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Billet de blog 25 janvier 2024

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Qui sont les responsables de l'attaque contre le peuple Pataxó Hãhãhãi au Brésil ?

Qui, sinon l'État, a le devoir de garantir l'intégrité physique du peuple autochtone Pataxó Hãhãhãi et d'enquêter et de punir les responsables de la formation des milices rurales et de ses actions brutales et meurtrières ?

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Illustration 1
Le chef Nailton Pataxó et sa sœur, la chamane Nega Pataxó, qui a été tué le dimanche dernier dans un attaque d'une milice rurale

Par Felipe Milanez, Maria Rosário de Carvalho, Jurema Machado, Cecilia McCallum, Felipe Cruz Tuxá, Erneneck Mejía*

Cela pourrait être une attaque du Ku Klux Klan du sud des États-Unis, mais la scène s'est déroulée au Brésil dimanche dernier, ce 21 janvier 2024. La barbarie dans l'État de Bahia, au nord-est du Brésil, a été révélée dans une scène choquante à peine croyable: deux indigènes, des personnes âgées, sont allongés sur le sol, entourés par des grands propriétaires terriens, os latifundios. L’homme mort porte une coiffe, la femme tient une maraca, le coude posé ferme sur le sol. Lui est le chef autochtone Nailton Muniz, leader politique historique du peuple Pataxó Hãhãhãi, et à ses côtés sa sœur, Maria de Fátima Muniz, connue sous le nom de Dona Nega Pataxó, chamane, leader religieuse et guérisseuse de son peuple. Ils ont été blessés par balle, ainsi que d'autres autochtones de leur communauté, qui ont été ensuite tabassés par ce groupe de ruraliste qui s'est baptisée "Invasion zéro". Tout cela s’est déroulé sous le regard passif de la police militaire de l'État de Bahia qui n'a rien fait pour arrêter l'agression, participant à ce cirque des horreurs diffusés sur les réseaux sociaux.

La violence des milices rurales, exposée une fois de plus ce dimanche dernier, démontre l'inacceptable impunité et la négligence qui prévaut. Dans une déclaration publique, le Défenseur Public Fédéral, le Défenseur Public de l'État de Bahia et le Procureur Public Fédéral ont indiqué que « l'implication dans les assassinats d'une milice armée composée de policiers militaires avait été vérifiée ».

Le massacre brutal qui a coûté la vie à Dona Nega Pataxó et grièvement blessé son frère a eu lieu un mois après l'assassinat du jeune chef Lucas Kariri-Sapuyá, dans le même territoire autochtone de Caramuru / Paraguassu, dans le sud-ouest de l’état de Bahia, une région autrefois couverte par la splendeur de la forêt tropicale atlantique et aujourd'hui fortement déboisée par les éleveurs de bétail. Une enquête menée par le Mouvement Uni des Peuples et Organisations Indigènes de Bahia (MUPOIBA) révèle l'ampleur de la barbarie qui sévit dans ce territoire indigène, régularisé en 2012 après des décennies de procédures devant la Cour suprême : 31 personnes ont été assassinées, dont 8 au cours de l'année écoulée, parmi lesquelles Lucas et Dona Nega. Les longues souffrances des Pataxó Hãhãhãi ont eu de grandes répercussions avec la mort tragique de Galdino Jesus dos Santos, brutalement assassiné à Brasilia en 1997, qui a également choqué le Brésil. Mais cela n’a jamais cessé.

Pour reprendre l'expression du dernier livre de Maria Rosário de Carvalho, anthropologue de l'Université Fédérale da Bahia, les recherches menées auprès des indigènes de cette région montrent que la lutte, la résistance et la « trajectoire insurrectionnelle » remontent à de nombreuses années. Selon l'anthropologue Jurema Machado, de l'Université Fédérale du Recôncavo da Bahia, jusqu'à la reprise et la régularisation des terres entre le début des années 1980 et la décision finale du STF en 2012, ces luttes ont marqué le XIXe siècle et ont traversé tout le XXe siècle.

Ce n'est pas un hasard si les témoignages indignés des autochtones dans les vidéos qui circulent sur internet relatent 500 ans d'oppression et de lutte. Cela ne doit pas être interprété comme un abus de langage ou une expression. L'oppression dure bien depuis des siècles, le fait est qu'au cours de cette longue période historique, la situation s'est aggravée, en particulier ces dernières années.

Les funérailles de Dona Nega se sont déroulées en présence de la Ministre des peuples autochtones, Sonia Guajajara, de la députée fédérale Célia Xakriaba et du coordinateur exécutif de l'articulation des peuples autochtones du Brésil, Dinamam Tuxá, qui ont tous trois souligné, dans leurs discours, l'impact de la thèse raciste du « cadre temporel » (Marco Temporal) sur l’augmentation des attaques aux droits des peuples autochtones. Ce « cadre temporel », qui vise à empêcher la reconnaissance de l'occupation traditionnelle des territoires autochtones par les indigènes, a donné lieu à un long débat à la Cour Suprême avec la contestation du propre principe de démarcation, et, malgré un verdict favorable de la cour, le Congrès, à la fin de l'année dernière, a décidé de maintenir la thèse des ruralistas latifundios. Le "cadre temporal" est donc revenu à l'ordre du jour avec cette légalisation par le Congrès d’un génocide organisé qui fera l'objet d'une nouvelle discussion au sein du pouvoir judiciaire cette année.

Mais, en tant que chercheurs liés aux Universités Fédérales de Bahia et qui étudient la question, d'autres aspects attirent notre attention: l'impunité, la connivence habituelle de la police militaire bahianaise avec la violence, le démantèlement des liens de coexistence et de solidarité sociale, l’inaction de l'État  et la présence d'une organisation milicienne dans les campagnes brésiliennes.

La tragédie en cours dans la Terre indigène de Caramuru / Paraguassu exige une intervention ferme et rapide, comme le demandent les peuples autochtones dans leurs communiqués (comme celui de MUPOIBA et de l'Association Nationale d'Action Indigène, ANAI, APIB, APOINME, entre autres). L'impunité pour les différents assassinats a fait croître la violence dans un cercle vicieux. Qui peut nier que l'impunité dont ont bénéficié les assassins et les commanditaires qui ont lâchement ôté la vie au cacique Lucas devant son fils le 22 décembre 2023 a servi de stimulant aux 200 ruralistes latifundios pour organiser une réunion et unir leurs forces dans une opération qui rappelle les "expéditions punitives" les plus barbares, échappant à tout contrôle social et politique ?

Les paroles et les actes du gouverneur de la Bahia à la suite des crimes perpétrés ne mentionnent même pas la présence de la police militaire sur les différentes scènes criminelles et n'ont été suivis d'aucune enquête sur les faits, ce qui continue à susciter l'étonnement, l'indignation et la révolte. Comment expliquer une telle tiédeur et un tel manque d'engagement en faveur de la justice sociale ? L'alignement sur les puissants ? Le manque de leadership politique ? Il est particulièrement grave que ce même gouverneur se dise d'origine autochtones et proclame défendre les droits des peuples autochtones de Bahia.

Après tout, qui, sinon l'État, a le devoir de garantir l'intégrité physique du peuple Pataxó Hãhãhãi, d'enquêter et de punir les responsables de la formation  de ces milices rurales et de leurs actions, sinon les agents de l'État lui-même ?

D'autre part, il est impératif de mentionner, en contrepoint de la barbarie, la grande reconnaissance qui a été accordée aux connaissances et aux talents des Pataxó Hãhãhãi par des segments importants de la société brésilienne, tels que l'Université Fédérale de Minas Gerais (UFMG), qui a décerné à la fratrie Nailton et à Maria Maya Muniz le titre de docteur en connaissances notoires, et l'Université Fédérale de la Bahia (UFBA), qui compte Maya Muniz parmi son corps enseignant en tant que professeur invité. L'artiste Olinda Yawar a des œuvres exposées dans les collections des principaux musées du Brésil, comme le MASP et le PINACOTECA. D'autres jeunes talents s'appuient également sur l’ancestralité et la lutte, mais leur avenir est menacé.

* Felipe Milanez est professeur à l'université fédérale de Bahia; Maria Rosário de Carvalho est professeur à l'université fédérale de Bahia; Jurema Machado est professeur à l'université fédérale du Reconcavo de Bahia; Cecilia McCallum est professeur à l'université fédérale de Bahia; Felipe Cruz Tuxá est professeur à l'université fédérale de Bahia; Erneneck Mejía est professeur à l'université fédérale du Reconcavo de Bahia

Les auteurs tiennent à remercier Yann Pellissier pour la revision de ce texte

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