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Billet de blog 22 décembre 2008

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Europeana, la nouvelle bibliothèque multimédia européenne libre, participative, ambitieuse mais momentanément inacessible

Fondateur de la communauté européenne, Jean Monnet a déclaré que si la construction européenne était à refaire, il faudrait commencer par la culture. Cet aveu résonnait lors du lancement officiel, jeudi 20 novembre à Bruxelles, de la première bibliothèque numérique européenne : Europeana.

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Fondateur de la communauté européenne, Jean Monnet a déclaré que si la construction européenne était à refaire, il faudrait commencer par la culture. Cet aveu résonnait lors du lancement officiel, jeudi 20 novembre à Bruxelles, de la première bibliothèque numérique européenne : Europeana.

Deux millions d’œuvres artistiques et de documents historiques reflétant toute la diversité culturelle de l'Europe vont être accessibles à tous les citoyens du monde, en un simple clic de souris sur un seul portail : Europeana. Un concept humaniste et encyclopédique qui a rencontré un si large public que le site a dû fermer après seulement quelques heures d’existence pour cause d’insuffisances techniques.

Europeana, le patrimoine européen accessible librement.

Europeana offre de nouveaux moyens d'explorer le patrimoine européen : toute personne s'intéressant à la littérature, à l’art, aux sciences, à la politique, à l’Histoire, à l’architecture, à la musique ou au cinéma pourra accéder gratuitement aux plus grands chefs-d'œuvre européens dans une vaste bibliothèque virtuelle, en passant par un portail disponible dans toutes les langues de l’Union européenne. Le concept de bibliothèque en ligne n’est pas novateur, mais c’est la première fois qu’une plate-forme numérique met en ligne des œuvres des 27 pays membres de l’Union Européenne.

Lors de la cérémonie de lancement organisée à Bruxelles, Viviane Reding, la commissaire européenne responsable de la Société de l'Information et des Médias, a insisté sur la vocation d’Europeana à promouvoir l’accès aux connaissances: “rendre la richesse des collections accessibles à tous”. Dans son discours, elle souligne l’ambition culturelle et le progrès technologique d’Europeana par une analogie à la référence aux Humanités de la Renaissance: «Par le passé, les jeunes désireux de parfaire leur éducation entreprenaient un voyage à travers l'Europe en visitant les hauts lieux culturels européens, le 'Grand Tour', qui leur donnait l'occasion de découvrir les cultures d'autres pays, leurs œuvres d'art et leurs monuments les plus prestigieux. (...) Grâce aux technologies de l'information et de la communication, Europeana permettra à tous de faire un 'Grand Tour' virtuel, d'admirer les trésors artistiques des pays européens, de découvrir leur littérature et leur histoire.”.

A titre d’exemple, si un visiteur du portail Europeana effectue une recherche sur Mozart, l’un des plus célèbres européens, il aura le plaisir d’accéder à des opéras, des partitions manuscrites, des portraits d’époque, des reportages de journaux télévisés ou entre autre il pourra lire la correspondance de ce virtuose de la musique. Outre ce remarquable accès multimédia, Europeana va devenir une source de référence pour les chercheurs, ainsi que les amateurs d'art et de culture de toutes les générations, y compris celle du Web 2.0.

Europeana, encyclopédie libre d’accès et participative

Les internautes vont pouvoir s'approprier la bibliothèque numérique européenne, non seulement pour la consulter, mais aussi pour la faire évoluer à travers une utilisation créative et interactive. Europeana offre la possibilité de réutiliser les contenus qui relèvent du domaine public. La présentation dynamique du site (qui montre les objets les plus consultés par les internautes à un moment donné) permet aux visiteurs de partager des idées, de se rencontrer et de s'organiser au-delà des frontières grâce à des applications liées au 'Web 2.0'. Elisabeth Niggemann, présidente de la fondation pour la bibliothèque numérique européenne - l'organisme derrière Europeana – explique : «Europeana rend les organismes culturels plus attractifs aux yeux de la génération du web 2.0 qui désire pouvoir en même temps lire des textes, visionner des films, écouter des sons et regarder des images sans se déplacer. En offrant aux jeunes un support multimédia complet, nous les relierons à la culture passée et actuelle de l’Europe.» Ce projet a également rendu les systèmes nationaux d'archives en ligne compatibles entre eux, et donc de progresser vers un espace européen de la connaissance. Les cloisons entre les institutions culturelles s’effritent pour rassembler le patrimoine communautaire, avec un accent particulier porté sur les recherches en traductologie et le multilinguisme d’Europeana. On retrouve un objectif fondamental de l’Union Européenne et ses institutions, en montrant “le visage de l’Europe unie dans sa diversité” reflété dans ce vaste portail multilingue.

Europeana, originaire d’une offensive française contre l’impérialisme américain de Google

Annoncé en 2004, le projet de Google Print (bientôt rebaptisé Google Search Books, Google Recherche de Livres en français) prévoyait de numériser plusieurs millions de livres. Jugeant l’initiative trop commerciale et craignant une "américanisation de la culture", le Président de la République Française, Jacques Chirac essaie alors de convaincre ses partenaires européens d’avancer sur la numérisation des ouvrages des grandes bibliothèques nationales d'Europe afin de concurrencer le géant américain. Il est vrai que la France avait déjà une expérience dans le domaine, la BNF (Bibliothèque Nationale de France) ayant lancé en 1996 la numérisation de son fonds. Trois ans de travaux ont été nécessaires pour réunir cette immense bibliothèque interactive. En mars 2007, la France a lancé le prototype d’Europeana en association avec la Hongrie et le Portugal. La version – presque — définitive, qui est actuellement suspendue, est devenue officiellement une bibliothèque virtuelle des 27 États membres.

Cependant, cette alliance communautaire donnant librement accès aux cultures européennes dissimulent certaines disproportions. Dans la bibliothèque multimédia européenne, 52% des données numérisées proviennent de sources françaises.Pour l’instant, le site Europeanane contient que 2 millions d’œuvres, soit à peine 1 % des fonds européens. Europeana vise 10 millions d’objets culturels d’ici à 2010. Il y a donc du travail pour qu’à terme, l’ensemble des fonds des bibliothèques, des musées et des archives des États membres soit numérisé et surtout accessible dans les 23 langues de l’Union. Celle-ci a décidé d’investir 120 millions d’euros en 2009 et 2010 afin d’améliorer les techniques de numérisation et 40 millions pour développer la traduction automatique.

Outre-Atlantique, Google, le leader américain des moteurs de recherche sur internet, a annoncé dès décembre 2004 un investissement plus élevé, avec un montant de 150 millions de dollars pour numériser et mettre en ligne avant 2010 quelque quinze millions d'ouvrages issus des grandes bibliothèques américaines et mondiales. Google Livres a aussi réglé le litige du copyright avec les associations américaines et dispose désormais d'un outil particulièrement performant et riche en contenus avec plus de 7 millions d'ouvrages d'ores et déjà numérisés.

Une richesse et des moyens techniques et financiers qu’Europeana est malheureusement encore loin d'égaler malgré la demande du Parlement Européen “aux États membres d’accroître leur effort de contribution à Europeana, notamment en octroyant davantage de financement à la numérisation”. Parallèlement, la Commission Européenne a lancé une politique de collaboration étroite avec les auteurs, les éditeurs et les libraires, pour leur garantir la protection de leur propriété intellectuelle tout en proposant au grand public de feuilleter virtuellement des extraits d’œuvres protégées, et de prolonger la lecture dans un service payant. Ainsi, Europeana deviendrait un vecteur d’informations.

La différence flagrante de moyens se cristallise dans l’échec du lancement en grande pompe d’Europeana qui a fonctionné seulement quelques heures. L’offensive de la France entraînant la vieille Europe, au nom de la préservation de la diversité culturelle, peine à rattraper son retard dans la course aux technologies de l’information face au Goliath Google. Comme le souligne Noël Blandin à travers son article dans La République des Lettres :“À une très douteuse fierté nationale mal placée et à un manque criant de moyens financiers, s'ajoute ainsi l'incompétence technique des responsables du projet. N'est pas Google qui veut.”

Europeana, une idée ambitieuse mais un mauvais départ

Europeana qui a fait ses débuts en ligne le 20 novembre, aura été accessible aux internautes pendant moins de 24 heures, en raison d'un trop grand nombre de connexions. La page d’accueil devrait rouvrir d'ici mi-décembre. Le site de la bibliothèque européenne annonce officiellement avoir croulé «sous l'intérêt immense qu'il a suscité lors de son lancement (10 millions de hits par heure) ». Dans un communiqué, l'Union Européenne a précisé le lendemain qu'il s'agissait "d'une difficulté inattendue". "Mais c'est aussi un signe encourageant montrant que les citoyens en Europe et dans le monde ont un grand intérêt pour la librairie numérique européenne", a ajouté l'UE.La Commission Européenne, organe exécutif de l'UE, a décidé de fermer le site et de renforcer la capacité de son serveur pour son second lancement à la mi-décembre. A l'heure actuelle, seule une version de démonstration d’Europeana est disponible dans le site.

Dans Lemondeinformatique.fr, François Lambel revient sur ce mauvais départ : " En réalité, le site était incroyablement sous-dimensionné", explique-t-il. "Installé sur trois « serveurs » (sans plus de précisions sur la configuration), Europeana a été incapable de supporter les 10 millions de "hits" émis par 3000 visiteurs (et non 10 millions de visiteurs, comme on l'a laissé entendre). La configuration ne permettait d'en supporter que la moitié". Pour François Lambel, l'Europe se trouve une nouvelle fois "victime d'une ambition inversement proportionnelle à son efficacité" et aujourd'hui, son rêve "d'une bibliothèque d'Alexandrie numérique ressemble plutôt au présomptueux chantier de la tour de Babel".

De la même façon que Rome ne s’est pas construite en un jour, le projet Europeana pourra progressivement rayonner dans la culture internationale. Ces incidents de départ révèlent certes une méconnaissance technique, (qui se repère souvent lors d’ouverture de grands sites d’informations, l’INA.fr par exemple) mais montrent aussi un fulgurant succès et attrait du public vers cette nouveauté.

Malgré ces premiers déboires, la bibliothèque multimédia Europeana a toutes les chances de s’imposer comme un outil de recherche de référence grâce a son caractère libre, participatif et multilingue au sein d une communauté européenne préexistante. En 2008, plus de la moitié des Européens sont des utilisateurs réguliers d'internet et presque 80% des connexions internet en Europe sont à haut débit. Le potentiel est présent, il faut seulement ne plus décevoir ces nombreux internautes par des promesses non tenues suite à des problèmes techniques ou un ralentissement de la numérisation des œuvres patrimoniales. Les pays de l’Union européenne doivent donc intensifier leur effort de numérisation pour séduire ces millions d’internautes qui effectueront leurs Humanités ou «ce grand Tour » dans la culture européenne en empruntant le portail d’Europeana.

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