Nous sommes les jeunes qui s'apprêtent à affronter une nouvelle ère fasciste au pouvoir. Oui, nous avons suivi les cours d'histoire sur l'Allemagne des années 30. Nous avons entendu et compris les analyses d'Hannah Arendt sur les dynamiques du totalitarisme. Et pourtant aujourd'hui, nous voilà face à l'arrivée d'un nouveau fascisme s'apprêtant à mettre la main sur le pouvoir en France. Quand bien même l'Assemblée ne leur serait pas acquise en majorité, le mal ronge le pays. La défaite est amère pour les amateurs de matériaux intellectuels, elle semble invisible pour tant d'autres.
Ce texte, je ne l'écris pas pour le présent, mais comme un message, si futile soit-il, à destination de l'avenir. Car ne soyons pas dupes : si le fascisme a pu revenir aux portes du pouvoir une deuxième fois, il le pourra encore demain, de nouveau. En espérant qu'entre-temps, il soit évidemment vaincu, mais c'est là un combat dont je n'entends pas traiter ici.
Il est terrifiant de constater qu'en 2024, les idées les plus nauséabondes, directement héritées de celles de l'Allemagne nazie, puissent de nouveau prendre place et trouver écho en société, fût-ce à visage masqué comme la vermine fasciste en a le secret. Ne serait-ce d'ailleurs que grâce à la complaisance ou l'ignorance naïve. Cela semble être la situation de la majorité de l'électorat RN, de mon point de vue peu sociologique.
Quand bien même ce ne serait pas un vote d'adhésion totale, peu importe : le fait est qu'aujourd'hui, au soir du premier tour des législatives, le Rassemblement National arrive en tête des élections en France, son programme prêt à suivre. Sans s'attarder sur les raisons de ce vote, prenons acte de ce qu'il implique.
Nous qui avons suivi nos cours d'histoire, et avons cherché à les comprendre autant que possible à la lumière des jours présents (par exemple à travers l'excellente analyse de Johann Chapoutot dans Au poste), constatons l'échec d'un tel apprentissage. Mais nous voyons bien que l'histoire se répète. Bien que la Shoah, le massacre des Tsiganes, Homosexuels, Handicapés, Militants de gauche, et j'en passe, aient eu lieu, il semble que les leçons les plus terribles de notre funeste passé occidental restent encore à apprendre, fût-ce par une macabre répétition.
Car après tout, grand nombre des électeurs du RN n'apparaissent pas disposés à mesurer l'égale horreur qui peut encore advenir. Même parmi les nôtres d'ailleurs, militants de gauche, cette horreur ne saurait trouver de signe égal dans les politiques à venir. Comme s'il fallait que cette terreur se répète en des signes précisément similaires pour que la méfiance et la défiance soient réellement de mise. Comme s'il fallait que des chambres à gaz destinées à génocider le peuple juif soient le seul symbole possible et concret du fascisme qui vient, sinon ce ne sera jamais aussi terrible.
Évidemment, nous savons bien qu'à l'époque, même parmi les plus progressistes, l'horreur des camps de concentration n'était pas admissible tant elle dépassait l'entendement humain. Pourtant elle advenait. Cela peut expliquer en partie qu'elle ait eu lieu et que sa mémoire soit si dure à faire entendre.
Aujourd'hui, il semblerait qu'il ne soit pas admissible, du moins sur le domaine purement moral à ce jour, qu'un phénomène d'une ampleur égale survienne de nouveau. Cela arrivera pourtant à coup sûr, quelle qu'en soit la forme. N'ayons pas le moindre doute : c'est là l'objet ultime du fascisme. Et de nouveau, cela adviendra en forme matérielle, pas seulement dans les idées. Pour le dire plus trivialement : il y aura des morts. Certes, pas de Guerre mondiale à l'horizon immédiat. Qu'à cela ne tienne : le RN saura trouver les ressources pour créer pareille abomination à l'égard des compatriotes musulmans, basanés, noirs, racisés, n'en doutons pas un seul instant.
Dès lors, ce texte n'a aucunement pour objet de proposer des solutions face au drame qui se profile. D'autres sauront le faire mieux que moi. En revanche, j'en viens à m'adresser aux générations futures, lorsque reviendra une fois de plus la bête immonde. Nous avons vécu une longue insouciance avant que ne revienne le fascisme. Comme s'il ne pouvait advenir de nouveau. Et pourtant, le voilà à nos portes aujourd'hui. Alors finalement, pourquoi ne reviendrait-il pas encore une fois, de vos jours ?
Voilà justement l'expérience à en tirer. À mon époque, le fascisme est associé, dans l'inconscient collectif, à l'Allemagne nazie un point c'est tout. Pourtant, nous militants de gauche, savons qu'il est encore présent et peut trouver sa résurgence sous de nouvelles formes. C'est précisément ce qui arrive aujourd'hui. Alors, à vous qui aurez de nouveau à l'affronter : non seulement il est parvenu une première fois à gouverner son monde, mais il recommence. Ne nous faisons pas d'illusions, il sera toujours en capacité de trouver de nouvelles formes d'expression selon le contexte dans lequel il baigne. Tant qu'il sera en mesure de servir de refuge ultime à la bourgeoisie capitaliste, cet idiot utile se renouvellera.
Demain, puissent mes mots êtres démentis par l'histoire à venir, il reviendra encore trouver sa place. Cette fois, vous aurez non seulement le souvenir lointain du nazisme, mais aussi celui de ses répétitions sous de nouvelles formes. Cette fois, sachez comprendre que le drame est amené à se répéter sans fin, si le peuple cède de nouveau à ses sirènes.
Ayant peu d'espoir pour aujourd'hui, j'écris donc pour demain : de grâce, ne laissez pas une troisième fois se répéter les pires maux de l'Histoire. Bien sûr cela paraît défaitiste au présent, mais il faut penser à demain. Comment en sommes-nous, en tant que société, parvenus à ce funeste état ? Peut-être parce que les leçons de l'Histoire n'ont su être propagées autant qu'il le faudrait. C'est donc justement dans l'espoir d'ajouter un témoignage, fût-ce dans une anticipation défaitiste, que j'écris ces lignes.
D'ailleurs, les leçons du passé sont aujourd'hui présentes en masse, et leurs analyses les plus pertinentes aussi. Mais finalement, si j'écris cela aujourd'hui, dans un langage peut-être trop alambiqué, c'est bien pour dire aux générations futures : le fascisme, plusieurs fois nous l'avons connu, jamais il n'a apporté aucun bénéfice à qui que ce fût-ce, si ce n'est aux élites l'ayant propagé. Alors, vous qui aujourd'hui avez le choix de faire accéder au pouvoir un parti d'extrême droite, qui sans doute se cache d'une telle appellation, céderez-vous à ses sirènes que vos ancêtre n'ont que trop connu ? Sachez au moins lire ces lignes et en tenir compte, je vous en conjure, comme l'ont fait les témoins d'hier que nous lisons aujourd'hui.