Propos recueillis par Olivier Pratte
Avez-vous toujours vécu à Erevan?
Je suis né à Erevan dans une famille de musiciens. Même si j’ai poursuivi des études en Allemagne et aux États-Unis au Berklee College of Music de Boston, je dirais que c’est vraiment à Erevan que j’ai été formé. Pendant huit années, je suis allé à l’école de musique de mon quartier natal, Yerrord Mas, et puis pendant les cinq années suivantes, au Conservatoire musical d’État d’Erevan, dont l’éducation conservatrice, postsoviétique axée sur la musique classique m’a fourni de bonnes bases (même si je passais du temps à écouter Snoop Dog et à porter des baggy jeans).
Après avoir vécu et travaillé à Los Angeles pendant 12 ans, je suis revenu à Erevan en 2022. J’imagine qu’on n’est jamais aussi bien que chez soi! Même si Erevan a changé, cette ville reste pour moi le meilleur endroit où vivre.

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Vous avez à l’origine choisi le violoncelle ou...c’est plutôt lui qui vous a choisi?
Quand ma mère m'a emmené à l'école de musique à l'âge de 6 ans, c’était pour que je pratique le piano, que je connaissais déjà un peu. Mais un professeur, celui allait d'ailleurs devenir mon professeur, m’a conseillé d'étudier le violoncelle. Ma mère aimait l'idée et l'instrument. J’ai aussi appris la guitare basse et la contrebasse pendant mon adolescence, mais le violoncelle ne m’a jamais quitté. On peut dire qu’il m’a choisi.
Est-ce que vous savez ce qui a poussé ce professeur à vous conseiller le violoncelle?
En fait, à mon arrivée à l’école, j’avais regardé furtivement ce professeur tenant ce truc de bois qu’on appelait violoncelle. Faut croire qu’il a remarqué le regard que j’avais lancé dans sa direction. Je crois aussi qu’il a vu un potentiel en moi, et même si j’étais réticent à l’idée de m’investir dans le violoncelle, on peut dire qu’il m’a mis sur le droit chemin. Pendant des années, je n’ai que pratiqué le violoncelle parce qu’on me poussait à le faire. Je le faisais sans amour, parfois avec un désir de tout balancer. Un jour, je suis arrivé à la seconde place d’un concours de violoncellistes à Erevan. J’ai alors compris que si je m’investissais plus, je pouvais me rendre plus loin.
On dirait que ce nouvel entrain vous a mené à faire des incursions dans plusieurs genres, à votre façon, en dehors de la musique classique. On vous connaît sur la scène de jazz, la scène de l’électrique, même celle du rock. Est-ce que vous avez découvert une polyvalence au violoncelle?
Oui, je me suis rendu compte que le violoncelle est un instrument aux possibilités infinies. J'aime l’hip hop et le jazz depuis mon plus jeune âge, et j’ai fini par vouloir incorporer ces genres à mon instrument. Je voulais que mon violoncelle rende ma musique encore plus funky, jazzy et edgy. J'ai aussi un projet de violoncelle solo qui est très ambient. Et je travaille aussi beaucoup avec des artistes électroniques arméniens – à Los Angeles, en France et à Ereva – comme BeiRu, Shau, Mesrop, Dawatile.
Le jazz occupe une grande place dans votre vie. Qu’est-ce qui vous a initié au jazz?
C'est mon père, grand amateur de jazz, qui m’y a initié. Il avait la plus grande collection de disques d’Erevan. Quand j’ai entendu l’album The Sun Don’t Lie de Marcus Millers, j’ai voulu apprendre la basse. Et même si c’est surtout le violoncelle que j’ai appris, j’ai emprunté une bonne partie de la façon de jouer de Marcus Millers. J’adore son groove, ses mélodies. Stanley Clarke m’a également beaucoup influencé, sans compter Jaco Pastorius, Sranley Clarke et Avishai Cohen. Cela dit, je ne me considère pas comme un musicien de jazz. Je fais ce qui me rend heureux.
Est-ce que la scène du jazz est importante en Arménie?
Tous les genres musicaux sont pris au sérieux en Arménie. La musique classique est très prisée, le rock aussi, mais c’est vrai que nous avons un penchant pour le jazz. Nous avons des artistes mondialement connus comme Tigran Hamasyan et Arto Tuncboyacian, avec lesquels je travaille beaucoup. Je pense que la partie émotionnelle et l'aspect rythmique de ce genre sont très proches de nous. Si vous écoutez un musicien arménien de jazz ou même un musicien classique, vous verrez qu'il est très émotif et passionné. Je suppose que nous sommes nés comme ça.
Comment s'est formé votre quartet, le Yerevan Calling Quartet ? Aviez-vous déjà joué avec les autres membres du quartet avant sa création?
Yerevan Calling s'est formé en 2022-23 quand j'ai finalisé les membres du groupe, des gens que je connaissais depuis longtemps et un jeune batteur, qui s’est avéré être meilleur ajout au groupe. Yerevan Calling est comme une fraternité, un groupe familial.

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Est-ce que vous nous réservez un nouveau morceau pour Un week-end à l’Est?
Notre premier EP sortira le 20 décembre sur toutes les plateformes numériques avec 3 titres, que nous dévoilerons au public au festival.
Est-ce un défi pour vous d'accompagner le film Chor and Chorchor de Hamo Bek-Nazarian ?
Chor and Chorchor est une comédie très unique, mais mon but est d'apporter une approche complètement moderne à la bande-son. Tantôt minimale, tantôt sombre et trippante. Parfois ambient. Cela donne un nouveau look au film. C'est un film vieux de 100 ans, donc plutôt épique pour l'Arménie!
Artyom Manukyan et le Yerevan Calling Quartet en quelques mots
Artyom Manukyan s’est d’abord fait connaître dans son Arménie natale et a voyagé à travers le monde en tant que plus jeune membre du groupe arménien primé aux BBC World Music Awards, l’Armenian Navy Band.
Il est aussi à l’aise sur les scènes de clubs de jazz, de salles de concert et de festivals de rock, jouant avec des artistes internationaux de premier plan, y compris Darryl « DMC » McDaniels de Run-D.M.C., Draco Rosa, Natasha Bedingfield, en composant pour le cinéma et la télévision ou en dirigeant son quartet électro-jazz. Il se produit également dans des émissions télévisées comme « Dr. Phil » et « Jimmy Kimmel Live », où il a rejoint Coldplay, Bono et Odesza pour des performances.
Le fait qu’il transcende les genres en jouant du violoncelle comme une basse a émergé d’une combinaison de sa formation au conservatoire et de son exposition à la musique des bassistes de jazz emblématiques tels que Jaco Pastorius et Marcus Miller.
Depuis son déménagement à Los Angeles en 2010, Artyom est très demandé en tant que musicien de session et compositeur de bandes original (Hannibal saison 2, Dear White People saison 2, Cartel Land, Zipper, Central Intelligence, Geostorm, Birth of a Dragon, Luke Cage), ainsi que pour jouer en live avec de nombreux musiciens (Everlast, Kamasi Washington, Melody Gardot, Daedalus, Flying Lotus, Peter Erskine, Hadrien Feraud, Charles Altura, MdCL, Tigran Hamasyan, Herb Alpert, Capital Cities, Vahagni, VOCE, Gretchen Parlato, Virgil Donati et bien d’autres). Il a également été artiste invité au New Direction Cello Festival en 2016.
Après le succès de son premier album solo, Citizen, et une tournée, Artyom a sorti deux disques : HILA, un album collaboratif avec le producteur de jazz électro français Dawatile Kiledjian, et Alone, un album solo.
Suivant ses préférences de jeunesse, il a composé et enregistré son troisième album « Rap-etoire », dans lequel il se produit en tant que rappeur.
En 2022, Artyom est rentré en Arménie et a activement intégré la vie musicale de la ville d’Erevan. Il joue dans différents ensembles et a formé son propre groupe, le Yerevan Calling Quartet. Ils jouent leurs propres compositions d’avant-garde fusion et de funk. Le Quartet s’est déjà produit lors de plusieurs grands festivals internationaux de jazz. L’objectif du Quartet est de populariser l’art du jazz en Arménie, de sensibiliser la société sur les problèmes sociaux et de collecter des fonds pour la restauration des lieux historiques de la capitale arménienne.