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Billet de blog 3 août 2012

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«Politique»

"Il n'y a aucune recette générale. Nous en avons fini avec tous les concepts globalisants. Même les concepts sont des heccéités, des événements. Ce qu'il y a d'intéressant dans des concepts comme désir, ou machine, ou agencement, c'est qu'ils ne valent que par leur variables, et par le maximum de variables qu'ils permettent.

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"Il n'y a aucune recette générale. Nous en avons fini avec tous les concepts globalisants. Même les concepts sont des heccéités, des événements. Ce qu'il y a d'intéressant dans des concepts comme désir, ou machine, ou agencement, c'est qu'ils ne valent que par leur variables, et par le maximum de variables qu'ils permettent. Nous ne sommes pas pour des concepts aussi gros que des dents creuses, LA loi, LE maître, LE rebelle. Nous ne sommes ^pas là pour tenir le compte des morts et des victimes de l'histoire, le martyre des goulags, et pour conclure : "La révolution est impossible, mais nous penseurs, il faut que nous pensions l'impossible, puisque cet impossible n'existe que par notre pensée !" Il nous semble qu'il n'y aurait jamais eu le moindre goulag si les victimes avaient tenu le discours que tiennent aujourd'hui ceux qui pleurent sur elles. Il a fallu que les victimes pensent et vivent tout autrement, pour donner matière à ceux qui pleurent en leur nom, et qui pensent en leur nom, et qui donnent des leçons en leur nom. C'est leur force de vie qui les poussait, et non pas leur aigreur ; leur sobriété, et non pas leur ambition ; leur anorexie, et pas leurs gros appétits, comme dirait Zola. Nous aurions voulu faire un livre de vie, et pas de comptabilité, de tribunal, même du peuple et de la pensée pure. La question d'une révolution n'a jamais été  : spontanéité utopique ou organisation d'État. Quand on récuse le modèle de l'appareil d'État, ou de l'organisation de parti qui se modèle sur la conquête de cet appareil, on ne tombe pas pour autant dans l'alternative grotesque : ou bien faire appel à un état de nature, à une dynamique spontanée ; ou bien devenir le penseur soi-disant lucide d'une révolution impossible, dont on tire tant de plaisir qu'elle soit impossible.

   La question a toujours été organisationnelle, pas du tout idéologique : une organisation est-elle possible, qui ne se modèle pas sur l'appareil d'État, même pour préfigurer l'État à venir ? Alors une machine de guerre, avec ses lignes de fuite ?  Opposer la machine de guerre à l'appareil d'État : dans tout agencement, même musical, même littéraire, il faudrait évaluer le degré de voisinage avec tel ou tel pôle. Mais comment une machine de guerre, dans n'importe quel domaine, deviendrait-elle moderne, et comment conjurerait-elle ses propres dangers fascistes, face aux dangers totalitaires de l'État, ses propres dangers de destruction face à la conservation de l'État ? D'une certaine manière, c'est tout simple, ça se fait tout seul, et tous les jours. L'erreur serait de dire : il y a un État globalisant, maître de ses plans et tendant ses pièges ; et puis une force de résistance qui va épouser la forme de l'État, quitte à nous trahir, ou bien qui va tomber dans les luttes locales partielles ou spontanées, quitte à être à chaque fois étouffées et battues.  L'État le plus centralisé n'est pas du tout maître de ses plans, lui aussi est expérimentateur, il fait des injections, il n'arrive pas à prévoir quoi que ce soit : les économistes d'État se déclarent incapables de prévoir l'augmentation d'une masse monétaire. La politique américaine est bien forcée de procéder par injections empiriques, pas du tout par programmes apodictiques. Quel jeu triste et truqué jouent ceux qui parlent d'un Maître suprêmement malin, pour présenter d'eux-mêmes l'image de penseurs rigoureux, incorruptibles et "pessimistes" ? C'est sur les lignes différentes d'agencements complexes que les pouvoirs mènent leurs expérimentations, mais que se lèvent aussi des expérimentateurs d'une autre sorte, déjouant les prévisions, traçant des lignes de fuite actives, cherchant la conjugaison des  ces lignes, précipitant leur vitesse ou la ralentissant, créant morceau par morceau le plan de consistance, avec une machine de guerre qui mesurerait à chaque pas les dangers qu'elle rencontre.

(11:20)

   Ce qui caractérise notre situation est à la fois au-delà et en deçà de l'État. Au-delà des Etats nationaux, le développement du marché mondial, la puissance des sociétés multinationales, l'esquisse d'une organisation "planétaire", l'extension du capitalisme à tout le corps social, forment bien une machine abstraite qui surcode les flux monétaires, industriels, technologiques. En même temps les moyens d'exploitation, de contrôle et de surveillance deviennent de plus en plus subtils et diffus, moléculaires, en quelque sorte (les ouvriers des pays riches prticipent nécessairement  au pillage du tiers-monde, les hommes, à la surexploitation des femmes, etc.) . Mais la machine abstraite, avec ses dysfonctionnements, n'est pas plus infaillible que les Etats nationaux qui n'arrivent pas à es régler sur leur propre territoire et d'un territoire à l'autre. L'Etat ne dispose plus des moyens politiques, institutionnels ou m^me financiers qui lui permettraient de parer aux contrecoups sociaux de la machine ; il est douteux qu'il puisse éternellement  s'appuyer sur de vieilles  formes comme la police, les armés, les bureaucraties même syndicales, les équipements collectifs, les écoles, les familles. D'énormes glissements de terrain  se font en deçà de l'Etat..."

      Gilles Deleuze. (F. Guattari n'est pas loin, et C. Parnet est là. Il s'agit donc bien, dans ce texte, et la suite -pour plus tard- d'un "nous" de pluriel mouvant, et non pas d'un "nous" de majesté. Ceci étant dit pour les trolls habituels).

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