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Billet de blog 16 juillet 2022

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#MeTooPolitique (mais pas trop)

Damien Abad dé-ministré. Gérald Darmanin promu. Éric Coquerel défendu. Chacune de ces trois affaires a permis de mettre des mots publics sur le vécu des femmes engagées en politique, ou qui ont eu affaire à cette incarnation masculine si exacerbée du pouvoir.

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Milles et une facettes du patriarcat en politique

L'affaire Abad est celle qui pouvait le mieux correspondre à un traitement purement juridique des enjeux. En France, la loi condamne sans ambigüité la tentative de viol et le recours à la soumission chimique, ce qui a aidé la société civile à obtenir sa dé-nomination. Il aura tout-de-même fallut qu'une enquête préliminaire soit ouverte pour que le gouvernement se résolve enfin à se désolidariser de son Ministre des Solidarités. Même si nous savons que cette prise en charge judiciaire a statistiquement peu de chances d'aboutir à une condamnation, quelque chose d'important a dû céder du côté du pouvoir, à l'aune des nombreux témoignages rapportés par l'enquête de Médiapart et du contexte #MeToo.

MERCI à toutes les femmes qui ont posé #LaQuestionDeLaura. Merci à celles et ceux qui se sont engagés en signant nos tribunes ou en venant aux rassemblements du collectif #NousToutes et de l'Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique. Espérons que M. Abad sera à présent jugé pour les crimes et délits dont l'accusent plusieurs femmes, et que la procédure judiciaire entendra les plaignantes et les témoins avec respect et considération. Notre lutte contre l'impunité ne peut se contenter du simple fait symbolique que les agresseurs ne deviennent pas Ministres. Ces hommes doivent répondre de leurs actes. Leurs victimes doivent être pleinement reconnues au vu des nombreux préjudices qu'impliquent les violences de genre.

Nous avons obtenu cette victoire grâce à de grands efforts d'argumentation et de mobilisation dans la continuité du mouvement #MeToo et de ses nombreuses variantes thématiques, en l'occurrence #MeTooPolitique. Ce hashtag dénonce tout ce qui ne peut plus être toléré dans l'un des milieux les plus marqués par la domination masculine. Grâce à nous, beaucoup d'agresseurs n'oseront plus s'en prendre à leurs homologues féminines, qui pourront évoluer dans leurs partis en meilleure sécurité et sérénité. Félicitons-nous en ! C'est dans ces partis que se forgent les parcours des personnes qui nous représenteront peut-être demain. L'enjeu, à la fois féministe et démocratique, est de savoir qui a le droit d'élaborer des idées et d'arriver un jour à les défendre dans un hémicycle, et comment éviter que les parcours des femmes soient entravés par les dangers sexistes qu'elles encourent au sein des organisations politiques.

Le cas Darmanin, quant à lui, force la société à se positionner sur l'abus de pouvoir d'un homme puissant face à des femmes en situation d'infériorité de statut et de détresse émotionnelle, qui se sont tournées vers lui pour lui demander de l'aide. Ses relances harceleuses de l'une d'elles, qui l'accuse de viol, n'ont pas empêché le Ministre de l'intérieur d'être maintenu et même promu au dernier remaniement. Les deux affaires Darmanin ont beau avoir une similitude majeure et très problématique, soit l'exploitation de sa position de pouvoir pour "négocier" voire arracher des relations sexuelles, la responsabilité a néanmoins échoué sur les épaules de ces deux femmes, aux yeux de l'opinion publique. C'est elles qui auraient tenté le diable avant de se "faire avoir", tout au plus. Hélas, le mouvement féministe s'est tellement reposé, ces dernières années, sur une définition purement juridique des violences à des fins de prévention et d'information sur nos droits, que toute l'analyse des milles et une facettes du patriarcat s'en ai trouvée amoindrie. D'autant que même le harcèlement et les agressions sexuelles sont des infractions souvent sous-qualifiées par la Justice et le traitement médiatique.

Une rumeur, un complot...

Si l'affaire Coquerel a permis de révéler le climat de violences sexistes et sexuelles que peut faire subir un membre de la direction du parti à des militantes internes ou extérieures à son mouvement, souvent plus jeunes que lui et ayant un statut très inférieur au sien, elle a surtout révélé la manière spectaculaire dont un mouvement autoproclamé féministe a infligé un backlash d'une rare violence à tout ce qu'avait soulevé et creusé #MeToo depuis 5 ans, surtout (pensions-nous) dans des environnements de gauche.

30 juin 2022. La journaliste Rokhaya Diallo met les pieds dans un plat qui trainait là depuis longtemps. Elle interroge publiquement le choix de la NUPES de faire élire le député Éric Coquerel, Président de la Commission des finances de l'Assemblée. "J'ai entendu parler des comportements qu'il aurait avec les femmes" a-t-elle précisé.

Aussitôt, plusieurs responsables de la France Insoumise sont montés au créneau pour défendre leur camarade. Les porte-paroles ont (en même temps) invité d'éventuelles victimes à se manifester auprès de leur Comité de suivi contre les Violences Sexistes et Sexuelles, et affirmé qu'Éric Coquerel était innocent et victime d'une rumeur. Pour Jean-Luc Mélenchon, qui vient de fustiger l'enquête ouverte à l'encontre de son ami pour harcèlement et agression sexuelles : "Éric Coquerel n'est coupable de rien du tout". L'eurodéputée insoumise Leïla Chaïbi a publié une interminable déclaration parlant de calomnies, de complot politique, de tribunal populaire, affirmant qu'accuser Éric Coquerel serait une insulte aux victimes de violences et que ça discréditait le combat. Elle y note que l'accusé s'est toujours bien comporté avec elle, a listé ses qualités humaines qui n'ont rien à voir avec la choucroute, avant de rappeler qu'il était un élu utile à diverses luttes, ce qui n'a toujours rien à voir avec la choucroute. Un passage très culpabilisant qui ne sert qu'à verrouiller la parole d'éventuelles victimes qui peuvent être intimidées par la popularité de l'homme qu'elles mettent en cause, ou qui défendent les mêmes causes que lui et craindraient de fragiliser un soutien important aux luttes.

Quelques jours plus tard, la rumeur est devenue une prise de parole à visage découvert. Sophie Tissier a raconté en direct sur le plateau de BFM-TV ce qu'elle reprochait exactement au député insoumis, 4 ans après son témoignage anonyme dans le journal Causette. Sur Twitter, trois témoins directs (undeuxtrois) appuient sa version des faits. D'autres se sont manifesté auprès de nos associations, nous expliquant leurs diverses difficultés à s'exprimer publiquement. J'atteste, par ailleurs, que Sophie Tissier m'a confié ce témoignage il y a plusieurs années. Je ne pouvais en parler, tant qu'elle ne m'en donnait pas la permission. Plusieurs années, c'est le temps qu'il faut. La plaignante a ensuite saisi le fameux comité de la France Insoumise, puis porté plainte. 

Un règlement de compte, une danse mal vécue...

La députée insoumise Danielle Simonnet a aussitôt jeté le discrédit sur la nature des faits signalés, avant même que l'intéressée ne soit entendue par le Comité. Un coup de poignard d'autant plus mortifiant, qu'elle participe depuis plusieurs années à tous nos rassemblements et tribunes contre les violences sexistes et sexuelles en politique. Pour le député insoumis Adrien Quatennens, il ne s'agirait que d'une "drague insistante" (synonyme de harcèlement). Quelques jours plus tard, la caractérisation des faits se réduisait encore en peau de chagrin : Sophie aurait juste "mal vécu une danse" et aurait cru bon de porter plainte pour si peu. Éric Coquerel a, de son côté, plaidé le flirt et fait valoir que celle qui l'accuse lui aurait envoyé des SMS a posteriori de cette fameuse soirée, histoire de discréditer son témoignage. Une information qui ne prouve rien du tout : Maintes victimes que nos associations accompagnent peuvent avoir eu une correspondance avec leurs agresseurs, où ne transparaissent pas de signes de traumatisme ou de référence écrite à ce dont elles les accusent.

Même tentative de décrédibilisation dans la bouche de Marie-Laure Darrigade : « J’ai même encore des échanges Messenger sur lesquels Sophie Tissier me dit, à l’issue de la soirée, que Coquerel est quelqu’un de très gentil ». Là aussi, il n'est pas rare que des victimes disent du bien de celui qui s'est mal comporté avec elles, surtout quand l'affaire se situe dans un contexte de dynamique collective, en l'occurrence quand on porte des luttes politiques ensemble. J'ai même entendu des femmes m'avouer, embarrassées, avoir envoyé un SMS d'excuse ou des compliments à leurs agresseurs, notamment lorsqu'il s'agit d'un supérieur hiérarchique ou d'un collègue, afin de se laver d'une réalité qu'elles trouvent salissante pour elles, de se réfugier dans le déni ou de garder bonne figure face à quelqu'un qu'elles doivent continuer à fréquenter.

Cette collection de ratés accule le débat à dépolitiser ce dont nous parlons. Les violences de genre qui règnent dans tous les partis, commises par des hommes que nous pouvons difficilement esquiver dans de tels lieux de sociabilisation intense et de mobilisation quotidienne, pourrissent ce qui est d'abord censé être un outil d'élaboration collective d'idées et d'actions politiques. Est-ce normal que des femmes qui arrivent dans ces partis, souvent jeunes, pleines de talents, d'idées et d'idéaux, se voient aussitôt réduites à l'état de proies et plus occupées à "gérer" ces hommes qu'à faire leur place dans l'organisation ? 

Première conséquence : le turn-over féminin dans des partis qui n'atteignent jamais la parité, et de loin. Beaucoup de celles qui restent ont tendance à se limiter en leur sein par stratégie d'évitement, à faire attention à leur image ou leurs tenues vestimentaires pour ne pas paraitre "trop frivoles" ou "pas sérieuses", ce qui pourrait compromettre leurs parcours. Au contraire, les hommes du parti n'ont aucune difficulté à assumer une double identité de responsables politiques et d'hommes qui multiplient les approches et les relances des (jeunes) militantes, sans que cela n'impacte négativement leur image ou leur parcours interne. Deuxième conséquence, ces hommes continueront à sociabiliser avec les militant-es à travers les moments festifs, à accroitre leurs réseaux et leurs tremplins de cooptation, tandis que beaucoup de femmes les éviteront ou les quitteront plus tôt pour ne pas subir des comportements désagréables voire violents de la part de leurs camarades enjaillés.

Le plus déconcertant dans la défense d'Éric Coquerel et de ses avocat-es improvisé-es, c'est de les entendre insister sur le fait que les faits décrits par Sophie Tissier ne correspondent pas exactement aux textes de lois définissant le harcèlement ou l'agression sexuelle. Il n'y aurait selon eux rien d'illégal dans la scène qu'elle a pris le temps de dépeindre : affaire classée. Quelle vision bureaucratique pour ne pas dire bourgeoise de ce dont nous parlons ! Non, l'idée n'est pas seulement de sa savoir si tel comportement est, ou non, répréhensible aux yeux de la loi. La question est aussi d'analyser ce qui est tolérable au sein d'un collectif, surtout quand ce dernier prétend renverser les oppressions, et le coût individuel et collectif de tels comportements. Qu'ils cessent de traiter le patriarcat en bout de chaîne ! Qu'ils commencent enfin à le traiter à la racine pour assainir au plus vite des environnements aussi fondamentaux pour la démocratie, aussi profondément dominés par le patriarcat, et pire, qui le nourrissent et le reproduisent.

L'affaire Coquerel a révélé les limites déconcertantes de la position d'alliés des mouvements politiques de gauche, et de leur féminisme déclaratif. Ces derniers se réclament en général du féminisme par pur principe d'adhésion à une valeur historique de la gauche, par automatisme (pour ne pas dire opportunisme) sans s'intéresser au fond, ni remettre en cause les comportements masculins en leur sein. Le masque a pris feu en quelques jours. Ses cendres nous resteront longtemps en travers de la gorge.

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