fjoseph65

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 décembre 2025

fjoseph65

Abonné·e de Mediapart

Colère agricole : sortir du piège de la fausse alternative

Sommé de choisir entre les technocrates de l'agrobusiness et les incendiaires d'un nouveau poujadisme, le monde agricole étouffe. Ce duel en trompe-l'œil masque l'essentiel : la complicité de deux systèmes qui broient le paysan. Contre la rente et la haine, une autre voie existe, celle de la justice sociale : placer le revenu et l'humain au-dessus du marché.

fjoseph65

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La détresse qui embrase nos campagnes n'est pas un fait divers, c'est le symptôme violent d'un système à bout de souffle. Pourtant, la grille de lecture imposée sature l'espace public d'un choix impossible : d'un côté la respectabilité institutionnelle de la FNSEA, de l'autre la fureur insurrectionnelle de la Coordination Rurale. Ce récit est un leurre. Il masque la complicité objective de deux forces qui, chacune à leur manière, précipitent la fin de la paysannerie française au profit d'une agriculture sans agriculteurs.

Les architectes de la faillite

Il faut d'abord nommer les responsables historiques de la débâcle. L'hégémonie du syndicat majoritaire, la FNSEA, ne doit plus faire illusion. Ce syndicalisme de cogestion, qui écrit les lois main dans la main avec l’État depuis quarante ans, porte l'entière responsabilité du désastre actuel.

Représentants d'une agriculture de firme bien plus que de ferme, ses dirigeants ont planifié la concentration foncière et la course aux volumes qui agissent comme une impitoyable lessiveuse sociale. Ils vitupèrent aujourd’hui contre l'excès de normes tout en siégeant dans les conseils d'administration des coopératives et de l'agrobusiness qui étranglent les producteurs. Leur défense du productivisme n'est pas une protection des faibles, c'est une sélection naturelle économique. Voter pour eux quand on est un petit exploitant, c'est valider le système qui organise sa propre disparition.

L'impasse du néo-poujadisme

Face à cette faillite des élites, la Coordination Rurale tente d'incarner la révolte, mais elle ne propose qu'une impasse politique dangereuse : celle d'un néo-poujadisme agraire. Il est impératif de qualifier cette dérive pour ce qu'elle est. En remplaçant l'analyse économique structurelle par l'invective anti-fiscale et le rejet viscéral de l'État, ce mouvement réactive les vieux réflexes du corporatisme réactionnaire des années 50.

À l'instar de Pierre Poujade en son temps, ces tribuns flattent les bas instincts en désignant des boucs émissaires faciles — l'écologiste, le fonctionnaire, l'Europe — pour mieux masquer l'absence de projet viable. Cette démagogie, qui sert objectivement de marchepied idéologique au Rassemblement National, repose sur un mensonge fondamental. La "liberté" totale qu'ils réclament est celle du renard dans le poulailler : dans une jungle dérégulée, le paysan isolé sera dévoré par la concurrence mondiale. Ce culte de la force, loin de défendre le monde rural, prépare le terrain à une violence sociale accrue.

Pour une rupture paysanne et émancipatrice

Refuser d'être broyé par la prédation industrielle ou instrumentalisé par la démagogie réactionnaire ouvre l'espace à une autre ambition. Il existe une voie de lucidité, portée par ceux qui refusent les estrades de la haine pour mener le combat sur le terrain de la valeur et de la dignité.

Cette alternative opère un renversement total de perspective. Elle ose affirmer que le mal qui ronge nos campagnes n'est pas la norme environnementale, mais la violence du marché. Contre la politique de la charité et des primes compensatoires qui maintiennent le producteur sous perfusion étatique, cette vision exige une justice économique immédiate : l'instauration de prix planchers garantis et l'interdiction stricte d'acheter sous le coût de revient. Il s'agit de reprendre la valeur là où elle est captée — dans les marges de l'agro-industrie et de la grande distribution — pour rémunérer enfin le travail.

Au-delà du revenu, c'est un choix de société. Là où le modèle dominant vide les villages pour agrandir les exploitations, cette approche défend une agriculture à taille humaine, riche en emplois, où l'on installe des voisins plutôt que d'accumuler des hectares. Elle scelle enfin un pacte nécessaire avec le vivant. Loin du déni climatique des uns et du techno-solutionnisme des autres, elle rappelle que l'agroécologie n'est pas une contrainte bureaucratique, mais la seule assurance-vie de notre souveraineté alimentaire. Contre les patrons qui nous exploitent et les populistes qui nous mentent, c’est cette voie sociale, solidaire et féconde qu’il nous faut impérativement soutenir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.