L’exercice du droit de visite des parlementaires en prison me semble une responsabilité devant nécessairement être exercée. Si je ne travaille pas spécifiquement sur les questions pénales à l’Assemblée nationale, j’ai néanmoins considéré comme indispensable, en tant que représentante de la Nation, d’effectuer cette démarche afin de rendre compte de ce qui se passe concrètement dans une prison.
Je me suis donc rendue le 25 août dernier à la maison d’arrêt de Villepinte, en Seine-Saint-Denis. Cette maison d’arrêt, ouverte en 1991, accueille aussi bien des détenus que des condamnés, qu’ils le soient à de très courtes peines, à de plus longues peines ou à perpétuité, lorsqu’ils attendent une affectation sur un établissement pour peines : centre de détention ou maison centrale.
Une visite en prison ne peut évidemment laisser indifférent, a fortiori quand on ne connaît pas l’univers carcéral.
Il y a d’abord ce qui peut être différent de ce que l’on imaginait : une prison, ce n’est pas uniquement des cellules ; à Villepinte, j’ai visité des lieux multiples et divers : des cuisines aux ateliers de formation, en passant par les parloirs, le quartier des mineurs, le quartier d’isolement, l’infirmerie, les ateliers de travail… C’est aussi, à l’inverse d’une image d’immobilité que l’on pourrait avoir en tête, une circulation permanente dans les couloirs de la prison (visites au parloir, à l’infirmerie, aux cours, pour les promenades), qu’il n’est évidemment pas toujours facile de réguler.
Il y a ensuite ce à quoi l’on pouvait s’attendre, et qui est tristement confirmé : oui, la prison, les cellules, les douches … sont sales et dégradées, même si régulièrement réhabilitées ; oui, les réalités de la surpopulation carcérale rendent aujourd’hui inacceptables les conditions de la privation de liberté.
« Surpopulation carcérale ». Ce terme, tellement ressassé qu’il en est devenu banal, cache pourtant une réalité brutale et oppressante. Dans la prison, c’est ce qui saute aux yeux, ce qui structure le quotidien, ce qui est au cœur de toutes les conversations et de tous les problèmes. Le jour de mon déplacement, ce ne sont pas moins de 952 détenus et condamnés qui étaient recensés dans cet établissement pénitentiaire qui ne compte que 587 places, soit un taux d’occupation de 162 % ! Ce sont des cellules à trois personnes dans 9m2 (le jour de ma venue, dans le quartier « arrivants », 11 personnes dormaient sur un matelas au sol). C’est l’impossibilité de se doucher plus de trois fois par semaine, même au cœur de l’été, car dans cette prison datant de 1991, les cellules ne sont pas équipées de douche. Ce sont environ 700 personnes qui, faute de places, ne peuvent avoir accès au travail ou aux formations, et n’ont donc que la promenade comme activité quotidienne. Ce sont des personnels en mal-être, ayant le sentiment de ne pas pouvoir accomplir correctement leurs missions, sans cesse soumis à des injonctions contradictoires : comment assurer une surveillance efficace avec un tel surnombre ? Comment accompagner les détenus dans de telles conditions ?
Il y a des débats idéologiques en matière de politique sécuritaire et pénale ; ceux-ci doivent s’articuler avec une analyse pragmatique, qu’a nourrie, me concernant, cette visite en maison d’arrêt. A mon sens, le rôle assigné à la prison doit être d’une part de protéger la société des individus dangereux ; d’autre part, de sanctionner dans une perspective de réinsertion. Il me semble important d’avoir conscience et de dire qu’en l’état, la prison dans notre pays ne peut jouer correctement aucune de ces deux fonctions : la sécurité ne peut être pleinement exercée comme le voudraient les personnels et comme l’exigerait la prise en charge des détenus les plus faibles ; et rien de positif en termes de réinsertion ne peut résulter d’une incarcération dans les conditions que j’ai pu constater sur place.
La prison aujourd’hui déstructure, la prison pousse à la récidive, et ceux à qui elle pourrait être utile ne peuvent effectivement bénéficier de l’accompagnement qu’elle pourrait apporter. Nous construisons (et cela coûte à la puissance publique !) un cercle vicieux qui a pour conséquence que ceux qui entrent en prison sont préparés non pas à en sortir, mais à y revenir. Des petits délinquants y deviennent des criminels. Les conditions ne sont pas réunies pour que les politiques pénales soient aujourd’hui réellement efficaces.
C’est pourquoi, suite à cette visite à la maison d’arrêt, je pense qu’il est urgent de :
Soutenir les personnels qui exercent un métier difficile, déconsidéré, et peu valorisé (les conditions d’accès au logement, notamment en région parisienne devraient être facilitées)
Trouver des solutions rapides et durables pour en finir avec la surpopulation carcérale
Affecter des moyens supplémentaires pour améliorer les conditions de sécurité et pour favoriser l’accompagnement individuel des détenus
Et surtout, développer les peines alternatives, comme cela est proposé dans le projet de réforme pénale présenté ce mercredi 9 octobre en Conseil des Ministres.
On attribue à Albert Camus cette citation : « une société se juge à l’état de ses prisons ». La France a déjà été jugée et condamnée plusieurs fois par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour les conditions d’incarcération de ses détenus. Cela ne peut perdurer.
Les conditions de détention et de prise en charge des personnes détenues sont souvent génératrices de souffrances et facteurs de récidive, alors même que le rôle de la prison est de favoriser le repentir et de lutter contre la récidive. Il nous appartient donc de mettre fin à ce paradoxe, tant pour des raisons de respect des droits de l’Homme que pour un motif d’efficacité des politiques pénales.