des refus d’obtempérer, de leur mal-être croissant et du nombre de dépression de plus en plus important. Mais comment trouver son chemin quand on a plus aucune carte en main, comment avoir le sens de l’orientation quand les adultes, les politiques ont reniés leurs missions. Celle de les conduire à bon port, celle de les aider à grandir et trouver leur place dans un monde de plus en plus complexe. Or ils ne le connaissent plus car malgré nos efforts, nous leur présentons un discours de plus en plus confus. Comment leur faire comprendre les atrocités du passé quand ils baignent dans la justification des atrocités d’aujourd’hui. Comment les faire adhérer aux droits de l’homme, à la liberté, à l’égalité, à la fraternité quand aujourd’hui des populations sont concentrées, massacrés, que plus rien n’est sacré mais que l’on doit leur apprendre à garder leur humanité ?
Ceci est le cri d’un professeur d’histoire-géographie et EMC, d’une profession que les politiques ont voulu baillonner et qu’ils ont peu à peu étouffée, bafouée, délégitimisée et ensuite reproché à la société de la maltraiter, de vouloir la museler ou la tuer alors que ce sont eux qui ont fait de nous des prisonniers. Toujours dans l’excuse, la déresponsabilisation, la politisation. Comment inculquer des valeurs à nos enfants quand ils sont confrontés aux mensonges prouvés de leurs représentants. Comment leur faire croire que nous sommes égaux quand une caste se juge au-dessus de la loi, quand un élu crie « La République c’est moi ! », un autre « A bas le voile ! ». Comment leur expliquer la souveraineté du peuple quand les voix de la démocratie sont écarté es. « Alors à quoi bon voter m’a demandé un élève ? On peut légitimement se le demander. Parce que c’est un droit acquis de haute lutte et que l’on ne peut pas les laisser tous nous sacrifier en laissant la planète s’embraser, la nature en prise au feu, la société face aux brasiers qu’ils ne cessent d’allumer ». La planète se meurt sous leurs yeux du manque d’éducation, du manque de transmission et par conséquent du manque de compassion. C’est à travers l’histoire, la littérature, la poésie, la science…que l’on transmet la connaissance de soi, de l’autre, du bon et du mauvais…. ce nous amène à faire les bons choix. Rendez-nous notre mission, faites-en une zone de pacification, un ministère neutre au service de la population et non de vos ambitions.
L’exigence est la base de la bienveillance comme pour le reste, les politiques en ont détourné le sens, le vidant de toute substance. Dans leur art de la compromission, ils en ont fait un synonyme de soumission. Pour mieux nous contrôler, pour mieux nous dévaluer mais en continuant eux à conserver leurs privilèges bien installer sur leurs sièges (40 000 euros un professeur ne gagne pas cela en un an même en fin de carrière) tout en mettant sur le banc des accusés toute la société. Tous ces politiques, tous partis confondus, ne connaissent hélas rien à notre profession et détruisent petit à petit notre éducation nationale en en faisant une étape dans leur ambition personnelle. Quelques lois pondues pour rester dans l’histoire, souvent contradictoires, un petit tour et puis s’en vont quand nous nous restons. Un petit tour et nous voilà, 30 ans plus tard en plein désarroi face à une société où l’Ecole n’est plus respectée.
Ils ont fait de l’Ecole une start-up, des programmes toujours plus lourds, des programmations incluant les récréations pour le primaire, des objectifs toujours plus nombreux et des élèves de plus en plus submergés qui n’ont plus le temps d’assimiler, de mémoriser les notions étudiées. Chaque heure est une course contre le temps, plus le temps de répondre au moindre questionnement car il faut avancer impérativement. L’épuisement, le burn-out n’épargnent pas les professeurs mais plus inquiétant impact durement nos élèves pour qui l’Ecole devient un camp d’enseignement. Chaque année il faut augmenter le pourcentage de réussite au brevet, au bac car l’Ecole se gère aujourd’hui comme une entreprise, elle est devenue capitaliste « faire toujours plus avec toujours moins », plus d’élèves, plus de projets mais moins de moyens. Les professeurs doivent mendier mêmes des feutres pour écrire au tableau, s’acheter les stylos pour corriger, ne pas dépasser un quota de photocopies toujours en baisse et en même temps proposer des parcours personnalisés. Il faut gérer l’hétérogénéité tout en adaptant pour les élèves avec des PAP, PPRE, GEVASCO, l’Inclusion des élèves ULIS…
L’Ecole, ses professeurs, ses élèves sont à bout de souffle. Il faut revoir sa temporalité, réfléchir les rythmes pour mieux s’adapter à tous les élèves, arrêter de manager et oser proposer une autre Ecole qui retrouve sa mission qui est la transmission pour former des citoyens, pour construire de l’humain, pour mieux faire société demain. L’Ecole doit redevenir un lieu d’apprentissage et pour cela être aussi un lieu de vie où sont possibles les échanges, les discussions, les débats qui aujourd’hui faute de temps ne sont proposés que trop rarement. Car pour bien apprendre, il faut le temps de comprendre.
Voilà monsieur Madame, monsieur Macron, un texte sans compromission d’une personne dont le métier, la mission est d’enseigner. Je viens vers vous, je traverse la rue et vous propose mes services pour le poste de ministre de l’éducation nationale. Je sais c’est audacieux, voire prétentieux mais contrairement à madame Borne qui de son propre aveu n’y connait rien, je suis une professionnelle de l’éducation. J’ai enseigné dans le primaire puis je suis passée dans le secondaire car je voulais avoir une vision plus globale du parcours des élèves pour les accompagner au mieux.
De plus, issue de la diversité, je pense être un atout dans un gouvernement où certains ministres bafouent les principes fondateurs de notre société, remettant en cause par là même la constitution et se perdent dans des discours qui divisent notre société qui plus que jamais besoin d’unité et de solidarité. Vous trouverez mon CV sur I-Prof.
Merci de votre attention et de votre considération.
Bien cordialement,
Fatiha S. Sebya