Agusti Centelles est l’un des photojournalistes espagnols les plus célèbre. Engagé dans le camp républicain lors de la guerre civile espagnole, il en a couvert les événements marquants, photographié les figures historiques (Largo Caballero, Andres Nin, Buenaventura Durruti…) et documenté l’exil des républicains. Une trajectoire présentée dans l’exposition Agusti Centelles, journal d’une guerre et d’un exil à l’Hotel de Sully.
Disons-le de suite, l’exposition Agusti Centelles, montrée à l’Hotel de Sully, est décevante. Son ambition de célébrer le centenaire de Centelles et les soixante-dix ans de la guerre civile espagnole tombe un peu à plat. C'est d’autant plus regrettable, que dans l'histoire de la photographie cette guerre marque une rupture dans la manière de photographier les combats. Il y avait là, matière à faire une exposition stimulante.
Agusti Centelles est né en 1909 à Valence, dans le Levente. A quatorze ans, il est apprenti photographe à Barcelone, puis devient photographe indépendant en 1934. Il collabore régulièrement avec la presse, publiant dans la Vanguardia, Diario de Barcelona, Ultima Hora, etc. On connaît surtout ses photos du soulèvement populaire de juillet 1936 à Barcelone. Présent à la prise de la Telefonica, il a aussi photographié la fusillade de la Plaza de Cataluna, couvert l’érection des barricades et le départ des miliciens pour le front, fait le portrait de l'anarchiste Francisco Ascaso peu de temps avant sa mort. En 1937, il rejoint le service photographique du Commissariat à la propagande et suit les principaux événements de la guerre : les journées de mai 1937 à Barcelone (la guerre civile dans la guerre civile entre les fractions les plus révolutionnaires et les républicains), la bataille de Teruel, le front d’Aragon.
Valise
Comme beaucoup de ses compatriotes, il prend le chemin de l’exil en 1939, emportant avec lui, dans une valise, plus de 4000 négatifs non développés. Si, accablé par la défaite, il ne fait aucune photo sur la route de l’exil, il reprendra ses appareils pour témoigner de l’accueil fait aux républicains par le Front Populaire. Il est interné dans les camps de concentration du sud de la France, à Argeles et Bram.
A Carcassonne, il trouve du travail dans un laboratoire photographique en 1940 et quitte le camp. Il rejoint un groupe de résistants français en 1942. Découvert et pourchassé par la Gestapo en 1944, il retourne à Barcelone, après avoir confié sa fameuse valise à ses logeurs. D’abord clandestin, il se signale aux autorités franquistes (1946) qui lui interdisent d’exercer sa profession de journaliste. Il débute alors une carrière de photographe industriel et publicitaire (1947). A la mort de Franco, il retourne à Carcassonne et récupère ses précieux négatifs conservés intacts (1975). Il est distingué en 1984 par l’Etat espagnol qui lui décerne le Premio Nacional de Arte Plasticas. Il décède l’année suivante.
Photojournalisme
L’exposition est divisée en deux séquences. La guerre civile proprement dite, puis le rude séjour dans le camp de Bram. La première salle laisse le visiteur sur sa faim. Les images sont mal mises en valeur et, visuellement, la narration reste faible. On le doit certainement à l’uniformité et à la petitesse du format des tirages. La succession, plutôt sèche, des photographies, peine à donner la mesure du travail « photojournalistique » dont le montage en reportage rendrait mieux compte. Certes, deux diaporamas essaient de l’évoquer, l’un concerne le front d’Aragon et l’autre les journées de mai 1937. Mais, s’ils suscitent l’intérêt, ils résistent à satisfaire. On regrettera également la présence peu significative de publications dans la presse de l’époque. Présentation pourtant précieuse, c’est là, dans ce contexte, que le photojournalisme fait sens. Deux ou trois parutions sont posées là, sans grande conviction. Or, la guerre civile espagnole occupe une place particulière dans l’histoire du photojournalisme. C’est même son baptême du feu.
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Genre et mythe
Grâce à l’évolution de la technologie (Rolleiflex, Leica et amélioration de la sensibilité des films), cette guerre, est le premier conflit couvert au plus près des combats. On connaît la fameuse sentence de Capa, « si votre photo n'est pas bonne, c'est que vous n'étiez pas assez près ». C’est encore la première guerre où la photographie prend autant de place dans le récit journalistique. Enfin, c’est aussi la première guerre dans laquelle les civils sont un objectif militaire. Pour la photographie et la presse, la conséquence en sera la découverte de la photogénie de la douleur et de son importance dans les dispositifs visant à la mobilisation des sentiments compassionnels du public.
Dans ces batailles, au milieu des ruines, naîtront un genre et son mythe, avec ses héros (Capa), ses morts (Taro), son engagement (Chim pour Regards), ses péripéties rocambolesques (les valises de Capa et Centelles), ses standards iconographiques (Centelles, Bombardement de Lerida, 2 novembre 1937). Signe de consécration du photoreporter, son crédit accompagne de plus en plus souvent ses images.
L’exposition aurait gagné en profondeur à présenter avec plus de conséquence ces aspects, qu’elle se contente d’évoquer en dilettante.
Document
Heureusement, la deuxième partie se tient mieux. Tellement mieux qu’on pourrait la croire indépendante. Elle seule a d’ailleurs droit à une publication. La mise en regard du journal de Centelles et de ses photos fonctionne plutôt bien, ainsi que leur mise en valeur documentaire.
Au début de son journal, Centelles décrit ainsi son projet : « Je commence cette description de ce qu’est et de ce qu’a été ma vie en des moments tragiques pour moi. Reclus dans un camp de concentration en qualité de « réfugiés » selon les autorités françaises, de prisonniers au vu des caractéristiques du camp, de son ambiance, de sa discipline et du comportement qui y prévaut en vertu d’ordres supérieurs donnés aux gendarmes en charge d’y faire régner l’ordre intérieur. Je ne manquerai pas de temps pour le décrire ainsi que la façon dont on y vit. » A l’opposé du reportage de presse, où le factuel et l’émotionnel l’emportent trop souvent, les images du camp de Bram décrivent de l’intérieur les différents aspects de cette vie de « réfugiés », jusqu’au malaise. Les corps de ces espagnols emprisonnés témoignent d’une humanité fragilisée, brutalisée, maculée par le deuil, les humiliations et l’ennui. Elles font partie des archives de la mémoire des vaincus.
1 Agusti Centelles, Cimetière dans le camp de Bram, 1939
2 Agusti Centelles, Garde d’Assaut dans la rue de la Disputacion, Barcelonne, 19 juillet 1936 / Paris Soir 25 juillet 1936 / Newsweek, aout 1936
3 Agusti Centelles, Plaza de Cataluna, Barcelone, 19 juillet 1936 / l’Illustration, n°4874, 1er Août 1936
4 Agusti Centelles, Départ des miliciens pour le front, Barcelone, Juillet 1936 / Réfugiés, Tardienta, 1937 / Bombardement de Lerida, 2 novembre 1937 (cité d’après Agusti Centelles, PhotoBolsillo, La Fabrica, Madrid 2006)
5 Publications du Jeu de Paume accompagnant l’exposition
Agusti Centelles, journal d’une guerre et d’un exil, Espagne-France, 1936-1939
Jeu de Paume, site Sully, 62, rue Saint-Antoine, Paris IV, jusqu’au 13 septembre.
Fermé le lundi.
NB : les éditions Actes-Sud proposent une version française du Agusti Centelles, las vides de un fotografo, 1909-1985, Lunwerg, 2006.