C'est une plongée au cœur du journalisme d'investigation que nous propose Naruna Kaplan de Macedo dans les coulisses du journal Médiapart, tandis que l'élection présidentielle de 2017 bas son plein. Alors que les coups d'éclats s'enchaînent, la réalisatrice nous livre un documentaire éminemment politique et engagé autour des médias et des institutions.
Sous des airs de reportage, la réalisatrice nous livre le quotidien des témoins d'un affrontement aussi intense qu'inattendu. Dès les premières scènes, l'envers du décor nous est montré, nous suivons les avancées des employés du média sous l'égide d'Edwy Plenel aux airs de vétéran ; le calme avant la tempête sera de courte durée. L'ambiance y est intimiste, non seulement nous suivons les journalistes en pleine action, mais le documentaire est aussi parsemé d'entretiens personnels où l'on peut voir l'un des journalistes débriefer sur la journée ou les événements en cours ; sont les rares moments où les femmes ont droit à la parole et à une tribune véritable. Comme si le travail des commentateurs de l'actualité ne s'arrêtait jamais dans un monde où les grands médias occupent une place d'influence majeure sur l'opinion publique, en particulier dans le cadre d'une élection présidentielle.
Alors que la gauche semble donnée perdante d'office, nous assistons à un essor de la droite et à son renouveau via la candidature désignée de François Fillon, pour qui la victoire semble toute tracée ; la droite libéral-conservatrice dispose d'un boulevard pour accéder au pouvoir. Après l'extravagance et le « bling-bling » du quinquennat Sarkozy, c'est le retour d'une droite traditionnelle, plus austère, à l'ancienne, comme le souligne Plenel ; une droite que les plus jeunes journalistes de Médiapart n'ont pas toujours connue, les différences générationnelles et l'idée d'un éternel retour sont plus présentes que jamais. C'est dans une ambiance morne que les journalistes de Médiapart assistent aux résultats de la primaire de droite, déjà résignés, alors que François Hollande annonce qu'il ne sera pas candidat à l'élection présidentielle. Et pourtant, un suspens s'installe peu à peu en filigrane des événements, doucement, mais sûrement nous commençons à sentir que rien ne se passera comme prévu à mesure qu'Emmanuel Macron semble se faire une place dans ce nouvel espace politique tandis que François Fillon dégringole dans les sondages suite aux révélations du Canard Enchainé sur une affaire d'emplois fictifs.
Alors que les plans d'ensemble s'enchaînent et nous rendent compte de la cohue générale au sein des locaux de médiapart, nous sentons la confusion s'installer dans les mentalités.
Le documentaire porte notre attention sur l'ascension du futur président Macron. Ce dernier se retrouve invité chez Médiapart alors qu'il n'est pas encore candidat, six mois plus tard, il est élu président de la République. Une escalade aussi rapide qu'imprévue sur laquelle nous sommes amené.es à nous interroger pendant toute la durée du film.
Outre Médiapart, le documentaire pousse à se questionner sur les médias en général et les nouvelles formes de communication qui émergent. C'est ainsi que des vidéos de Khaled Freak nous sont montrées à plusieurs reprises, il s'agit de montages effectués à partir de discours politiques, de l'annonce de François Hollande renonçant à briguer un second mandat aux longues tirades de Mélenchon jouant de ses capacités rhétoriques pour mieux pointer du doigt les précédents résidents de l'Elysée. De quoi se questionner sur les nouveaux médias émergents et le rôle d'Internet dans cette nouvelle sphère de communication.
Le film évoque l'omniprésence de la langue de bois et du sophisme en politique, ce monde où la vérité n'existe plus, où l'on ne sait plus qui croire, où le rapport de force est permanent et chaque échange ressemble à un combat de boxe sur une arène publique.
C'est dans ce contexte que tous se questionnent sur l'avenir de la gauche à l'issue du premier tour, alors que Benoit Hamon, le candidat désigné, vient de faire un score désastreux. Naruna Kaplan filme les journalistes qui discutent de la consigne de vote de Jean-Luc Mélenchon pour le second tour face à l'extrême droite, certains ne semblent pas fixés sur les conséquences réelles de l'élection d'Emmanuel Macron.
Le documentaire revient sur le climat de tension que représente la période d'entre deux tours, alors que l'extrême droite se retrouve au second tour sans que personne ne soit surpris . Macron adopte une attitude aux antipodes de celles de Jacque Chirac, son prédécesseur, traitant Marine Lepen comme une candidate comme les autres. Tandis que les valeurs démocratiques semblent se fragiliser certains reviennent sur les phrases et remarques sèches de Macron à l'égard des journalistes, moins conciliant encore que François Hollande son prédécesseur.
Alors que Médiapart invite à nouveau le futur président de la République à l'approche de l'échéance du second tour, nous ressentons la plongée vers l'inconnu que représente cette élection. La sensation de malaise est à son plus haut niveau, et si jamais une affaire qui pourrait changer un résultat en apparence tout tracé éclate au milieu du second tour ? Cette interrogation, prononcée au sein des locaux de Médiapart laisse pantois et suscite l'interrogation sur le fonctionnement de l'élection présidentielle, sur les tensions, les imprévus et les dangers qu'elle amène.
Depuis Médiapart sera projeté dans le cadre du comité Fuite de sens le samedi 8 juillet à 21h00.
Sophie CALDARA