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Billet de blog 22 novembre 2021

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Todorov par Todorov ou D'un père né de sa fille

Son nom évoque une forme d’intelligence à la fois libre et créatrice et exigeante. Il renvoie, avec celui de Bakhtine, Jakobson, Benjamin, Foucault et quelques autres, aux grands émois intellectuels de la seconde moitié du XXe siècle. Léa Todorov nous parle ici de son père, le poéticien et historien des idées Tzvetan Todorov, à qui elle s’apprête à rendre hommage à la Maison de la poésie.

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Tzvetan Todorov naît à Sofia en 1939. À vingt-quatre ans, il s’exile à Paris pour fuir le communisme et le formatage idéologique. Théoricien de la littérature, il est un temps associé au structuralisme, aux côtés de Roland Barthes, et fonde la revue Poétique, avec Gérard Genette. Toute liberté intellectuelle retrouvée en France, son champ de recherche s’élargit à l’histoire des idées, avec deux grands axes de prédilection : la pensée humaniste et le totalitarisme. Tzvetan Todorov a exercé jusqu’à la fin son rôle de directeur de recherche au CNRS, loin des cercles, des écoles, des courants de pensée dominants, cultivant à sa façon son goût pour l’insoumission.

Léa Todorov est auteure, réalisatrice et productrice. Elle a notamment réalisé deux films documentaires, Sauver l’humanité aux heures de bureau (2012) et Utopie russe (2014), avec Joanna Dunis. Elle travaille actuellement à son premier long-métrage, Montessori (lauréat Émergence 2021).

 *

Léa Todorov, dans la présentation de votre projet de performance à la Maison de la poésie vous expliquez que votre père a quitté la Bulgarie, « lieu de l’enfance, mais aussi celui de la compromission individuelle et collective », pour commencer une nouvelle vie à Paris en laissant derrière lui une partie de lui-même ; et que depuis sa disparition, en 2017, vous retournez en Bulgarie chaque année en quête de « cet autre que [vous n’avez] pas connu ». Comme, entrant dans la maison d’un disparu, on cherche à reconstituer qui il était à travers les traces qu’il a laissées, menus objets, les livres dans la bibliothèque, la collection de disques. À quoi rêvait-il dans son lit, quelle vue avait-il depuis telle pièce… La « maison » a beaucoup changé, depuis l’enfance et la jeunesse de Tzvetan Todorov. Est-ce que la Bulgarie d’aujourd’hui se souvient de celle d’hier ?

Si le pays a changé, la maison des parents de mon père a été conservée à l’identique. Chaque meuble ou presque est au même endroit. J’y suis retournée avec mon père, puis sans lui. Seul le jardin se transforme, car les arbres poussent, envahissant de plus en plus le terrain. Cette invasion troublait beaucoup mon père – il répétait ce constat en boucle, de séjours en séjours. C’est sûrement une belle métaphore du temps qui passe et de notre rapport étrange aux métamorphoses qu’il opère.

Illustration 1
Léa Todorov dans la maison familiale en Bulgarie. © Léa Todorov

Vous dites que vous êtes « en quête d’une vérité dont la nature même se transforme ». Est-ce qu’au fil de votre (en)quête vous vous êtes aperçue que le processus, la quête elle-même, ne comptait pas moins que le résultat, ou la réponse obtenue ? Est-ce que dans cette quête de l’autre vous n’en avez pas appris d’avantage sur vous-même ?

Je me suis rendue compte lors du dernier voyage, en 2019, que ces séjours successifs m’avaient permis de faire connaissance avec la Bulgarie contemporaine mais avaient surtout accompagné mon deuil. Parfois, il me semble que mon père avait préparé ma recherche : les traces qu’il a laissées me donnent l’impression d’un jeu de pistes. Ici des lettres, des carnets, là un album de photos de famille légendé en français, un vinyle de comptines bulgares annoté et une chanson traduite – celle qu’il préférait ? Parcourir cet héritage me permet de me l’approprier.

Il y a le Todorov de ses idées, de ses essais. Le Todorov de ses livres. Et puis il y a votre père. Votre témoignage de fille. Votre regard privilégié, unique. Une conversation intime, quotidienne, ininterrompue avec un héritage vivant, toujours présent. Y a-t-il un point de rencontre où peuvent coïncider le père et le théoricien de la littérature et historien des idées ?

Mon père ne séparait pas l’intime et l’intellect. Sa pensée a été transformée par sa paternité – je suis son deuxième enfant - et sa paternité nourrie de ses idées. Il n’y avait qu’un « Todorov ». Lorsqu’il vante les mérites de la vie quotidienne, ce n’est pas théorique : chaque jour, il s’occupait de nous, nous aidant avec nos devoirs et nous préparant à manger. Avec ma mère, il formait un couple très moderne – ce dont j’ai pris conscience tardivement. La conséquence de cette unicité, c’est la familiarité que j’éprouve en lisant ses ouvrages alors même que je n’ai pas le sentiment qu’il nous imposait sa pensée dans de longs discours dogmatiques. Sa pensée a irrigué la mienne, m’a inspirée dans mes projets, m’a construite. Mais je ne la détache jamais de son dévouement aux autres, à ses proches. C’est ça – et non sa notoriété - qui a fait de lui un père exceptionnel.

Avez-vous eu l’occasion de filmer votre père ?

J’ai filmé mon père à son initiative lors d’un voyage en Bulgarie que nous avons fait ensemble en 2014. C’était son adieu à sa terre natale, mais aussi sa manière de nous mettre en relation avec son pays d’origine, avant qu’il ne soit trop tard. Le fait de pouvoir capturer 25 images secondes d’un être qui vous est immensément cher, accompagné d’un son direct, c’est magique : à chaque fois que je revois ces images, je retrouve mon père, intact, vivant, souriant. Le temps s’est arrêté, il se retourne vers la caméra et me parle.

Illustration 2
Tzvetan Todorov © Léa Todorov

À propos de votre prochain film, Montessori. Nous sommes en 1900, Lili d’Alengy est une cocotte parisienne au faîte de sa gloire, contrainte de quitter Paris pour cacher une fille déficiente dont elle ne veut pas. Elle fuit à Rome, où elle rencontre Maria Montessori. Il me semble reconnaître des thèmes qu’un Tzvetan Todorov n’aurait pas reniés : l’insoumission, la tyrannie du regard social capable d’étouffer les singularités, l’individu broyé par le collectif, le traitement de la différence…

Ce projet a pour origine un documentaire que j’ai co-écrit sur les pédagogies alternatives entre les deux guerres. Mon père aimait beaucoup ce projet, qui liait destins individuels (ceux des pédagogues) et grande Histoire – Maria Montessori était l’une de ces pédagogues. Je pense beaucoup à lui en travaillant sur ce nouveau film, mais pas seulement à cause des thématiques abordées. Aussi et peut-être surtout parce qu’il m’a transmis son goût pour un certain cinéma américain de l’après-guerre et que ses films de référence font partie de mon bagage de réalisatrice.

Fille, femme, réalisatrice. Et mère. Vous vous apprêtez, dites-vous, Léa Todorov, à transmettre l’héritage que vous avez vous-même reçu de votre père à votre fille, Sofia. Nous revenons à cette double articulation de l’intime et du public, de l’histoire individuelle et de l’histoire collective. De quels sentiments se teinte cet héritage, par rapport à celui que vous avez reçu de votre père, chez qui la Bulgarie n’est, forcément, pas tout à fait la même que vous, comme elle ne sera vraisemblablement pas la même pour votre fille ?

Dans le film que j’écris actuellement, il est beaucoup question d’éducation. En lisant une nouvelle version du scénario, l’une de mes collaboratrices m’a dit que, pour elle, le thème central du film c’était l’amour par l’apprentissage et l’apprentissage par l’amour, et que ça correspondait à ce qu’elle pouvait observer de ma relation à ma fille. Comme si ma manière d’aimer ma fille, c’est de lui apprendre savoirs et savoir-faire. Et que c’est mon amour qui lui permet d’apprendre, que c’est dans l’amour que la connaissance du monde peut naître. J’étais très touchée par cette lecture à la fois du scénario et de ma vie puisque j’y voyais l’héritage de mon père, qui m’a aimée et m’a éduquée dans le même mouvement.

« Tzvetan Todorov, la Bulgarie et moi », une performance par Léa Todorov, le 26 novembre à 19h, à la Maison de la poésie.

« Tzvetan Todorov de Sofia à Paris, et retour ? », avec le philosophe André Comte-Sponville et Stoyan Atanassov, professeur de Littérature française à l’Université de Sofia. Conçu et animé par Catherine Portevin, chef de la rubrique livres pour Philosophie Magazine. Second volet de l'hommage à Tzvetan Todorov, par de proches amis et spécialistes de son oeuvre, le 27 novembre à 19, à la Maison de la poésie.

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