Floreal Meneto (avatar)

Floreal Meneto

amateur

Abonné·e de Mediapart

15 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 août 2009

Floreal Meneto (avatar)

Floreal Meneto

amateur

Abonné·e de Mediapart

La couleur des ruines, The Blue Room d'Eugene Richards

 Eugene Richards est connu pour ses reportages sociaux, en noir et blanc. Agitateur de conscience, il se définit comme « un collecteur d'informations, avec l'espoir que si les informations sont assez pertinentes, elles aident les vrais activistes à faire évoluer les choses. » Exposé à Arles, présent au festival Visa pour l'image de Perpignan en septembre, son travail aura été particulièrement visible cet été. L'occasion de revenir sur un photographe majeur dont le dernier livre, The Blue Room (Phaïdon, 2008), est une vraie surprise. Pour la première fois, ses photographies sont en couleurs.

Floreal Meneto (avatar)

Floreal Meneto

amateur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Eugene Richards est connu pour ses reportages sociaux, en noir et blanc. Agitateur de conscience, il se définit comme « un collecteur d'informations, avec l'espoir que si les informations sont assez pertinentes, elles aident les vrais activistes à faire évoluer les choses. » Exposé à Arles, présent au festival Visa pour l'image de Perpignan en septembre, son travail aura été particulièrement visible cet été. L'occasion de revenir sur un photographe majeur dont le dernier livre, The Blue Room (Phaïdon, 2008), est une vraie surprise. Pour la première fois, ses photographies sont en couleurs.

Eugene Richards est un photographe du dévoilement. Reflets, miroirs, voilages, fenêtres, ouvertures sont des éléments rhétoriques courants de son travail. Comme les Jacob Riis, Gordon Parks ou Eugene Smith, il jette une lumière crue sur l'Amérique. Il en bouscule les fables avec application et sans naïveté. Des pauvres de l'ère Reagan (Below the Line, living poor in america, 1987) aux débris du New-York post 11/09 (Stepping Through the Ashes, 2002), des toxicomanes de Brooklyn (Cocaïne blue, cocaïne true, 1994) aux vétérans estropiés d'Irak (National Geographic, 2007 *), il fait le récit sévère de l' "American way of life".

Eugene Richards, né en 1944, est le fils d'une famille modeste de Dorchester, dans la banlieue de Boston. En pleine guerre du Vietnam, il bénéficie d'une bourse d'étude en échange de son engagement dans l'armée. Entre 1962 et 1968, il apprend le journalisme à l'université de Boston et suit l'enseignement du photographe Minor White au Massachussetts Institut of Technology. Au moment de payer sa dette aux militaires, il refuse de partir faire la guerre, mais évite la prison en servant dans une association d'aide aux afro-américains de l'Arkansas. Les photographies faites durant ces deux années de service, seront réunies dans son premier livre, Few Comforts or Surprises : The Arkansas Delta (1973). Il s'impose avec son second, Dorchester Days (1978), publié à compte d'auteur, et rejoint Magnum. De 2006 à 2008, il collabore à l'agence VII, fondée par James Natchwey, Christopher Morris, et Alexandra Boulat.

Reportage

Photographe prolifique, mais peu montré dans les magazines, Eugene Richards publie principalement des livres. Ses reportages traitent de sujets sociaux et privilégient un réalisme expressif, lyrique même. Ils témoignent d'autant de sincérité que d'empathie, sans boursoufflure déplacée. S'il peut y avoir du pathos, du tragique on n'y trouve nulle complaisance morbide. La vie s'impose toujours. La rigueur du dispositif permet d'éviter les écueils obscènes de l'apitoiement et de la condescendance. Il prend soin de rester à bonne distance de cette esthétique moralisatrice et maniérée, dont les petits effets dissimulent mal la pacotille des bons sentiments. A cet égard, Exploding into life (1986), sur le cancer mortel de sa première femme, est à la fois exemplaire et sublime.

Richards écarte les effets faciles, les compositions trop picturales, trop hiératiques, trop distantes du sujet. Il leurs préfère au contraire, de la spontanéité et une proximité radicale, au risque de cadrages parfois déconcertants. Ses images sont animées d'une tension propre aux instantanés, entre temps suspendu et continuité temporelle sous-entendue. Cette agitation voudrait énoncer une vérité : « les photos strictement composées risquent de mentir, elles transforment les gens en archétypes - l'Enfant Affamé, le Camé en Manque. Je me sens plus à l'aise devant des photos qui vous font comprendre que ce que vous regardez n'est pas l'unique ou ultime réaction du photographe à une personne ou une situation. Quelque chose se passe avant, pendant et après. »

Vestiges

A plus d'un titre, son dernier livre, The Blue Room (2008), marque une cassure avec ses travaux précédents. D'abord, par la présence de la couleur. Elle est venue chasser la vitalité autrefois débordante pour n'en laisser que le résiduel, la trace au milieu des vestiges. Ensuite, on l'aura compris, les êtres humains ont quitté le cadre. Enfin, l'exceptionnel et volumineux format dit l'ambition paysagiste. Donc, rien de ce à quoi on était habitué.

Du Nord-Dakota au Nebraska, traversant le Montana pour l'Arkansas, il a parcouru l'Amérique rurale et en a photographié la carcasse abandonnée. The Blue Room est un livre sur la disparition. Le climat funèbre y est prégnant. C'est sans nul doute son livre le plus sombre. A l'intérieur de ces baraques, peu à peu dévorées par la végétation, on découvre les résidus de vies enfuies avec précipitation. Les plus téméraires s'amuseront en vain, à les imaginer. Gisent là, des poupées démembrées, une chaussure orpheline, une robe de mariée crasseuse, et poussiéreuse, des photos de famille. Bref, des souvenirs disparates et dérisoires. Au milieu des charognes de chiens, ne restent plus que des chevaux sauvages aux connotations sinistres : « Le folklore et les traditions populaires germaniques et anglo-saxonnes ont conservé cette signification néfaste et macabre du cheval : rêver d'un cheval est signe de mort prochaine » (Gilbert Durand « les structures anthropologiques de l 'imaginaire »).

The Inhabitants

En regardant ces images de maisons vides, il est difficile de ne pas penser au livre de l'écrivain-photographe Wright Morris, The Inhabitants (1946). Il y écrit : « dans toute ma vie je n'ai jamais été dans un endroit si plein de gens, si plein de choses que dans les pièces d'une maison inoccupée. Parfois, je pense que seules les maisons inoccupées sont occupées. »

On a bien quelque chose de cet ordre dans The Blue Room. Mais The Inhabitants est illuminé par du romanesque et un passéisme fréquentés par le spectre de Thoreau. Dans The Blue Room, au contraire, les sentimentaux ne trouverontque quelques miettes de mélancolie au milieu d'un champ d'épaves lugubres. L'inoccupé a pris le dessus, la gentille poésie champêtre s'en est allée. La circulation dans les images, la multiplication des plans, l'enchevêtrement des espaces, les couloirs et les morceaux d'escaliers signalent le chaos de ce passage.

La dignité et la rectitude des façades de Morris ont été grignotées par la vermine. Les ruines ont trouvé demeure dans les prairies de l'Union, couvertes de nuées orageuses. Un monde aura crevé. « J'ai perdu un monde - l'autre jour / Quelqu'un l'a-t-il trouvé ? / Vous le reconnaitrez au bandeau d'étoiles / Qu'il porte autour du front » (Emily Dickinson).

Eugene Richards, The Blue Room

Phaidon Press, 2008

Anglais, 168 pages

isbn 978-0714848327

-------

(*)

En fait, le projet War is personal a d'abord été publié sous la forme de feuilleton entre 2006 et 2008 dans le magazine The Nation

http://www.thenation.com/doc/20060327/richards

http://www.thenation.com/doc/20060508/richards

http://www.thenation.com/doc/20060710/richards

http://www.thenation.com/doc/20080707/richards

http://www.thenation.com/doc/20080922/richards

En 2007, le sujet a été primé par le National Geographic puis par Getty en 2008 avec une séquence légèrement différente. C'est ce sujet qui sera présenté au festival de Perpignan, Visa pour l'image.

Ajout du 3 septembre : un compte rendu de l'exposition de Perpignan, à l'oeil, chez Michel Puech.

-------

1 - The Blue Room, 2008

2 - Cocaine Blue, Cocaine True 1994 - American We 1994 - Below the line : Living poor in America 1987 - Below the line : Living poor in America 1987 - Below the line : Living poor in America 1987
The Knife and the Gun Club 1989 - The Fat Baby 2004 - Dorchester Days 1978 - American We 1994 - Below the line : Living poor in America 1987
3 - Few Conmforts or surprises : the delta of Arkansas 1973 - Dorchester Days 1978 - The Knife and the Gun Club 1989 - Exploding into Life 1986 - Cocaine Blue, Cocaine True 1994
4 - The Fat Baby 2004 - The Fat Baby 2004 - Stepping through the Ashes 2002 - Below the line : Living poor in America 1987 - The Fat Baby 2004
5 - The Blue Room, 2008

6 - Wright Morris, The Inhabitants, 1946 / Eugene Richards, The Blue Room, 2008

---

Selon l'article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle: «Lorsque l'oeuvre a été
divulguée, l'auteur ne peut interdire: (...) les analyses et courtes citations justifiées par le caractère
critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont
incorporées.» La jurisprudence reconnaît aux photogrammes ou vidéogrammes de films la qualité
d'extrait bref, constitutif de l'exception de citation. Dans les conditions énoncées par la loi, la
publication de ces images ne suppose donc pas de demande d'autorisation préalable aux auteurs
ou à leurs ayants-droits.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.