Les déterminismes sont frappants d'inégalités et certains les subissent davantage que d'autres, à commencer par les habitants.es de quartiers ghettoïsés. Œuvre résolument engagée contre les disparités sociales, Daniel Bouy n'hésite pas à faire appel à la pluralité artistique et l'interdisciplinarité au cours de ce documentaire. Au-delà de l'image, c'est à une véritable pièce de théâtre que nous assistons, une pièce qui s'affiche comme une œuvre dans une œuvre. Car les femmes de Stains que nous suivons n'hésitent pas à mettre en scène leurs revendications et leurs vécus accompagnées d'universitaires, de journalistes et de comédiens. La complémentarité entre création artistique et revendications militantes et politiques est ici totale et aboutie.
D'un plan à l'autre, nous suivons ces femmes faire part de leur quotidien au sein d'une société fracturée et conflictuelle, le cadre magnifie la scène et fige la représentation dans le temps, la pièce aura lieu, mais les images resteront, souvenir éternel d'une parfaite alliance entre art et revendications politiques. Les jeux sur l'éclairage sont nombreux, jusqu'au recour au noir et blanc qui oriente la concentration sur le jeu des actrices et confère toute sa dimension théâtrale à l'œuvre.
C'est ce qui permet au réalisateur de nous proposer une œuvre intimiste et assumée comme tel, car nous assistons non seulement à la représentation, mais aussi à la préparation d'une mise en scène où nous voyons ces femmes faire face à la difficulté des répétitions, hésiter, recommencer, essayer diverses manières de jouer, et cela, jusqu'à être satisfaites de leur travail, jusqu'à ce qu'elles soient prêtes à porter leur message.
Et quel message, leur engagement est profondément social et actuel. A travers l’anecdote, l'ironie, la répartie, ces femmes nous dressent un portrait au vitriol des inégalités sociales au sein de l'éducation scolaire et répondent par une volonté assumée et affirmée de mettre en place des projets et structures d'éducation populaire.
Le recours à l'anecdote est fréquent dans ce monde où c'est avant tout les petits désagréments du quotidien qui rendent compte d'une réalité sociale. Nous voyons alors des mères discuter de leurs enfants qui ne trouvent pas de stages dans de grandes entreprises qui leur permettrait de quitter les quartiers ghettoïsés où ils ont grandi. Ces dernier.es sont condamné.es à se contenter de la boulangerie ou la charcuterie du coin, mais il ne faut pas évoquer les boulangeries parce-que c'est justement dans une boulangerie que le fils de l'une des deux actrice effectue son stage; le renvoi à un vécu trop direct dissuade alors son évocation dans un cadre qui se voudrait fictionnel, de quoi se questionner sur les limites de la représentation de l'intime et du quotidien, jusqu'où peut-on aller ? C'est la question qui se pose lorsque réel et fiction se côtoient jusqu'à la confrontation, à la fin il faut trancher sur ce qui peut-être dit ou non.
A travers cette mise en scène, c'est à une pluralité d'opinions et de conceptions des rapports sociaux que nous assistons. Non content de développer un discours alternatif autour de l'éducation, c'est à une déconstruction complète des idées reçues que nous assistons, qu'il s'agisse de la croyance en des enseignants incompétents ou celle d'un manque de sévérité envers les élèves tout est passé au crible au profit d'un discours plus humain et empreint d'empathie.
Entre critique de l'entre-soi ethnique, de l'absence d'avenir pour leurs enfants, rien n'est épargné et c'est à une déconstruction complète d'un discours discriminant envers les populations confinées dans des ghettos citadins que nous assistons.
Documentaire résolument marquant sur les inégalités au sein de l'éducation scolaire, Femmes politiques est un véritable manifeste sur le racisme à l'école, sur la critique des structures traditionnelles d'éducation au profit de nouvelles structures plus horizontales, plus collectives, plus participatives qui tendent à l'éducation populaire, un facteur capital et primordial de l'émancipation des masses populaires.
Femmes politiques sera projeté dans le cadre du thème Luttes Victorieuses le dimanche 9 juillet à 10h00.
Sophie CALDARA