Edmond Maire, ancien secrétaire général de la CFDT, a publié dans le Monde* un texte expliquant son soutien à la candidature de Martine Aubry. La CFDT des années 70/80 ayant été mon premier lieu de militance je garde une grande estime pour le secrétaire général de l'époque et j'éprouve d'autant plus le besoin de lui dire que je ne partage pas sa vision sociétale actuelle de vieux sage. Je ne voterai pas Martine Aubry aux primaires socialiste. Et je vais tenter d'expliquer pourquoi.
Edmond Maire inscrit le parcours de Martine Aubry sous le double patronage de Pierre Mendès France, pour la citoyenneté et de Jean Monnet, pour l'Europe, pourquoi pas. Mais il conviendrait alors de rappeler:
- d'une part, que Martine Aubry appelait à voter "oui" au référendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne et que Mendès France, lui, le 18 juin 1958 exprimait ses doutes sur un "marché commun" ou les pouvoir de la démocratie sont délégués " à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique car au nom d'une saine économie on en vient aisément à dicter une politique budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale "**. Il me semble donc que la conception de la citoyenneté de Mendès France, hier, n'était pas celle de Martine Aubry, aujourd'hui;- d'autre part, que Jean Monnet, le père de l'Europe, c'est aussi l'homme qui pendant les années de guerre était à Londres à la tête de ceux qui cherchaient à saper la création de l'entité "France libre" et que dans une note secrète, connue depuis l'ouverture des archives, adressée à Harry Hopkins, conseiller du Président des Etats Unis, il écrivait, à propos de de Gaulle: "Il faut se résoudre à conclure que l'entente est impossible avec lui ; qu'il est un ennemi du peuple français et de ses libertés ; qu'il est un ennemi de la construction européenne, qu'en conséquence il doit être détruit (sic) dans l'intérêt des Français. »** La construction d'une Europe des Nations, dont se réclame aujourd'hui, plus qu'hier, Jacques Delors, était donc bien loin de celle souhaitée par Jean Monnet, me semble-t-il...
Je fais ce petit rappel historique pour exprimer mes doutes sur la détermination de Martine Aubry, socialiste digne fille de Jacques Delors. Peut on réellement croire que l'Union européenne, aujourd'hui techno/libérale et anti-sociale, sera démocratique et sociale, demain, si l'actuelle 1ere secrétaire du P.S. accède à la présidence de la République ? Ce genre de discours on l'entend depuis 30 ans ! Et par quel miracle les hommes et femmes de pouvoir qui le tiennent pourraient-ils faire demain ce qu'ils n'ont pas fait hier, alors qu'ils ne reconnaissent pas avoir fait fausse route ? Non, pour eux, admettre qu'ils se sont trompés n'est pas pensable. En fait, leur devise, celle de Jean Monnet, de Jacques Delors, de Marine Aubry pourrait être : Du passé faisons table rase et c'est en marchant qu'on trouvera le chemin ! C'était aussi, à quelques mots près, la devise de Lénine... Et je vois également dans les propos d'Edmond Maire émerger la pensée "Terra Nova", ce laboratoire d'idées se réclamant de la gauche qui, dans une de ses récentes réflexions, en est venu à conclure que les anciennes classes populaires (celles qui disposent encore ou qui ont disposé d'un emploi stable; celles qu'Edmond Maire nomme maintenant " les classes moyennes ") ne sont plus de gauche et qu'il vaudrait donc mieux que le P.S. réoriente son offre électorale vers la nouvelle classe ouvrière ( les catégories sociales les plus modestes, les travailleurs à statut précaire, les femmes à temps partiel contraint de la grande distribution... etc.). Dans cette perspective une majorité de gauche devrait donc se construire sur une alliance entre cette nouvelle classe ouvrière et la classe sociale médiasphérique (les faiseurs d'opinion). Ce n'est pas mon avis.Je crois, moi, qu'abandonner "les classes moyennes" à l'extrême droite est une bien mauvaise option politique. Ceci d'autant plus que cette tentation risque d'être celle de la gauche moderniste dans tous les pays de l'Union européenne.
Je crois, moi, que les anciennes classes populaires et la nouvelle classe ouvrière ne peuvent pas être sauvées l'une sans l'autre et que pour ce faire la "règle d'or" et le remboursement de la dette publique ne doivent pas être considérées par la gauche historique comme des dogmes incontestables, pour rassurer les marchés. De mon point de vue la rupture dans ce domaine est nécessaire et il ne me semble pas que l'expérience politique de Martine Aubry puisse la conduire à en avoir l'idée et encore moins à avoir la détermination qu'il lui faudrait pour affronter l'ouragan financier et politique que cette rupture déclencherait...Conséquemment je voterai donc Montebourg, puis Mélenchon.
*http://www.martineaubry.fr/article/edmond-maire-pourquoi-je-voterai-pour-martine-aubry
**Wiképédia - biographies de Pierre Mendès France et de Jean Monnet