Martine Delumeau est une documentariste qui s’est d’abord intéressée au monde du travail. Elle se demandait « comment par moment ce rapport au travail peut être aliénant et comment on sort de cette aliénation ». Au fil des années, elle a approfondi l’essence de ses premières recherches avec la « volonté de questionner et d’interroger des personnes qui s’affranchissent, qui trouvent l’énergie de s’affranchir d’une situation ». Elle-même étant d’origine guadeloupéenne, elle en est venue à travailler sur les identités antillaises.
En 2016, en discutant avec ses cousines de la Guadeloupe, elle comprend qu’elle est passée à côté d’une lutte très importante qui s’est déroulée là-bas en 2009. Vivant elle-même dans l’Hexagone, elle se définit au départ comme « originaire de » la Guadeloupe, plutôt que comme Guadeloupéenne. Son travail sur les vidéos d’archives du mouvement de 2009 lui permet peu à peu de retrouver quelque chose de plus profond qui la relie à l’île de naissance de sa mère. De ce fait, elle suggère qu’une culture n’est pas forcément donnée mais qu’elle se conquiert.
Le LKP est l’acronyme de « Liyannaj Kont Pwofitasyon », qu’on pourrait traduire en français par « collectif contre l’exploitation outrancière ». Mais l’usage du créole, affirmé et revendiqué, lui donne une toute autre dimension. Il ne s’agit pas seulement d’une lutte sociale contre la vie chère mais aussi d’une lutte décoloniale. Les enregistrements vidéo des négociations, retransmises en direct à l’époque, entre le LKP, les élus, le patronat et le préfet, sont exemplaires à ce sujet. Pouvoir produire et consommer localement n’est pas en Guadeloupe une tocade de bobos mais un levier profond d’autonomie, d’affirmation culturelle et de lutte contre l’asservissement économique.
Si avec 44 jours Martine Delumeau se réinscrit elle-même dans la culture guadeloupéenne, elle nous invite aussi en miroir à nous inspirer de luttes d’ailleurs. Où l’on peut être en colère dans la joie. Son film conserve une mémoire essentielle à des mouvements que le pouvoir cherche toujours à minorer ou à effacer. Cette mémoire n’est pas un vain mot : le mouvement de 2009 s’inscrit lui-même dans l’héritage sanglant de mai 67, où une grève avait été violemment réprimée en Guadeloupe. D’autres luttes menées en 2024 par le RPPRAC en Martinique ou le CCAT en Kanaky invitent à réouvrir sans cesse la question de l’héritage colonial de la France.
Martine Delumeau sera présente à Foix le jeudi 10 juillet pour la projection de 44 jours à 14h. Elle participera ensuite au débat : "outre-mer " : déni de colonies" à 17h30, en compagnie de l’historienne Isabelle Merle.
