Il y a quatre ans, j'entrais à l'hôpital public à la fin de mes études de psychologie. Institution que j'idéalisais comme le prototype de ce que le modèle de santé Français avait de mieux. Quelques péripéties plus tard, après quelques changements de service, je pense sérieusement à un départ définitif.
Je travaille en psychiatrie. Je dirais même : je suis engagée en psychiatrie. Il y a 6 mois encore, je me battais dans mon service intra-hospitalier pour faire vivre une dynamique de soin. J'ai consacré mes études avec passion à la psychothérapie institutionnelle et je pensais avoir le cran et la volonté d'allumer l'étincelle du collectif partout où la chance me serait donnée de travailler.
Dans mon service actuel, j'ai tenté. J'ai créé un groupe de parole du mardi, un atelier photo-langage du jeudi et un groupe artistique du vendredi. Dans cette démarche j'étais vivement soutenue par le médecin, chef de service ; le psychiatre. J'y ai mis les moyens et déployé l'énergie nécéssaire.
J'ai pris une première gifle lorsque j'ai proposé, la bouche en coeur, aux infirmiers du service de s'engager avec moi dans ce travail. L'une d'elle s'est emportée : "C'est bien gentil de faire des groupes artistiques mais on a notre travail, on est pas assez. Moi je ne participerai pas, les autres sont libres". En déclarant les autres libres, cette soignante venait au contraire de clore toute possibilité...
Qu'à cela ne tienne, j'ai recruté des stagiaires pour co-animer mes groupes et j'ai tenu le cap. Pendant quelques semaines cinq patients ont été très assidus et nous avons fait un travail fort intéréssant. Mais cinq patients, sur presque une trentaine... C'est plutôt peu.
Puis une vague de COVID est arrivée mettant sur pause toute initiative. Nous étions un cluster, 20 contaminations et 1 décès. Bien sûr, nous n'avions pas le matériel, les masques FFP2 et les surblouses. Mais cela est un autre sujet.
Arrive l'année 2021. Le psychiatre se met en grève tous les lundis. Il m'explique qu'une nouvelle loi favorise les nouveaux médecins dits "praticiens hospitaliers" et pénalise lourdement les anciens, leur faisant perdre plusieurs années d'ancienneté.
Puis le mercredi matin, en réunion d'équipe, il nous annonce deux choses :
- Une nouvelle loi sur l'isolement et la contention va empêcher une partie du travail. Notamment de protéger les patients fragiles qui devraient rester enfermés en chambre. Cette loi serait issue d'un lobby de l'église de scientologie...
- Après trois semaines de grèves infructueuses, le ministère de la santé reste sourd: le psychiatre a donc choisit de démissionner.
Le psychiatre démissionne.
Cette annonce me fait l'effet d'un coup de massue. Il me vient la métaphore suivante : comment fonctionne un orchestre sans chef d'orchestre?
Une dizaine de poste de psychiatre sont déjà vacants sur l'établissement. Les chances qu'un jeune émoulu arrive et veuille endosser la responsabilité de deux postes comme le faisait le psychiatre en place, sont infinitésimales. Surtout que notre service comporte un secteur fermé, dédié aux soins sans consentement.
J'ai le tournis. Le psychiatre a déjà moult portes de sortie et on l'attend dans les meilleures clinique privées de la région.
Quant à la loi sur l'isolement et la contention, j'en vois germer les premières conséquences quelques semaines plus tard. Dans le secteur fermé nous avons trois patients mineurs, mélangés avec des patients très malades de tous les âges. L'un de ces jeunes a 13 ans. Au contact des autres il s'initie à la cigarette et part en quête de rapports sexuels. Un autre de ces ados entre dans des interactions folles avec des patients adultes, à caractère sexuel également. Les enfermer dans leur chambre comme le voudrait le bon sens est devenu interdit.
La maman d'un de ces garçons me téléphone, elle est en pleurs. Elle me dit que l'état de son fils s'aggrave, qu'il tient des discours qu'il n'avait jamais eu auparavant, qui ne lui ressemblent pas. Elle est terrifiée et effondrée. Que lui dire? L'écouter bien sûr. Mais lui dire que notre service travaille pour le bien de son fils, je ne le peux pas. Entre temps, mes ateliers thérapeutiques ont été désertés. Ils n'interessent plus que moi et mes stagiaires.
Ceci n'est pas une vérité absolue mais nous sommes un service d'hebergement, plus que de soin. La drogue circule abondamment. Nous accueillons beaucoup de SDF, d'adultes handicapés n'ayant pas de place dans les structures médico-sociales, des schizophrènes chroniques que personne ne veut suivre à l'extérieur. Cette population n'ayant pas d'autre lieu d'accueil fait que l'ambiance est à l'inertie. Aucune inventivité n'est possible.
Quelle place pour le psychologue dans un tel contexte? Mon ressenti est que la psychiatrie publique a perdu toute vocation soignante devenant un système de gestion de flux de personnes en déshérence, faisant perdre le sens du travail des soignant jusqu'à les pousser à bout.
Je suis révoltée qu'un excellent psychiatre qui fut comme moi engagé pour la vraie psychiatrie, pour le service public, démissionne dans l'indifférence générale. On parle beaucoup de l'hôpital, mais ce dont on parle le moins, c'est de la psychiatrie adulte qui est en ruine.
Je pense moi aussi partir avant d'y laisser ma santé, déjà entamée. J'ai pourtant la chance d'avoir un salaire correct. Les infirmiers tiennent grâce à la force du corporatisme. Et les psychiatres ne sont déjà plus là.
Il ne s'agit pas d'un problème local, et je ne souhaite aucunement dénigrer mon hôpital. C'est un problème national. Le départ d'excellents praticiens hospitaliers est un symptôme grave que le ministère de la santé devrait prendre en considération, lui qui est médecin.
Pendant que les cliniques privées d'Orpea font fortune en vendant de l'hotellerie, je me demande : quel avenir pour le soin psychiatrique et le service public?