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Billet de blog 18 février 2009

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Avedon politique

L’exposition de la Corcoran Gallery of Art, « Avedon, Portrait of Power » vient de fermer ses portes. A travers une gallerie de portraits, elle retraçait la vie politique américaine depuis Marian Anderson, première chanteuse Afro-Américaine de l’opéra de New York jusqu'à Barack Obama. Elle s'articulait autour de trois séries dont la plus significative est sans doute The Family, réalisée pour le magazine Rolling Stone. Au-delà du travail du photographe, cette exposition interroge la représentation du pouvoir dans les sociétés occidentales contemporaines.

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L’exposition de la Corcoran Gallery of Art, « Avedon, Portrait of Power » vient de fermer ses portes. A travers une gallerie de portraits, elle retraçait la vie politique américaine depuis Marian Anderson, première chanteuse Afro-Américaine de l’opéra de New York jusqu'à Barack Obama. Elle s'articulait autour de trois séries dont la plus significative est sans doute The Family, réalisée pour le magazine Rolling Stone. Au-delà du travail du photographe, cette exposition interroge la représentation du pouvoir dans les sociétés occidentales contemporaines.

« Quand j’en ai eu fini avec Reagan et Wallace, je me suis demandé pourquoi il ne m’était jamais venu à l’esprit que c’est un politicien qui devient président des Etats-Unis. Je veux dire que j’aurais pu vivre sans m’apercevoir que lorsque le monde a besoin d’un homme d’Etat, quand le monde a besoin d’un sauveur, on se retrouve avec l’un de ces hommes qui ont fait tout leur parcours dans le monde politique. » Cette réflexion désabusée d’Avedon a comme le goût d’un regret : la nostalgie d’une certaine grandeur, d’une certaine sacralité, des hommes de pouvoir, le constat peiné de voir le trône du « sauveur » si mal occupé.

Etudiant la théologie politique médiévale, l’historien allemand Ernst Kantorowicz décrivait en 1957 la doctrine du double corps du roi, d’après lui creuset idéologique de l’Etat moderne. Double corps, parce qu’à la fois charnel et mortel, politique et sacré. C’est la permanence de cette dualité dans les démocraties occidentales qu’interroge la série The Family.

Commandés pour 25 000 dollars hors frais par le magazine Rolling Stone à l’occasion du bicentenaire de la révolution américaine, les soixante-neuf portraits de la série sont publiés dans le numéro du 21 octobre 1976. Sous l’influence de Renata Adler, journaliste et amie d’Avedon, le projet, qui ne devait concerner que les candidats à la présidence et à la vice-présidence, évolue vers une perception élargie du pouvoir, incluant des syndicalistes, des hauts fonctionnaires, des hommes d’affaires, des généraux.

Hard Time

Avedon avait déjà travaillé à deux reprises la question du politique. En 1964, avec son livre Nothing Personal, puis avec la série Hard Time, entre 1969 et 1971. Cette dernière, réalisée avec la complicité de Doon Arbus (fille de Diane Arbus), brosse le tableau tumultueux de ces années-là. Y sont portraiturés le groupe des Chicago Seven, Herbert Marcuse, Noam Chomsky, William Burroughs, Jean Genet ou encore le visage terriblement illuminé du soldat le plus décoré de la guerre du Vietnam. Si, du fait de sa grande diversité, cette série paraît moins aboutie que The Family, elle n’en marque pas moins un moment charnière dans l’œuvre d’Avedon. Il amorce alors une véritable rupture esthétique, privilégiant frontalité et minimalisme et abandonnant le lyrisme parfois bavard des années précédentes - de Bob Dylan, dandy dans Central Park à Chaplin cornu en passant par le portrait socratique des poètes Ginsberg et Orlowsky.

Dans son nouveau dispositif, le Rolleiflex fait place à une chambre Deardorf 8 x 10, il ne se tient plus comme en retrait derrière l’appareil, mais à coté, dans un rapport plus direct avec son sujet, avec qui il entame une conversation, crée une pression, guette une attitude, un geste, une mimique que le fond blanc exaltera. Un système dont le point d’orgue sera American West.

Gloire

Le philosophe Giorgio Agamben écrit dans son livre Le Règne et la Gloire que « si les médias sont aussi importants dans nos démocraties, ce n’est certes pas seulement parce qu’ils permettent de contrôler et de gouverner l’opinion publique, c’est aussi, et avant toute autre chose, parce qu’ils administrent et qu’ils dispensent la Gloire. » Par le support de diffusion de son travail (en l’occurrence la presse) mais aussi en raison de sa notoriété, flatteuse pour ses sujets, Avedon participe de cette mise en gloire.

Conventionnellement, le portrait du pouvoir est une fable sur le Prince. Refusant toute dimension narrative, Avedon en renouvelle le genre tout en s’inscrivant dans une longue tradition du portrait chez qui la gestuelle est déterminante. Pour Léonard de Vinci, un bon portrait « a deux choses à représenter : le personnage et le contenu de sa pensée. On y parvient à l’aide des gestes et mouvements des membres ».

La séance de prise de vue est un moment ambigu où se mêlent révélation et dissimulation. Un geste parle tandis qu'un regard tait. Tout se tient dans un jeu de dupes, dans une auto-mise en scène, dans une posture du corps, bref dans la surface des choses. La dimension physique seule occupe le cadre, soulignant avec insistance tout le prosaïque du sujet, sa condition faite de fragilité et de banalité.

« Lookin’ good babe ! »

En voyant Reagan, on entend Nancy dire« Lookin' good babe, lookin' good babe » ; le gouverneur George Wallace est pris dans les rets d'une vanité infantile dont le rictus expressif devient grimace à mesure que la déchéance physique s'installe ; Karl Rove a des mots amers, traitant Avedon de « snob élitiste » et se plaint d'avoir été « piégé » parce que, de manière flagrante, la tentative de séduction de ce technicien de la séduction échoue piteusement ; Gerald Ford enfin, fichu d'un drapeau national, a beau déployer de notables efforts pour convaincre de son statut de président, adoptant une posture sévère rehaussée d’un regard conquérant, il s’épuise sans jamais pouvoir convaincre.

En fait, tous ces corps plus ou moins bien fagotés ne sont pas sans évoquer une certaine familiarité, une certaine trivialité et par là témoigne de l’impossibilité même d’une représentation solennelle du pouvoir. Le corps du Prince s’est flétri et n’est plus qu’un signal médiatique. La mise en gloire débouche paradoxalement sur une désacralisation de la représentation du pouvoir et le trône du « sauveur » reste vide. Agamben poursuit : Ce qui caractérise plutôt les démocraties contemporaines et leur government by consent, c’est d’avoir identifié intégralement Gloire et oikonomia dans la forme de l’acclamation et du consensus […]. Cela signifie néanmoins que le centre de la machine gouvernementale est vide. Le trône vide, […] est en ce sens le symbole le plus prégnant du pouvoir. »

We, the people

En 2004, le New Yorker publie le dernier travail resté inachevé de Richard Avedon. Intitulée Democracy, cette série se veut optimiste et célèbre en couleurs la démocratie américaine. La figure du citoyen y domine comme si l’impossibilité de représenter le Prince devait laisser la place à l’image du peuple comme incarnation in fine du pouvoir démocratique… « We the people…». Or, la photographie ne permet pas vraiment de représentation collective de ce type, elle rechigne à symboliser. Il s’agit toujours du portrait de quelqu’un et c’est cela qui résiste au potentiel allégorique de telle ou telle image. Dés lors, le peuple ne peut lui-même être figuré. Cette impossibilité de la représentation du corps social débouche sur la recherche inquiète d’une nouvelle figure rassembleuse, mais finalement toujours décevante.

La dernière photographie de la série du New Yorker, publiée en novembre 2004, est un portrait pris d’assez près. Les vêtements du sujet sont dépourvus d’apparat et de coquetterie, il inspire confiance, respire la simplicité et la sérénité d’un bon « manager ». C’est le portrait du sénateur de l’Illinois, Barack Obama. Celui-là même qu’une certaine idolâtrie aime voir comme le « sauveur » dont le monde aurait besoin.

Photo : Ronald Reagan, former Governor of California, March 4, 1976,

© 2008 The Richard Avedon Foundation

Richard Avedon, Portrait of Power,

Edition Steidl/ Corcoran Gallery of Art, 2008

Anglais, 298 pages

isbn 978-3865216755

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