Une femme peut-elle réellement combiner réussite professionnelle et privée ? C'est la grande question qui semble être posée en filigrane du film de Marjane Satrapi, qui nous conte une version romancée du destin de Marie Curie.
De son difficile parcours à la sortie de ses études jusqu'à la consécration puis la solitude, c'est au récit d'une vie fragmentée que nous assistons, où les hauts et les bas nous font gravir des sommets puis tomber dans les abysses.
Film à l'intersection de plusieurs genres, l'histoire d'amour se trouve au cœur du récit et de la rencontre entre Marie Sklodowska et Pierre Curry, deux physiciens chimistes. Si la relation nous est présentée comme la colonne vertébrale de découvertes scientifiques majeures, le film est davantage l'histoire d'un deuil que celui d'une rencontre amoureuse ; l'intrigue s'attardant sur les longues années de célibat de Marie Curie dans une société patriarcale qui accepte mal la notoriété d'une femme. C'est alors à une véritable fresque historique aux perspectives féministes assumées que nous assistons. L'histoire racontée du point de vue de Marie Curie permet de prendre la pleine mesure des inégalités entre hommes et femmes et du conservatisme social ambiant, en particulier celui qui gangrène le milieu de la recherche. La protagoniste doit faire face à plusieurs reprises à des difficultés financières et ne trouve son salut que dans une rencontre impromptue avec un autre physicien renommé, expression ultime d'une société où les destins des femmes se retrouvent injustement placés entre les mains des hommes.

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Satrapi ne s'arrête pas là et aborde aussi frontalement les questions d'intégration et du racisme, la physicienne polonnaisse étant souvent confronté à une forte hostilité liée à ses origines de la part des Français. Quand on connaît le destin de la réalisatrice et son voyage de l'Iran vers l'Europe alors qu'elle était encore mineure, il est difficile de ne pas voir certains échos à son travail autobiographique dans la bande dessinée Persepolis et la sensation d'être seul face à la foule qui revient à chaque fois.
C'est à un long récit haletant que nous assistons, le film s'étend sur plus de deux heures et retrace une très large partie de la vie de Marie Curie jusqu'à porter notre attention sur le destin professionnel de ses enfants, qui doivent vivre avec tout le poids scientifique et la renommée de leur mère qui a dû les élever seule. Le suspens est omniprésent et il est difficile de prévoir à l'avance ce qui nous attend, le film prend vite une tournure dramatique intense où les rebondissements se succèdent alors même que l'histoire de Marie Curie nous est pourtant déjà connue, réussir à créer un tel effet de suspens dans ce cadre est probablement l'une des plus grandes prouesses du film. C'est là tout l'intérêt de romancer l'histoire originelle et d'y rajouter une dramaturgie qui magnifie le personnage.
Ce film confirme le virage artistique de Marjane Satrapi, à l'origine autrice de bande dessinée qui a su élargir ses formes d'expression sur d'autres médiums, jusqu'au cinéma en prises de vues réelles. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'essai en valait la peine. Entre un jeu d'acteurices de haute qualité, notamment servi par les performances de Rosamund Pike et Sam Riley, et une technique impeccable parsemée de recours à l'image de synthèse pour rendre compte de tout cet univers anxiogène que constitue la recherche en physique/chimie, la synthèse à de quoi transcender le spectateur pour une longue durée.
Si le film dénonce les conséquences particulièrement négatives du patriarcat, ce sont les relations hommes/femmes en général qui sont questionnées, en particulier la fragilité de ces relations lorsque l'on prend en compte tous les facteurs professionnels et culturels qui peuvent faire obstacle ainsi que les rapports de tout un chacun à la féminité et la masculinité. Marie Curie rencontre en fin de compte un destin similaire à celui d'un homme de son époque sur certains points.
Le film est globalement servi par un éclairage sombre et mystérieux qui donne toute sa tonalité dramatique, grave et intense au récit, le deuil est présent sur toute la durée, aussi bien pour signifier le deuil de l'être aimé que le deuil personnel et la culpabilité d'avoir fait une découverte aux conséquences dramatiques avant d'enchaîner sur le deuil de la guerre et la mort à grande échelle. Le monde scientifique qui nous est présenté nous apparaît aussi dangereux qu'étrange et intrigant teinté d'un climat introspectif fort autour des protagonistes via des cadrages en gros plans réguliers sur leur visage où toutes leurs affres peuvent se lire dans leurs regards de scientifiques aussi passionnés que dépassés par leurs découvertes.
Radioactive sera projeté en plein air, halle Saint Volusien le 9 juillet à minuit.
Sophie CALDARA