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Billet de blog 9 février 2017

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Rien ne sert de courir, il faut bâtir ensemble

Fik's Niavo est un artiste militant et engagé issu d'un quartier populaire de la ville des Ulis. Il fait ici le bilan de l'année 2016 et constate que le début de l'année 2017 est du même acabit. Entre attentats, violences policières, nuit debout, etc, il nous livre une lettre ouverte dans laquelle il nous invite à dépasser le «vivre ensemble» pour enfin «faire ensemble».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

2016 est passé. Année de violence, année d’indifférence. Saison 2 de l’Etat d’urgence. Saison 5 des attentats. Saison 7 du débat sur l’identité nationale, façon guerre civilisatrice assumée. Saison 33 des crimes policiers. Dernière saison pour bien trop de nos héros, de nos idoles, et de nos proches. 

Comme en 2015, l’année 2016 a tué. On a pleuré en mode express, relayé en mode express. Certains ont légiféré en mode express, et les autres paient, en mode sévère.

La Haine © kazozy

Un petit peu plus loin que le bout de notre nez, l’Angleterre est sortie de l’Europe et fait la chasse aux immigrés. Une star de télé-réalité millionnaire qu’on prenait pour un clown a pris la tête des Etats-Unis. Alep à été bombardée et détruite sous nos yeux et smartphones, les horreurs au Congo et en Birmanie se sont poursuivies en toute impunité, l'esclavage en Mauritanie a peiné à être dénoncé, et on a appris que les gisements de pétrole découverts au Sénégal intéresseraient « clairement » la France, dixit le Premier Ministre de l’époque, Manuel Valls. Tout au long de l’année, l’ONU nous a fait l’effet d’une mauvaise farce, nos mers sont devenues des cimetières encombrés, nos rues un refuge glacial pour nos sans-abri et migrants qu’on préfère ignorer, la bêtise et méchanceté humaine allant même jusqu’à opposer leurs misères dans les réseaux sociaux. 

Ma France s’est mise en « mode avion ».

Le premier de l’an, on s’est souhaité la bonne année, comme si on passait en mode reset, et que les nouvelles tragédies annoncées n’allaient pas se dérouler… et puis il y a eu le mois de janvier.

2017 est là. 2017 fait mal.

Chez nous, des candidats de toute part nous promettent de nous sauver, à condition qu’on leur fasse confiance et qu’on retourne se coucher. 

Mais une partie de la France, ma France, celle dans laquelle j’ai grandi, a décroché. Parce qu’elle a eu beau pleurer ses morts avec son pays, elle a été tenue responsable de leur sort. Elle a eu beau être bleue pour l’Euro, rouge contre la loi travail, et passer la nuit debout, elle n’a servi qu’à grossir les rangs de ceux qui ne veulent pas d’elle à leur table.

Tous les partis politiques nous ont déjà signifié qu’on en demandait un peu trop, et rappelé à notre place désignée… Pardon…de ne plus rien attendre des élections.

Je suis un gosse des années 80, ado des années 90, jeune adulte des années 2000. J’ai applaudi et pleuré toutes nos victoires et tous nos échecs, qu’ils soient politiques, culturels, intellectuels ou sportifs.

Aujourd’hui, je suffoque. J’ai l’impression d’être coincé dans une colocation toxique. Le genre où on se laisse des messages pour se rappeler de payer une facture sans jamais prendre des nouvelles les uns des autres. Où les « c’est pas mon problème » répétés génèrent un incendie meurtrier dont on cherche tous immédiatement à se dédouaner, sans vérifier qui on peut encore sauver. 

Avant, on y vivait ensemble. Malgré les difficultés, nos tentatives me semblaient bien plus  abouties qu’à l’heure actuelle… Mais en transformant notre salle à manger en boîte de production de culture instantanée, radicalisation express, deuil éclair, analyses précipitées, indignations ponctuelles et mobilisations virtuelles, la seule destination qu’on a atteinte, c’est le mur de la division.

Oui, on vit sous le même toit, mais on ne se parle plus. Cloîtrés dans nos chambres, on se penche sur notre écran, on déverse notre colère en 140 caractères, et on finit par se contenter de l’avoir fait avant de se mettre en « mode avion », et allumer une série pour s’évader.

Pop corn.

Une nécessaire et conditionnelle fraternité.

Après ce premier mois de 2017, je n’ai plus qu’une certitude : il n’y a pas de pas de sauveur ou de sauveuse à attendre ici-bas. Il est temps de remettre une grande table dans la salle à manger, et de réapprendre à se rencontrer. Se demander où sont passés tous ces « jeunes des quartiers » des années 90 qui jouaient ensemble, traînaient ensemble, faisaient ensemble. Et pourquoi ces derniers, devenus parents, éducateurs et éducatrices, ingénieurs, entrepreneurs, artistes, sans emploi ou fonctionnaires, semble se désintéressés de la maison qui brûle.

Parce qu’admettre que la maison brûle ne veut pas dire se résigner, mais regarder en face les ravages que créent l’indifférence, prendre la responsabilité d’un échec collectif. Comprendre que nos faiblesses sont notre faiblesse.

Apprenons de ceux qui nous ont quittés.

L’an passé a été une année qui même sur le plan artistiques ne nous a pas épargné ses pertes tragique : David Bowie , Prince, Papa Wemba, Georges Michael et bien d'autres nous ont quitté. 

L'un de mes héros toutes catégories confondues s'en est allé aussi en 2016 tout  en nous laissant un message de lutte, de confiance en soi et surtout de dignité qui s'applique à chacun d'entre nous:

«Que ce soit sur le ring ou en dehors, il n'y a rien de mal à chuter. Par contre ce qui est blâmable c'est de rester au sol»… Repose en Paix Mohamed Ali.

Mettons fin à ce « vivre-ensemble » version slogan creux, marque déposée d’une élite dont la seule référence est l’entre soi. Il ne suffit plus, parce que là où la victoire exclut, la défaite n’inquiète plus.

Ce qu’il est urgent de penser, ce sont les conditions du « faire ensemble », parce que pour créer des lances anti-incendie à la hauteur des dégâts, on aura besoin toutes nos forces, et de toutes nos expertises. Et on ne peut pas les mobiliser en faisant l’économie d’une écoute de celles et ceux à qui on a fait comprendre qu’ils ne servaient qu’à tenir les murs, ou les réparer.

Alors rendons hommage à la sagesse de ceux qui nous ont quittés. Apprenons de nos erreurs pour pouvoir nous relever. Nous sommes au début du mois de Février et il n’est jamais trop tard pour vous souhaiter malgré tout une bonne année 2017 !!!

Fik's Niavo - WAKE UP (lettre à nos jeunes) feat. Gyver Hypman © KartierGeneralTV

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