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Billet de blog 4 juillet 2023

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La difficulté d'être soi

Nos corps sont vos champs de bataille, film d'Isabelle Solas, 2021, France, 1h40.

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Il est certaines personnes dont la vie est un procès permanent, une confrontation de tous les jours, un combat pour justifier son droit d'exister. Dans ce tribunal sans frontières, tous n'y survivent pas et c'est bien ce qu'Isabelle Solas entend montrer au cours de son documentaire Nos Corps sont vos champs de bataille qui ouvre sur un énième meurtre d'une personne trans et nous place d'emblée face à notre conscience et nos responsabilités collectives. Le documentaire dresse les portraits respectifs de deux femmes trans appelées Claudia et Violeta dans une Argentine coupée en deux et gangrenée par des luttes internes entre un conservatisme profond, hostile et enraciné depuis longtemps et une nouvelle vague féministe portée par un élan d'une vigueur sans pareille qui s'incarne dans les vécus de ces deux femmes qui luttent chaque jour pour exister. Sur un fond de débats politiques et d'élection à venir, c'est un véritable manifeste féministe que dresse Isabelle Solas à travers une société où les femmes sont exclues des échanges.Tout particulièrement dans la sphère politique, où les hommes s'accaparent les débats et les transforment en combats de coqs virilistes et machistes. C'est ainsi que nous suivons le quotidien difficile et mouvementé de ces deux femmes.

Chaque jour est une nouvelle lutte pour vivre, une bataille pour faire valoir son identité. Le documentaire témoigne de l'énergie, la vivacité et la sororité de ces femmes, Isabelle Solas nous livre des scènes introspectives et intimistes qui nous font ressentir tout le poids que Victoria et Claudia portent du fait de leurs identités. A plusieurs reprises, la sensation de solitude est patente, nombreuses sont les scènes en espaces fermés qui témoignent de l'isolement que vivent ces femmes, mises en marge de la société et tenues à l'écart de la plupart des espaces professionnels et sociaux. L'un des points centraux du documentaire réside dans l'importance des corps. Partout, les corps sont montrés, affichés et surtout affirmés et assumés avec force et fierté dans toutes leurs diversités. Il y a autant de corps trans qu'il y a de personnes trans et il y a autant de corps qu'il y a de personnes, c'est ce que l'on peut comprendre et retenir de ces images. Ces travaux sur les corps sont présents dans les nombreux travaux d'Isabelle Solas depuis plusieurs années et sont plus que jamais d'une importance capitale dans l’œuvre qu'elle nous présente. En l'espace de deux heures, l’œuvre de la réalisatrice met en lumière les liens entre représentations de l'intime et discours politiques avec brio. Car dans un monde aussi divisé sur les questions de genre, de l'identité et de la sexualité, le simple fait d'exister est déjà un acte politique et une forme de militantisme considérable pour Claudia et Victoria. C'est ainsi que l'on suit le quotidien de ces femmes, que l'on contemple la force et la pugnacité dont elles font preuve non seulement pour exister, mais aussi pour manifester en faveur d'un autre monde, en faveur d'un trans-féminisme où toutes les oppressions seraient prises en compte et dûment combattues.

Mais c'est aussi pour repenser les rapports sociaux que Claudia et Violetta se battent, pour d'autres corporalités, pour concevoir les relations amoureuses autrement, pour repenser les fondations de l'action collective. Ce documentaire s'inscrit dans la continuité d'Indianara (que certains d'entre vous ont pu voir lors de l'édition 2021 du festival) ou Bixa travesty, (d'autres films sur ces questions) et se démarque par sa densité et son caractère immersif. Les images d'Isabelle Solas sont l'illustration d'un discours construit sur une double logique à la fois queer et intersectionnelle. La réalisatrice pointe du doigt toutes les lignes de fragmentation du capitalisme. Nous faisons face à une œuvre qui pourfend à la fois le patriarcat, les questions de classe, la binarité, le féminisme et les questions migratoires. C'est ainsi que l’œuvre d'Isabelle Solas, si elle déconstruit les discours justifiant la domination masculine, montre aussi la violence et l'absurdité des discours et mouvances TERF, dévoiement paroxystique du féminisme, qui contribuent comme beaucoup d'autres à la perpétuation de l'oppression. On ressort de ce documentaire marqué.e, transformé.e, révolté.e, mais aussi avec la sensation d'avoir voyagé vers un ailleurs, vers la possibilité d'un autre monde, la tête pleine d'espoir, d'espérances en l'avenir et d'admiration pour Claudia et Violetta qui osent subvertir et transcender les normes. Isabelle Solas signe ici une œuvre maîtresse, importante et nécessaire, une œuvre qui donne la parole à ceux qui en ont besoin et rend la lutte enviable.

Nos corps sont vos champs de bataille sera projeté dans le cadre du comité Luttes Victorieuses le 14 juillet à 14h00.

Sophie CALDARA

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