Le salut fasciste d’Elon Musk suscite beaucoup de débats qui n’ont pas lieu d’être. L’objet de ce texte n’est pas de discuter du caractère naziesque du geste : il tombe sous le sens pour qui sait faire appel à la raison plutôt qu’à ses projections. C’est donc bien le fait même d’en discuter qu’il convient ici d’analyser, pas la discussion. Les réactions de déni, d’interprétation et d’atténuation doivent nous alarmer au plus haut point, peut-être même plus que le geste en lui-même.
Que Donald Trump se lance dans une politique qu’on peut qualifier de fasciste n’est pas une surprise : il suffisait de suivre sa campagne et de regarder un peu son programme pour s’en convaincre. Qu’Elon Musk soit un trublion du totalitarisme, toujours prêt à tenter des coups de com’ pour tirer la fenêtre d’Overton vers son idéal libertarien n’est pas plus une nouveauté. Ce salut fasciste n’est donc que l’aboutissement logique, quoi qu’inattendu (et encore moins dès le jour d’investiture de Trump) de leur funeste projet politique.
Ce qui doit maintenant nous inquiéter au-delà de ces énoncés, c’est donc bien les réactions, ou plutôt les non-réactions suscitées. Car si un salut fasciste n’est pas reconnu comme tel, et si le fascisme lui-même n’est pas reconnu non plus, que faudra-t-il à celles et ceux qui refusent de le voir pour qu'enfin ils daignent changer d’avis ?
Mes propos ne concernent pas ceux qui diluent la gravité du geste à dessin. Bien entendu, ceux qui soutiennent des idées comme celles d’Elon Musk ont tout intérêt à le présenter en victime d’un système qui verrait du fascisme partout, sauf là où il y en a. Ce renversement de réalité est une preuve de plus qu’ils ne reculeront jamais devant aucune distorsion des faits, si dégueulasse soit-elle.
Non, je parle ici de toutes celles et tous ceux qui se rangent à leurs côtés sans même s’en rendre compte. Celles et ceux qui préfèrent se montrer « prudents », émettre des doutes, explorer des pistes. S’ils sont incapables de voir la clarté du salut nazi de Musk, dans quel état déplorable se trouvent leurs capacités de discernement à cette heure ?
La banalisation du mal est en marche et fait résonner le bruit des bottes. Mais sans doute les commentateurs trouveront-ils que s’il y a, par exemple, des massacres à la frontière mexicaine, ce ne seront que de simples « opérations de régulation musclées » ? Qu’il ne faut pas voir un meurtre volontaire dans ce fusil pointé innocemment ?
Et finalement, on peut faire une expérience de pensée graduelle, en se demandant à quel degré d’horreur correspondra quelle proportion de spectateurs admettant enfin que le fascisme est déjà-là.
Un des premiers signes clairs et sans équivoque
J’ai évoqué quelques lignes plus haut la banalisation du mal. Cette référence n’est évidemment pas un hasard. Si les pires totalitarismes ont déjà pu s’installer dans des pays dits démocratiques, c’est aussi en partie parce que des sociétés l’ont permis, que ce soit par collaboration active ou par passivité. Tâchons dès lors de tenir compte de cet état de fait, pour mieux le défaire.
Il me semble que ce qui se joue avec le déni de la gravité du salut d’Elon Musk est un des premiers éléments vraiment clairs et sans équivoque de cette banalisation, dans l’histoire qui est en train de s’écrire.
Les autres pourraient ne pas tarder à venir. Avec cette fameuse gradation, il n’est pas à exclure qu’une mauvaise surprise de plus nous attende. Celle de voir le déni se poursuivre, éventuellement s’étendre en proportion à l’augmentation de la gravité des décisions politiques, des gestes et des propos fascistes.
Envisageons même le pire, tant qu’à faire. Un effet de simple exposition pourrait même amener un effet macabre sur les consciences. La multiplication des manifestations du fascisme pourrait aussi amenuir notre capacité à s’en indigner. Accoutumés pour les uns à constater l’horreur, pour les autres à la nier.
Lassés aussi de montrer l’évidence qui s’étale sous nos yeux. Car tous les militants et sympathisants de l’antifascisme ne s’y trompent déjà plus. L’idée que l’internationale fasciste gagne en puissance, et que son triomphe en France n’est plus à exclure, est déjà bien répandue dans notre camp.
Toutefois il semble bien plus compliqué de faire admettre cette bien triste nouvelle à toute la frange de la population qui se trouve à notre droite sur l’échiquier politique (y compris certains mouvements de gauche, donc), mais ne verse pas dans la collaboration. Celle qui se veut pour une partie "modérée", pour une autre "apolitique".
Un dog whistle de fait ?
Certains qualifient de dog whistle le geste d’Elon Musk : ils se trompent. Un dog whistle est une référence sous-jacente, un appel du pied discret qui n’est reconnu que de ceux que le sifflet appelle. En l’occurrence, des chiens, ne nous privons pas du plaisir futile de le souligner.
Mais alors quelle est la subtilité d’un Sieg Heil ? Quel autre message que « vive le fascisme » pourrait porter un salut fasciste ? Et à l’adresse de qui d’autre que les suppôts du fascisme ? Peut-être qu’un deuxième sens encore plus infâme m’échappe, je ne demande qu’à être éclairé.
Malheureusement, les analystes de bas-étage qui tentent de nuancer la portée du geste ont tendance à transformer ce salut en un dog whistle de fait. Car si la plupart des gens n’y reconnaissent pas un salut nazi, c’est dès lors un langage qu’on peut qualifier de « codé », aussi saugrenue que paraisse l’idée. Seulement nous voilà bien embarrassés : si c’est un appel sous-jacent, qu’est-ce qui différencie ce geste d’un « salut fasciste véritable » ? Comment apposer le « label » ?
Que tous ceux qui dénient sincèrement le caractère fasciste de ce geste se posent sérieusement la question. Car la réponse la moins réjouissante semble maintenant être la plus adaptée : dans votre logiciel, il n’est plus possible de reconnaître un salut nazi pour ce qu’il est. Sauf peut-être à porter un uniforme nazi, et encore on peut avoir des doutes, car après tout, peut-être s’agissait-il d’une soirée déguisée, dans un cadre festif et bon enfant ?
Quant à nous qui voyons clairement ce geste pour ce qu’il est, et qui sommes révulsés par celui-ci, je ne vois qu’une seule proposition à formuler pour le moment. Notre rôle, au-delà de l’affirmation qu’il s’agit bel bien d’un salut fasciste, et ce sans le moindre doute possible, est de bien rappeler à ceux qui le nient qu’ils sont les idiots utiles de ces idées nauséabondes, quand ils n’en sont pas les soutiens larvés. Pour que crève la bête immonde, il faut commencer par la démasquer fermement.