Propos recueillis par Olivier Pratte
Olivier Pratte : Votre film 12h08 à l’est de Bucarest met en scène un débat en apparence absurde autour de la question « Est-ce que la révolution roumaine a eu lieu dans une petite ville à l’est de Bucarest? ». Croyez-vous que cette question cherche aussi à combler un désir d’héroïsme chez les personnages du film ?
Corneliu Porumboiu : Je crois que la question est liée à la sensibilité humaine de façon générale. Il est très difficile de parler tout simplement de sujets politiques et d’être sur la même longueur d’onde. A travers mon film, je cherchais aussi à témoigner de l’impossibilité de se comprendre. Chaque personnage, tout comme chacun d’entre nous d’ailleurs, est dans sa bulle. L’héroïsme est aussi une fabrication. En imaginant le décalage temporel entre les personnages par rapport au moment de la révolution roumaine, j’ai pensé que chacun, en fin de compte, change sa version des faits de l’histoire pour survivre. Chacun se fait une construction psychique pour aller de l’avant. Et je me suis dit que chaque personnage allait garder en lui quelque chose de personnel de cette révolution et espérer que sa petite histoire fasse aussi partie de la grande histoire. Pour le personnage d’opérateur, par exemple, la révolution est très mathématique. Avant, après, pendant : pour lui, les évènements sont comptabilisés. Dans ma ville natale de Vaslui, plusieurs années après la révolution, une émission locale a inspiré mon film. En l’écoutant, j’ai été abasourdi par le fait de juger de sa présence à une révolution de façon si cartésienne, mais par la suite, j’ai compris que c’était une façon comme une autre de la vivre, au-delà de tout héroïsme.
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OP : Teniez-vous à montrer qu’il n’existe pas de façon juste de participer à une révolution ?
CP : Le but de mon film n’était pas de résoudre le problème de la révolution roumaine en soi, mais de présenter des petites histoires de gens que l’on ne retrouvera jamais dans les livres d’histoire et qui ont une perspective que je trouve intéressante. Par exemple, celle du personnage le plus vieux qui se rappelle avec regret avoir perdu la possibilité de vivre quelque chose avec sa femme – des vacances au bord de la mer – lorsque la révolution a éclaté. En pensant à la réalisation du film, j’avais une image à l’esprit, celle de trois personnes qui attendent le même train tout en étant enveloppées de brouillard. Dans le film, trois personnages arrivent à un âge où ils sont tous un peu perdus dans leur tête, et pourtant, ils tentent de recréer une histoire en fonction de leur propre mémoire, et qui finit par être romancée. Moi-même, j’ai fini par me demander ce que la révolution voulait dire. On a beau s’accrocher à ce qu’elle doit représenter, tout peut changer le lendemain. Le processus de vivre une révolution est très long, plutôt intérieur.
OP : Comment avez-vous mûri cette réflexion ?
CP : Moi, quand j’ai vu l’émission de télé de laquelle s’inspire le film, j’ai vécu quelque chose de très viscéral et me suis demandé comment pouvait-on parler et débattre de la révolution roumaine. Parce que pour moi aussi, elle était intouchable. Je l’avais vécue scotché à la télé auprès de ma famille après avoir fui l’école et alors que la tension était à son comble dans ma ville natale. Cela m’a énervé, des années plus tard, qu’on repasse l’évènement en revue. J’ai fini par éteindre le téléviseur, mais le souvenir de l’émission est resté gravé dans ma mémoire pendant longtemps. Des années plus tard, alors qu’elle occupait toujours mon esprit, j’en suis venu à la conclusion que des personnages comme ceux de l’émission, avec leur propre tristesse et leur propre bagage, méritaient d’avoir leur place à l’écran. Le film a très bien marché. Même si on peut parler de toutes sortes de concepts cinématographiques et d’effets, je crois que les personnages, la possibilité de s’y attacher et d’en puiser un sentiment universel font la force d’un film.
12h08 à l’est de Bucarest
21 novembre à 20h au Christine Cinéma Club
Infos : www.weekendalest.com