Il faut sauver l'éleveur bovin français !
Le soutien des pouvoirs publics à la profession, aussi inaudible dans ses revendications que sinistrée, dans le bras de fer si déséquilibré qui l’oppose pour sa survie à la grande distribution, est de l’ordre de la nécessité impérieuse. Question de vitalité pour des territoires ruraux déjà largement perdus pour une activité productive qualitative complexe, à haute valeur ajoutée "patrimoniale". Enjeu de santé publique, également.
Combien de divisions, du côté des éleveurs ? Quels interlocuteurs ou relais avertis au sein de la haute fonction publique, quels réseaux d’influence et porte-voix lobbyistes issus de leurs rangs ou de formation agronomique auprès des exécutifs, de la représentation nationale, quand, de Carrefour à Auchan en passant par Casino, le top management, les conseils d’administration et l’actionnariat des groupes concentrent ex-chefs de cabinets ministériels et anciens membres du gouvernement ? Par ailleurs, avec 210.000 derniers exploitants au revenu annuel moyen de 12.000 euros, quels leviers auprès des élus et partis politiques ?
À la décharge des actuels gouvernants, la déplorable mort annoncée du cheptel hexagonal fait figure de dommage collatéral du développement de l’agrobusiness initié aux État-Unis dans la décennie soixante-dix, au détriment des systèmes agricoles et alimentaires traditionnels. Une politique orchestrée par Earl Butz, chairman du leader de l’alimentation animale Ralston Purina Company, devenu le secrétaire d’État à l’agriculture de Richard Nixon.
L’intensification à l’œuvre, qui privilégiait certaines productions végétales pour partie valorisées dans l’alimentation des animaux de rente, s’y est heurtée à la difficulté de transposer les schémas de rentabilité des céréales et oléagineux à la production animale, notamment de viande bovine, le chronophage process d’engraissement requérant l’intervention d’une main d’œuvre qualifiée et quantitativement incompressible. Un obstacle contourné par l’injection massive de stéroïdes anabolisants à des animaux à la masse musculaire de ce fait accrue -en un temps record-, mais pauvres en graisse.
Restait à faire avaler au consommateur une viande qualitativement inférieure car moins savoureuse, et… à lui en faire "gober" le bénéfice nutritionnel.
Viande hachée, assaisonnée à la sauce «fast-food» ou cuisinée à coups d’arômes artificiels, sous-produits recyclés dans la composition du petfood atterrissant dans les gamelles : la transformation cache-misère compensa la déperdition gustative.
Le bobard sanitaire, lui, fut l’affaire de l’étude dite «des sept pays», présentée à l’OMS par le nutritionniste Ancel Keys en 1955, et opportunément ressortie des tiroirs. Sur la foi des résultats correspondant à sept des vingt-deux pays étudiés, soit un panel constitué de manière à conforter la conclusion d’une corrélation entre taux d’acides gras saturés (essentiellement contenus dans les produits carnés et laitiers) dans l’alimentation et risque d’accident cardiovasculaire, son auteur y stigmatisait ces graisses animales présentées comme dangereuses. Pourtant taxé de supercherie dès sa publication, ce cas d’école de la manipulation n’a cessé depuis d’influer -outre-Atlantique comme en Europe- sur les politiques publiques en matière de nutrition et de santé, faisant office de caution au progressif "remplacement" dans l’alimentation des lipides d’origine animale par les graisses végétales moins coûteuses à produire, et surtout par les carbohydrates (soit les glucides ou sucres) issus notamment des céréales. Des carbohydrates "poisons" des diabétiques autant que "moteur à explosion" de l’obésité dont on peut dater de cette période les prémices dans la population américaine. Le McGovern Report de 1977 (Dietary Goals for the United States) qui à son tour préconisait une telle "substitution", formulée dans le «low-fat, high-carb diet», entérina cette orientation "à but lucratif" vers une alimentation à hauts risques.
L’abattage de bovins dans notre pays a régressé de 40 % entre 1980 et 2014, la consommation annuelle de viande bovine par habitant chutant dans le même temps de 33 à 23 kg. C’est qu’avec leur production, les États-Unis ont "exporté" leur modèle agroalimentaire, au même titre que les pathologies par lui générées. Au nombre de 1,6 millions en 2000, les diabétiques, en France, sont à présent 3,7 millions.
Alors que tout porte à croire que le Traité transatlantique de libre-échange est en passe d’achever l’élevage bovin français, via le déferlement attendu d’une viande américaine produite dans l’irrespect des cahiers des charges tels qu’imposés à nos compatriotes par les autorités européennes, il n’est que temps de prendre la mesure des colossaux intérêts en jeu, en termes d’économie tant de la santé que des territoires, dans la pérennité ou au contraire le sacrifice de la filière, et d’engager l’inversion de la tendance.
Frédéric Hébraud, Vétérinaire, auteur de Le Diabète, un crime organisé.