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Billet de blog 3 mai 2024

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Défendre le journalisme en tant que bien public

Le journalisme européen se trouve à un tournant de son histoire. Dans son manifeste pour les élections européennes de 2024, la Fédération européenne des journalistes (FEJ), qui représente 74 syndicats et associations de journalistes dans 46 pays européens, exhorte les futurs décideurs politiques de l'UE à défendre le journalisme et les journalistes en Europe.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le journalisme européen se trouve à un tournant de son histoire. Désinformation, mainmise des oligarques sur les médias, pressions sur l’audiovisuel public, attaques sans précédent de tous ordres contre les journalistes, mainmise des géants de la tech et conditions de travail précaires font désormais le quotidien de nombreux journalistes en Europe, affectant lourdement la qualité de l’information et le pluralisme des médias.

De nombreuses organisations internationales, dont le Conseil de l'Europe (CoE), l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), s'inquiètent ouvertement de l'érosion de la liberté d'expression et des médias et craignent qu’elle constitue un facteur clé du recul démocratique dont l'Europe est témoin.

Le dernier rapport sur la liberté de la presse, évaluation annuelle des organisations partenaires de la plateforme du Conseil de l'Europe pour la sécurité des journalistes, appelle les autorités publiques à inverser la tendance. Le manque d'indépendance et le financement insuffisant des médias de service public et des autorités de régulation, l’influence des intérêts politiques et privés sur les médias, les scandales de surveillance impliquant plusieurs États européens et les procédures-bâillons (SLAPPs), sont autant de menaces qui entravent le travail des journalistes européens. Sans oublier l'intelligence artificielle, le prochain grand défi pour le secteur.

Avec le Conseil de l’Europe, l’Union européenne est en première ligne pour défendre les valeurs de liberté et de démocratie qui la définissent. Ces cinq dernières années ont été marquées par un engagement politique, financier et législatif sans précédent de la Commission européenne pour la liberté de la presse - notamment avec l’adoption du Règlement européen sur la liberté des médias (EMFA) - malgré des compétences limitées et des états membres enclins à saper toute initiative européenne améliorant la protection du journalisme en Europe.

L'UE a soutenu financièrement de nombreux projets en faveur de l'autorégulation journalistique, pour contrer l’essor des déserts médiatiques, renforcer la sécurité des journalistes, le journalisme d'investigation, les journalistes freelance, le dialogue social... C’est environ 50 millions d'euros par an qui ont été alloués aux médias ces dernières années.

Au niveau national en revanche, le journalisme est attaqué de toute part par les pouvoirs publics : en Italie, le gouvernement de Giorgia Meloni est en train de faire de la télévision publique RAI son instrument de propagande ; en Slovaquie, les médias indépendants font l’objet de pressions politiques sans précédent depuis la réélection du premier ministre Robert Fico en 2023, également soucieux de mettre l’audiovisuel public à sa botte ; en Grèce et à Malte, l’impunité, insoutenable, demeure dans les cas des assassinats en 2021 et 2017 des journalistes Giorgios Karavaiz et Daphne Caruana Galizia.

Le soutien de l’Union européenne est donc primordial pour les médias, tant pour ce secteur très fragile économiquement que pour les journalistes, chiens de garde de la démocratie.

Les élections du Parlement européen de 2024 détermineront l'orientation de l'UE. Nous aurons besoin d'un Parlement européen et d'une Commission qui continuent à s'engager en faveur d'une Europe équitable, dans le respect des droits syndicaux et des droits humains, de l'État de droit, et de la liberté de la presse. Ils devront superviser la mise en œuvre de tous les mécanismes réglementaires mis en place au cours des cinq dernières années : la directive sur le droit d'auteur, le règlement sur les services numériques, la loi sur l'intelligence artificielle, la directive anti-SLAPP et le règlement européen sur la liberté des médias (EMFA).

Dans son manifeste pour les élections européennes de 2024, la Fédération européenne des journalistes (FEJ), qui représente 74 syndicats et associations de journalistes dans 46 pays européens, exhorte les futurs décideurs politiques de l'UE à défendre le journalisme et les journalistes en Europe. Nous avons plus que besoin d’un Parlement et d’une Commission européens qui feront des trois enjeux suivants une priorité.

Tout d'abord, la viabilité du journalisme. Parallèlement à la montée de la désinformation, le modèle économique du journalisme indépendant s'étiole et le statut des journalistes professionnels est au plus bas. Les conditions de travail précaires, en particulier pour les indépendants, menacent la qualité et l'indépendance de leur travail.

Selon le dernier Media Pluralism Monitor du Centre for Media Pluralism and Media Freedom (CMPF), seuls quatre pays européens sur les 32 analysés offrent de bonnes conditions de travail aux journalistes : le Danemark, l'Allemagne, l'Irlande et la Suède. Les résultats révèlent une situation particulièrement préoccupante en Croatie, en Hongrie et en Roumanie, où les journalistes qui n'ont pas le statut de salarié bénéficient rarement d'une protection sociale adéquate.

Cette situation précaire est particulièrement observable au sein des médias locaux. Une autre étude du CMPF souligne le nombre croissant de déserts médiatiques dans l'UE, ainsi que le déclin des journalistes locaux et l’intense détérioration de leurs conditions de travail. Des investissements massifs combinant un financement public transparent, indépendant et un soutien philanthropique sont donc nécessaires à la survie du secteur.

Garantir l’accès des citoyens à une information indépendante, libre et pluraliste passe par la création d’un budget européen permanent dédié spécifiquement au journalisme indépendant, à l'éducation aux médias et à la société civile engagée pour la protection de la liberté de la presse.

Deuxièmement, nous alertons les autorités publiques et les employeurs du secteur sur la sécurité des journalistes, qui se détériore année après année dans tous les pays de l’Union européenne. Il est nécessaire d'œuvrer à la création d’un environnement qui protège les professionnels des médias de la violence physique et en ligne, en particulier pour les femmes et les groupes dits “marginalisés”.

Les Etats doivent mettre fin à l'impunité pour les crimes et les menaces envers les journalistes, prévenir les procédures judiciaires abusives visant à réduire les journalistes au silence, et sommés d’interdire les logiciels espions déployés pour surveiller les journalistes et leurs communications.

Rappelons le scandale Pegasus, rendu public par un réseau collaboratif de médias dirigé par Forbidden Stories, qui a révélé en 2021 que près de 200 journalistes dans le monde avaient été ciblés par ce logiciel espion, notamment en France, en Grèce, en Hongrie et en Espagne.

C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a inclus un article important sur la protection des sources des journalistes et la restriction de l'utilisation des logiciels espions dans sa proposition de Règlement européen sur la liberté des médias (EMFA). La France s'est battue jusqu'au bout pour obtenir une exemption de "sécurité nationale" légalisant la surveillance des journalistes, ce qui témoigne manifestement du mépris des responsables politiques pour la liberté de la presse. Bien que cette disposition ne figure pas dans le texte final, la possibilité que des logiciels espions soient déployés contre des journalistes est bien réelle et devra toujours faire l'objet d'une surveillance stricte.

Enfin, il est primordial de réglementer l'usage de l’IA générative en garantissant la transparence sur les données utilisées et le contenu généré artificiellement. Les Big Tech doivent être tenus de rémunérer les journalistes pour les contenus publiés sur leurs plateformes. Le règlement européen sur l’IA, premier cadre réglementaire de l’UE, est un premier pas, mais il faudra aller encore plus loin pour prévenir toute utilisation abusive de l'IA et la désinformation qui en découle.

Le journalisme professionnel indépendant est coûteux, mais constitue le meilleur antidote contre la désinformation, la corruption et l’érosion de la démocratie. L'engagement du public, les nouveaux formats journalistiques, l'éducation aux médias et un usage éthique de l'IA sont essentiels pour faire du journalisme un outil permettant de se connecter, d'apprendre et de s'engager dans le débat démocratique.

Il est vital de nous tenir aux côtés des journalistes et de soutenir, avec une approche holistique, le journalisme en tant que bien public. Jamais n’y a-t-il eu de moment plus important pour défendre et soutenir l’information professionnelle de qualité.

Tout comme la protection de l'environnement est essentielle et urgente pour contrer la crise climatique, la protection des journalistes et du journalisme est tout aussi essentielle et urgente pour répondre à la crise de l'information. La confiance du public est une condition sine qua none d’une démocratie en bonne santé.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.