Le collectif du festival Résistances vous propose des critiques des films sélectionnés à la 24ème édition
LE LOUP D'OR DE BALOLE, de Chloé Aïcha Boro

"Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l'humanité, mais aussi et surtout, des espérances de nos luttes.", déclarait Thomas Sankara dans son fameux discours à l' O.N.U., le 4 octobre 1984.
Le film-documentaire de Chloé Aïcha Boro pourrait donner écho à cette déclaration, en actualisant la situation au Burkina Faso, quartier de Balolé, à Ouagadougou. Le théâtre de la tragédie est le même, les souffrances aussi aigües, le malheur profond, les solidarités tissées de luttes toujours aussi fortes.
Le récitant de cette histoire est déjà en place, à l'ouverture du film, assis devant le paysage déployé au regard. C'est lui qui nous invite à voir derrière le rideau d'une scène incroyable: le drame se joue au quotidien dans les entrailles de la terre dont on ne perçoit, pour l'instant, que la vaste étendue, en surface. Et malgré le terrible drame qui se joue dans ce cratère mangeur de vies, c'est d'amour, de solidarité et d'espoir têtu dont il sera question à travers la caméra-témoin de Chloé Aïcha Boro.
Elle a une solide expérience de terrain, Chloé Aïcha Boro (il faudra retenir son nom, ainsi que la puissance empathique de son témoignage); elle a sillonné son pays d'origine, le Burkina Faso, en tant que journaliste, rapporteuse exigeante et précise de différentes situations sociales, anthropologue de sa propre société qu'elle ne considère pas d'un regard extérieur, ou supérieur, mais en étant elle-même au sein de la situation; une solide expérience de documentariste, aussi, en peu de films, mais avec des compte-rendus précis, vibrant d'humanité.
Malgré la noirceur des situations, elle sait trouver la flamme qui anime les acteurs de cette société si jeune (75% de la population a moins de 25 ans!), à l'énergie débordante et aux rêves pas encore fatigués... Pourtant, après l'assassinat de Thomas Sankara et les premiers sillons d'une vraie autonomie, après le règne autocratique de Blaise Campaoré, déchu au Printemps 2014 par les vagues populaires d'un dégagisme qui se voulait pacifique, la chape de la corruption, de la dictature rampante, militaro-financière, continue d'affamer le peuple, de ruiner le pays, de prolonger un état de néo-colonialisme. Mais il ne s'agit pas d'un cours d' Histoire contemporaine, nous apprenons bien plus, nous comprenons par sensibilité capillaire, en voyant les visages, en souffrant avec les corps torturés, nous espérons dans le souffle jamais éteint et les cœurs qui se resserrent dans une espérance folle.
C'est au bord de la capitale, Ouagadougou, que se trouve cet enfer de granit dans lequel 2500 hommes, femmes et enfants s'enterrent chaque jour, pour casser du minerai à mains nues.
Mais qui le sait ?
Chloé Aïcha Boro a pris le temps long de la rencontre, de la compréhension, le temps d'être acceptée comme l'une des leurs, parce qu'elle donne un visage, des rires et des paroles frappées au coin de la sensibilité et de l'intelligence, pour nous adresser ce tableau ô combien vivant d'une humanité où les mots solidarité et tendresse sonnent juste et redonnent l'énergie pour rester debout.
"La vie est un combat, mais ça va aller." affirme Patam Ablasse, 30 ans, ce grand frère protecteur, inspirateur d'un vent de révolte, sans violence...
La caméra est toujours posée au bon endroit pour nous faire ressentir les vibrations des efforts surhumains, souvent le mouvement s' achève sur un portrait d'enfant, dans la beauté de la lumière douce du soir. Il y aura un instant, un instant seulement, de remontée à la surface d'une autre réalité, comme un mur à peine fissuré...
L'art de la réalisatrice est de démonter patiemment tous les rouages et éclairer les acteurs de cette ruche incroyable, qui attire son lot d'intermédiaires exploiteurs, les "cockseurs"; le hors champ nous permet de comprendre les forces institutionnelles et militaires qui maintiennent ces milliers d'humains dans des conditions d'esclavage. Pour un temps compté...
La musique est d'une belle alliance entre les sonorités universelles de Ali Farka Toure et les créations de Cyrille Aufort, qui ose, en final, démarrer par un didgeridoo nous rappelant d'autres exploitations esclavagistes sur un autre continent. mais sur la même terre commune. L'Histoire des émancipations, de l'accès aux droits et à la dignité n'est ni un long fleuve tranquille, ni un minerai enfoui aux tréfonds de la terre...
Ce film sera diffusé dans le cadre de la thématique "Le travail coûte que coûte" à l’occasion du festival Résistances de Foix en Ariège - Pyrénées qui aura lieu du 21 au 29 août.
Gérard Bérail