Touche pas à ma dignité !
Il a craché sa phrase comme on crache du tabac.
Sans méprise. Sans honte. Sans gêne.
« Je l’ai prise parce qu’elle s’appelait Fatima. »
Et tout est sorti d’un coup : le mépris, le cynisme, le mensonge, le racisme tranquille d’une génération politique qui a bâti ses carrières sur le dos de ceux qu’elle prétendait défendre.
Ce n’est pas un dérapage, c’est une confession.
Ce n’est pas une faute de langage, c’est un aveu.
Julien Dray n’a pas révélé une pensée isolée : il a simplement dit à voix haute ce que tout un système pense tout bas depuis quarante ans — et dont on n’a toujours pas guéri.
Et cette fois, on ne laissera pas passer.
Parce que ce qu’il dit là, c’est toute une histoire qui remonte à la surface : celle d’une escroquerie politique, une stratégie inacceptable de certains qui pourrit encore la vie démocratique.
Ils ont pris nos luttes, nos visages, nos colères, et ils en ont fait des tremplins personnels.
Ils ont transformé la dignité en décor, la foi en opportunité, l’antiracisme en marketing politique.
Et à la fin, ils nous ont laissés sur le bord du chemin, comme si la reconnaissance était un dû qu’ils pouvaient distribuer à leur guise. Comme si le respect était devenu superflu.
Pendant des années, ils ont parlé à notre place, utilisé nos prénoms pour remplir leurs affiches, nos visages pour valider leurs discours.
Ils ont bâti leur légitimité sur notre loyauté — et maintenant qu’ils ont épuisé le filon, ils se permettent de nous humilier, publiquement, avec ce sourire de vieux cyniques persuadés d’avoir tout vu, tout compris, tout exploité.
Deux carrières grâce à nous.
La première, en nous volant.
La deuxième, en nous insultant.
Ce n’est pas un accident : c’est une idéologie. Ce n’est pas une erreur : c’est une stratégie.
Leur gauche n’a jamais accepté l’égalité réelle.
Elle a prôné la justice tant qu’elle ne menaçait pas son pouvoir.
Elle a célébré la diversité tant qu’elle restait sous contrôle.
C’est cette gauche qui aime la couleur, mais seulement sur ses logos.
Celle qui veut bien des prénoms arabes sur ses tracts, mais pas autour de sa table.
Celle qui, pendant des années, nous a fait comprendre une chose :
« On veut que vous nous serviez à manger ad vitam æternam, mais surtout pas que vous vous attabliez avec nous. »
Ce combat n’oppose pas des communautés.
Il oppose deux visions de la République : celle qui tolère à condition de dominer et d’exploiter, et celle qui émancipe parce qu’elle reconnaît chacune et chacun.
Voilà la vérité nue.
Ils voulaient notre énergie, pas notre égalité.
Notre présence, pas notre pouvoir.
Notre loyauté, pas notre liberté.
Et quand la République a lâché les quartiers, c’est nous qui avons tenu bon.
Dans les associations, les écoles, les centres sociaux, les collectifs de terrain.
C’est nous qui avons tenu la République à bout de bras, pendant qu’on nous répétait qu’on n’était “pas faits pour la politique”.
On nous a assignés à résidence civique : l’associatif pour nous, les mandats pour eux.
On nous voulait serviteurs, parfois conseilleurs, mais surtout pas décideurs.
Mais sans nous, rien n’aurait tenu.
C’est dans ces mains qu’ils méprisaient que la République a survécu.
Ces femmes et ces hommes de terrain, militants, éducateurs, bénévoles, syndicalistes, élus de proximité — ceux qui ne cherchent ni lumière ni gloire — ont fait vivre la République quand d’autres s’en servaient pour se hisser
Ce sont eux qu’on humilie aujourd’hui.
Celles et ceux qui, par leur engagement, ont incarné la fraternité réelle — pas celle des discours, mais celle du quotidien, du courage, de la solidarité.
Ce sont ces visages que l’on méprise, ces voix qu’on tente de réduire au silence, ces parcours qu’on efface pour mieux s’en réclamer.
Cette gauche-là, de l’entre-soi et de la captation, n’a plus rien à dire.
Elle a trahi les marcheurs, confisqué la parole, transformé la fraternité en storytelling.
Mais ce temps est terminé.
La gauche coloniale, c’est fini.
La génération qu’elle a méprisée est en train de se lever.
Nous n’allons pas tendre la main pour qu’on nous serve : nous allons prendre la table.
Par la grève, par le vote, par la parole, par l’organisation.
Nous ne demanderons plus la permission d’exister. Nous la prendrons.
Nous ne voulons pas détruire : nous voulons reconstruire.
Nous ne voulons pas segmenter et diviser ; nous voulons rassembler et mobiliser.
Redonner sens à la fraternité, à la dignité, à la promesse d’égalité que tant ont trahie.
Parce qu’on n’a pas marché pour devenir des figurants.
Parce qu’on ne se bat pas depuis quarante ans pour être réduits à des symboles.
Parce qu’on ne laissera plus ceux qui nous ont volés nous insulter.
Touche pas à ma dignité, ce n’est pas un slogan.
C’est un avertissement.
C’est la fin d’une hypocrisie, le début d’une reconquête.
Nous ne sommes pas des Arabes de service.
Nous sommes, et nous serons, des citoyens au service :
au service de la République, de ceux qu’elle a oubliés,
des plus précaires, des discriminés, des invisibles, d’où qu’ils viennent.
Mais notre engagement n’a de sens que si chacun, à son tour, peut goûter à cette République.
Car servir la République, c’est vouloir qu’elle appartienne enfin à toutes et à tous.
Avec toutes celles et tous ceux pour qui la gauche est synonyme de respect, de liberté et d’égalité.
Fatima YADANI, Secrétaire Nationale adjointe en charge de la coordination du parti socialiste, ancienne Trésorière Nationale, Docteur en microbiologie et Lotfi Moussa, Secrétaire National du Parti Socialiste, consultant en stratégie