Le Nouveau Front Populaire est la première force politique par le nombre de députés qu'il réunit, c'est maintenant certain. Seulement voilà : avec une telle division en trois pôles, et 193 sièges (178 NFP, 12 DVG, 1 Écologistes, 2 PS) pour la gauche au sens large, la majorité absolue est un souvenir plus lointain que jamais. Reste au NFP la charge de peser dans le rapport de force, sinon de s'auto-détruire dans une guerre fratricide. Avant d'en venir à la tragédie que beaucoup d'entre-nous pensent inévitable, nos élus peuvent encore revendiquer une forte légitimité, et seraient bien inspirés d'insister sur ce que nous apprennent les manœuvres d'entre-deux-tours.
La première force politique bénéficie moins du barrage que la
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À vrai dire, cette légitimité me semble dépasser le seul nombre de députés élus, voici quelques raisons. Ensemble apparaît comme la deuxième force, du haut de ses 162 élus (150 Renaissance, 6 Horizons, 6 DVC). Mais s'en tenir à ces simples résultats serait accorder une victoire trop facile à Emmanuel Macron. On pourrait d'ailleurs dire que, comme lors de sa réélection en 2022, ce nouveau vote l'oblige...
En effet, une rapide lecture des désistements et de leurs effets montre bien qu'Ensemble ressort comme le grand gagnant du "barrage républicain" (du moins ce qu'il en reste). Une infographie FranceInfo nous apprend que sur les 215 désistements ayant pour objectif d'empêcher l'élection d'un candidat RN, 173 ont fonctionné. Plus loin, on nous donne le détail des résultats : 85 élus Ensemble sur ces 173 circonscriptions, contre 57 pour le Nouveau Front Populaire.
Il était de toute façon mathématiquement impossible que le cas inverse se produise : tous les désistements d'Ensemble, soit un total de 80, ont bénéficié au NFP. Mais sur 125 désistements actés par le NFP, j'en ai compté 98 au bénéfice d'Ensemble (les autres ayant surtout profité à LR et des élus apparentés DVD). Bien sûr, tous ces désistements sont la suite logique de premiers tours où les candidats en impossibilité de l'emporter ont fait le choix de la responsabilité. Sauf qu'il ne faut pas omettre que dans le groupe Ensemble, on décompte aussi 18 maintiens (7 pour le NFP) dans des configurations généralement favorables au RN.
Faisons maintenant les comptes : grâce au barrage républicain, ce sont donc près de 30% des élus NFP qui doivent en partie leur élection à un désistement. Du côté du camp présidentiel... ils sont plus de 51% dans ce cas ! On est donc bien loin d'une deuxième force tout aussi légitime que la première, même toutes proportions gardées.
La gauche plus responsable, comme elle en a l'habitude
Pour corroborer mes propos sur la légitimité d'une gauche encore plus forte que dans les apparences, je vais maintenant citer quelques données issues d'un sondage Ipsos pour FranceInfo. Bien qu'une étude statistique plus approfondie sur les reports de voix serait préférable, je m'appuie sur les quelques éléments à ma disposition et le peu de temps dont je dispose pour ce travail bénévole.
L'étude Ipsos nous apprend ainsi quelles parts d'électeurs ont reporté leur voix sur un candidat d'un autre camp que le leur entre le premier et le second tour, après élimination de leur favori. Les résultats sont assez nets : dans les duels Ensemble/RN, 72% des électeurs NFP ont fait barrage (3% se sont reportés sur le RN, 25% se sont abstenus). Ils étaient 70% d'électeurs NFP à faire de même dans le cas de duels LR/RN (2% reportés RN, 25% abstenus).
La situation inverse est moins reluisante pour l'électorat macroniste. L'étude distingue d'ailleurs les duels LFI/RN des autres duels du Nouveau Front Populaire contre le RN. Le report de voix des électeurs Ensemble vers la gauche concernait 54% d'entre eux lorsque le parti qualifié était le PS, EELV ou le PCF, et 15% se sont reportés vers le RN (31% abstenus). En revanche pour le report vers LFI, cela tombe à 47% des électeurs Ensemble (19% se reportent sur le RN, 38% s'abstiennent).
La conclusion est simple : les électeurs de gauche se sont pincés le nez en grande majorité. Alors qu'à peine la moitié des déçus d'Ensemble ont maintenu la digue républicaine. Pire encore, une plus large partie d'entre eux a choisi de se tourner vers le RN au second tour, plutôt que de voter à gauche.
Quand le choix est là, le Nouveau Front Populaire mène encore
S'il faut encore amener un élément pour achever de se convaincre que le camp d'Emmanuel Macron est décidément bien mal élu, il est intéressant de se tourner du côté des triangulaires. Après une explosion de ces configurations (306 au soir du premier tour), symptomatique des divisions politiques du pays, elles ont finalement chuté à 89 après les divers désistements.
Je vais cette fois m'appuyer sur un article du Figaro, une fois n'est pas coutume, qui fait état des résultats pour chaque configuration. L'article nous informe que 70 triangulaires opposaient les trois blocs principaux : le NFP, Ensemble et le RN. Soit parce que ce dernier avait fait le moins bon score des trois candidats qualifiés, soit parce que le candidat Ensemble ou NFP avait refusé de se désister.
C'est le Nouveau Front Populaire qui a tiré le meilleur profit de cette situation, avec 40 candidats élus dans ce cas de figure précis. Ensemble se limite à 27 victoires contre NFP/RN, et le RN tombe à 3 élus (dont le transfuge Éric Ciotti, qui aura peut-être bénéficié de l'exposition médiatique de ses prouesses dans l'art du retranchement).
Avec ce troisième constat, on peut ainsi dire que lorsque les Français ont eut un choix entre les trois blocs jusqu'au bout, celui du Nouveau Front Populaire s'est confirmé dans la majorité des cas.
Et maintenant, pleins pouvoirs au NFP ?
Il est évident qu'Emmanuel Macron n'a cure de ma petite analyse, quand bien-même on la lui soufflerait. Par contre, que les partis composant le NFP se gardent bien de jeter le bébé après les rancœurs à la rivière. Ils ont là un argument de plus dont ils doivent se saisir en priorité pour se prévaloir de la légitimité du programme qu'ils portent encore ensemble. Non seulement le NFP est premier, mais il l'est encore plus que ne le montrent les urnes au sein de notre pays.
On ne saurait affirmer qu'il faut faire passer les analyses des résultats avant ces derniers, puisque les élus sont maintenant en place et qu'il n'y a pas de raison officielle de les en déloger avant l'été prochain. Mais tout de même, c'est d'autant plus confortant pour notre camp de songer qu'il est encore meilleur que ce que montrent des résultats déjà étonnement positifs ; tant la catastrophe annoncée semblait inévitable pour beaucoup d'entre nous.
Et puis, rappelons que nos élus sont supposés nous représenter. Qu'on trouve ce fonctionnement insatisfaisant comme c'est mon cas, ou que l'on adhère entièrement au système électoral, on est encore en droit d'attendre des députés qu'ils remplissent leur engagement premier. S'ils souhaitent vraiment être à la hauteur de ce qu'ils prétendent être, qu'ils se penchent un peu sur ceux qui les ont amené dans les confortables sièges de l'Assemblée, et sur les attentes d'une grande partie d'entre eux.
Il est donc encore possible de profiter du léger renversement du rapport de force pour l'appuyer encore plus. À l'aide d'éléments comme ceux que j'ai énoncé au long de cet article, nous pouvons enfin rappeler, aux autres comme à nous-même, que la France de gauche est loin d'avoir disparu, bien au contraire. Dans tous les cas, nous autres simples électeurs (fût-ce d'un jour) seront toujours là pour ça. Et avec cette petite victoire supplémentaire, on peut repartir du bon pied dans la lutte, sous toutes ses formes.