
Le "casseur", une attaque par l'absurde:
Pourquoi appelle t’on les manifestant-e-s qui revendiquent une opposition politique par la destruction matérielle des casseurs ? Il est probable que votre première réaction sera de dire « peut-être parce que justement il casse ?... ». Pourtant, rien ne coule de source avec l’utilisation du terme casseur. Celui-ci renvoie l’individu à son action en la découplant de toute intention. Là où nous pourrions désigner l’individu par ses revendications politiques (ses intentions), par son appartenance sociale (ses origines) ou par ses revendications, nous le désignons uniquement sur une de ses actions. Alors que le « casseur » scande des slogans politiques, il n’est pas le scandeur. Le casseur se déplace, cours, mange, travaille. Il n’est pas le déplaceur, le coureur, le mangeur, le travailleur.
Ainsi en utilisant l’appellation casseur nous nous focalisons sur une de ses actions et seulement l’action. Pour imager ce phénomène, nous transformons un vecteur en point. D’un point de vue plus artistique nous pourrions dire que nous transformons un film en une photo. Bref, en faisant cela nous privons le manifestant d’origine, d’intention, de revendication.
Cela en va de même d’ailleurs pour le terme « Black Block » qui fini désormais par qualifier un individu. Nous avons une personnes qui peut être un block à elle toute seule, nous pourrions croire à du Renaud « je suis une bande de jeune à moi tout seul ».
Dans le même temps, l’ensemble des personnes présentent autour de ces casseurs ou blacks block sont animées. Pour la plupart ce sont des manifestants, des citoyen-ne-s. En opposition nous avons les « force de l’ordre » dont le terme indique plus leurs fonctions que leurs actions. Si nous appliquions la même règle que ce que nous avons appliqué au casseurs, la situation serait la suivante:
« Les gazeurs ont encore une fois gazé après avoir encerclé la place. Les marcheurs ne savent plus vraiment où marcher. Les "casseurs" ont commencer à casser, c’est très impressionnant ces flammes. Retour sur le plateau avec nos différents parleurs. Que pouvez-vous dire à nos écouteurs sur ce qu’il se passe ? Demande le directeur des parleurs ».
L’effet semble très déroutant, le récit n’a plus de sens, c’est justement ici le problème… Le sens.

Quand l'intention du casseur devient mon intention:
Lorsque nous utilisons l'appellation « casseurs » (d’ailleurs passons sur le côté sexiste avec l’absence de casseuse, nous pourrions faire un article à ce sujet), en ne saisissant qu’une action dénuée de tout contexte, nous créons un contexte absurde. Une absurdité qu’a dû mal à considérer notre cerveau, car pour lui les choses ont une origine et une fin. Si je vous montre une photo d’une pomme entre ciel est terre, vous savez qu’elle vient de se décrocher. Le cerveau recompose des histoires. Nous allons donc dans ce cas essayer de recomposer l’histoire de notre casseur. Pourquoi casse t’il ? Quelqu’un ou quelque chose doit l’animer.
A cette interrogation, plusieurs réponses classiques viennent s’additionner. Une vision très à droite fondée sur des représentations de l’ordre aura tendance à dire « c’est une rebellions faite par des invidivus pas assez réprimandés. Il faut fixer des limites ». Réponse qui joue sur une vision patriarcale viriliste avec l’idée qu’il faut un père sévère imposant une domination forte pour qu’un individu se construise correctement. Ce n’est pas un hasard si cette théorie est souvent défendue la police qui est « la force de l’ordre ».
Une autre vision consistera à dire qu'ils ont été payé, réponse classique dans un univers de marchandisation. Lorsque l’on veut une pizza, on l’a paye, si l’on veut que quelqu’un fasse le ménage chez nous, nous le payons. Visiblement la manifestation devient illégitime à cause des « casseurs », ceux qui y ont intérêt les payent. Croire et relayer cette information est donc la logique même, c’est créer du sens face à un terme qui n’en comporte pas.
Le problème, c’est que bien souvent nous sommes amenés à confronter l’absurde en y accolant nos réponses. Nous allons rechercher dans nos représentations ce qui peut animer les « casseurs ». Pourtant, il suffit de s’intéresser tout simplement aux individus qui le font pour voir que cette pratique n’est en réalité pas une casse. Dérivée de la propagande par le fait anarchiste, les « gens en noir » détruisent les biens qui ont une emprise symbolique sur nos représentations1. Lorsqu’ils ou elles cassent une vitrine, cela n’est pas contre le verre, mais contre le fait qu’il est un élément d’une structure banquaire présente pour rappeler l’importance du système financier. La destruction n’est qu’un moyen pour une reprise du contrôle de la rue, reprise du contrôle de ses propres rêves.
Si nous les avions appelé les « propagandiste par le fait », les « anti-capitalistes » voir même pourquoi pas « anti-ordriste »2, il aurait été plus difficile de les imaginer allié-e-s avec la police. Si je vous dit des « anti-capitalistes » qui se vendent à des policiers pour les aider dans leurs missions, je ne pense pas que cela va vous sembler cohérent. Mais si ce sont « des casseurs », pourquoi pas...
Conclusion, cette attaque est une leçon:
Nous pouvons tirer de cette observation plusieurs conclusions. Tout d’abord, que la manipulation est passé là encore par les mots. Elle s’est divisée en trois étapes :
1 – Définir des individus uniquement par l’une de leurs actions en les découplant du reste de leurs humanité (origines, intentions, revendications...).
2 – Une fois le mot assimilé, l’intention disparue, la question de l’intention se pose à nouveau (« pourquoi casse t’il ce gros naze ? »).
3 – Répondre par ses propres représentations alors que le groupe social est visiblement différent de nous puisque lui casse et nous non.
Il ne faut donc jamais perdre le combat des mots, celui-ci est essentiel. Les différents représentants et figures symboliques ne devraient pas reprendre le terme. A la question « êtes-vous d’accord avec les casseurs », il faut répondre « je ne sais pas ce qu’est un casseur. Par contre, sur la question de la propagande par le fait je pense que [...]». Quelque soit votre avis, que vous soyez d’accord où non avec cette stratégie politique, il ne faut pas laisser les inquisiteurs faire leur travail de sabotage par le vocabulaire.
La deuxième observation est qu’il faut relativiser la distinction prophétique de « vraie information » « fausse information ». Dans le cas de ces rumeurs, il y a du vrai. Le discours sur les intentions des « casseurs » nous en dit long sur les représentations de celui qui l’énnonce.
1Voir le dossier de Taranis News https://search.lilo.org/results.php?q=taranis%20news%20black%20block&page=1 ou https://radioparleur.net/2019/09/22/black-bloc-possible/
2Puisque souvent la critique des personnes qui font des barricades portent beaucoup sur la question de l’ordre. Rester sur le chemin établit, c’est rester sous le jouc de l’ordre de l’État donc le désordre de notre humanité.