Il n’a fallu que quelques mots à Elene Naveriani (à la réalisation) pour se convaincre de raconter l’histoire d’Ethéro sur grand écran. Ces mots sont ceux de la première phrase du roman Merle, merle, mûre de Tamta Mélachvili, dont est adapté le long métrage présenté cette année à la Quinzaine des cinéastes à Cannes :
« Même si j’ai déjà un pied dans la tombe et que mon sang coule à peine, comme une source après une longue sècheresse, mes ovaires picotent au début de mes règles, comme ils le faisaient lorsque j’étais encore jeune. »
L’amour qui déboule
Ethéro, interprété par Eka Chavleishvili, a la quarantaine bien passée. Mais c’est comme une seconde jeunesse qu'elle s'offre lorsque l’amour déboule sans prévenir dans la modeste droguerie qu’elle tient dans un village géorgien. Le livreur lui plait. Il ne fallut que quelques échanges de regards avant qu’ils ne fassent l’amour.

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Pourtant, cette « femme puissante », comme l’a présenté au micro la marraine du festival, Nana Ekvtimishvili, revendique son indépendance. Jusqu’alors, il n’y avait eu ni homme, ni sexe dans la vie d'Ethéro. Cette rencontre bouleverse alors tout son quotidien. Elle relit avec émotion les SMS de son nouvel amour, les pieds croisés sur le rebord du lit, non sans rappeler la posture d’une adolescente éprise par les sentiments d'un premier amour, comme cette stratégie délibérée de prétexter un numéro composé par mégarde pour que son amoureux la rappelle.
Pendant près de deux heures, Ethéro est tiraillée entre d'un côté son envie de garder son chez-soi, ses choix, sa liberté, et de l'autre son désir d’accueillir l’amour et les contraintes qu’il peut faire accoucher. Ses voisines ne manquent pas de lui rappeler son statut de femme non désirable aux yeux de la société parce que grosse, disent-elles, parce que mal vêtue, parce que seule, parce que célibataire : l’archétype de la "vieille fille".
L’indépendance contre le patriarcat
Mais Ethéro refuse de se soumettre aux injonctions. « C’était important pour moi de montrer cette pression de la société sur elle », raconte Elene Naveriani, présente à la rencontre post-projection avec la salle. « Nous sommes toutes et tous influencé.es par le patriarcat dans nos manières de communiquer. Et je pense que beaucoup de femmes aimeraient affirmer leur indépendance comme Ethéro mais n’en ont pas la force. »

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La force d’Ethéro, justement, c’est de dire non à son amour qui lui propose de tout quitter pour vivre avec lui. Les sentiments sont toujours là, mais elle refuse : hors de question de s’adapter à la vie d’un autre homme. Elle entend continuer à mener sa vie comme elle le veut. « Après le roman, je voulais donner une seconde vie à Ethéro au cinéma », confie Elene Naveriani. « Cela me manque de ne pas avoir plus de personnages comme elle à travers le cinéma et la littérature. Car pourtant, je vois beaucoup d’Ethéro autour de moi dans mon quotidien. Son personnage est universel. »
Changer les regards sur le corps
Le film est un véritable succès en Géorgie. « 20 000 personnes l'ont vu à Tbilissi. Mis à part pour James Bond, je n’ai jamais vu ça ! », plaisante Elene Naveriani. Sans doute, cela est dû au regard neuf que porte la cinéaste sur le corps. Le spectateur est en effet plus habitué aux jeunes corps qui copulent à l’écran qu’à ceux de deux quasi cinquantenaires : des peaux avachies, bedonnantes, flasques, qui ont vécu.
« Il y a une volonté politique de montrer des corps que l’on n’a pas l’habitude de voir », estime Antoine Guillot, journaliste chez France Culture, ce que confirme Elene Naveriani : « Cela fait longtemps que les corps des femmes sont colonisés. L’idée, ici, est de montrer quelque chose de très beau qui n’a pas la légitimité d’exister dans notre représentation du monde. Je voulais qu’au fur et à mesure du film, le/la spectateur.trice normalise son regard vis-à-vis d’une esthétique des corps à laquelle elle/il n’est pas habitué.e »
Retour d’expérience en provenance de la salle : « J’ai mes meilleures copines qui ont vu le film en Géorgie. Durant la projection, des personnes ont manifesté le fait qu’elles ne voulaient pas voir ces vieux corps à l’écran. Et d’autres spectateurs – plus âgés – leur ont signifié "Mais si ! Laissez-nous voir". »
Sortie dans les salles en France le 13 décembre 2023.
Retrouvez toute la programmation cinématographique et culturelle sur le site du festival "Un Week-end à l’Est".

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