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Sénatrice socialiste de l'Ain

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Tribune 8 juin 2025

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Eau potable contaminée : une bombe à retardement que le Sénat doit désamorcer

La sonnette d’alarme retentit de plus en plus fort : notre eau potable est en danger. Derrière le confort du robinet et l’illusion d’une ressource inépuisable se cache un équilibre fragile, menacé par des pollutions diffuses — pesticides, nitrates, PFAS et autres substances émergentes. L'eau potable en France est une bombe à retardement que le Sénat doit désamorcer. Par Florence Blatrix Contat, sénatrice.

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Sénatrice socialiste de l'Ain

La sonnette d’alarme retentit de plus en plus fort : notre eau potable est en danger. Derrière le confort du robinet et l’illusion d’une ressource inépuisable se cache un équilibre fragile, menacé par des pollutions diffuses — pesticides, nitrates, PFAS et autres substances émergentes. L'eau potable en France est une bombe à retardement que le Sénat doit désamorcer.

Notre système d’approvisionnement est pris dans un étau qui se resserre. D’un côté, les pollutions dégradent inexorablement la qualité de l’eau captée ; de l’autre, le dérèglement climatique compromet la recharge naturelle des ressources. Les points de captage, où l’eau est prélevée avant d’être traitée et distribuée, sont de plus en plus exposés. En quarante ans, près de 12 500 d’entre eux ont été contraints de fermer, dont un tiers spécifiquement à cause des contaminations aux nitrates et aux pesticides.

Aujourd’hui, quelques 35 000 captages restent en service. Mais chaque fermeture, souvent motivée par le coût exorbitant de la dépollution, affaiblit notre capacité à garantir un approvisionnement sûr. La pression sur les captages restants s’intensifie, précisément au moment où la ressource se fait plus rare sous l’effet du dérèglement climatique. Qualité et disponibilité de l’eau sont désormais indissociables : c’est l’ensemble de notre sécurité hydrique qui vacille. À l’été 2022, plus de 700 communes ont ainsi été privées d'eau potable.

Le 12 juin, le Sénat devra trancher : assumer ses responsabilités en suivant le consensus scientifique et les nombreux rapports parlementaires, ou bien persister dans une inaction aux conséquences sanitaires, environnementales et économiques potentiellement irréversibles.

Une menace sous-estimée : agir à la source

En 2022, selon le ministère de la Santé, plus de 10 millions de Français ont bu au moins une fois dans l’année une eau non conforme aux normes sur les pesticides. Près d’un tiers des eaux souterraines sont polluées et 40 % des masses d’eau risquent de ne pas atteindre un bon état chimique d’ici 2027. Mais ces chiffres ne racontent pas toute l'histoire. La majorité des substances réellement présentes dans l’eau échappent encore à la surveillance. Les pollutions dites « émergentes » sont mal ou pas du tout mesurées, et les normes actuelles ignorent l'effet cocktail, c'est-à-dire l’interaction dangereuse entre résidus chimiques. L'Inserm a pourtant documenté dès 2021 les effets sanitaires de ces polluants, en particulier pour les femmes enceintes et les agriculteurs.

La réponse actuelle consiste à traiter l’eau. Une stratégie curative qui montre clairement ses limites : techniques, géopolitiques et économiques. Sur le plan technique, les procédés comme l’osmose inversée ou les filtres à charbon actif peinent face à des pollutions de plus en plus complexes et coûteuses. Géopolitiquement, nous dépendons des importations de charbon actif, nous exposant à des ruptures d'approvisionnement en cas de crise internationale. Économiquement, le traitement curatif coûte entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an, à la charge des collectivités et, in fine, des usagers. À ce rythme, le prix du mètre cube pourrait bondir de 30 à 45 %, notamment en milieu rural.

Pourtant, prévenir coûte trois fois moins cher que guérir. Ce constat, rappelé sans ambiguïté par la direction de l’eau et de la biodiversité, trouve un écho direct dans une instruction gouvernementale de 2020. Cette dernière soulignait que : « Fermer des captages contaminés ou traiter l’eau ne constituent pas des solutions pertinentes à long terme ». Agir à la source n'est donc plus une option, mais un impératif sanitaire, environnemental et économique.

Une loi pour une transition juste

C’est à cette urgence que répond la proposition de loi que je défendrai le 12 juin. Elle prévoit l’interdiction progressive de l’usage et du stockage de pesticides et d’engrais minéraux dans les zones de protection des aires d’alimentation de captages, avec une pleine effectivité au 1er janvier 2031 et des étapes intermédiaires pour une transition progressive et concertée.

Certains y verront une contrainte pour les agriculteurs. Pourtant, les surfaces concernées ne représentent que 3 à 5 % de la surface agricole utile. Il est non seulement possible, mais impératif de les accompagner vers des pratiques durables, protectrices des nappes et des sols. L’exposé des motifs de cette proposition est sans ambiguïté : cette transition ne se fera pas contre le monde agricole, mais avec lui.

Des amendements de compromis, portés en commission par le rapporteur Hervé Gillé, allaient précisément dans ce sens. Ils prévoyaient une mise en œuvre progressive, ouvraient la voie à un accompagnement technique et financier structuré autour de contrats d’engagements réciproques entre agriculteurs et gestionnaires d’eau potable, et fixaient une entrée en vigueur dix ans après la promulgation de la loi. Tous ont été rejetés par la droite. Je les reprendrai à mon compte lors de cet examen en séance publique, car ils constituent les fondations d’un consensus à la fois pragmatique, équilibré et efficace.

Le 12 juin, le Sénat aura l’opportunité de rompre avec l’inaction et d’ouvrir la voie à une politique de prévention à la hauteur des enjeux. Il ne s’agit pas d’un débat technique, mais d’une question de santé publique, de protection des écosystèmes, de souveraineté et d’équité territoriale, avec à la clé des conséquences financières lourdes pour les collectivités comme pour les citoyens. Face à l’aggravation des pollutions et à l’explosion des coûts, le statu quo n’est plus tenable. La seule voie responsable est celle d’une action résolue, ambitieuse et préventive. Garantir une eau potable de qualité, aujourd’hui et demain, exige un sursaut collectif. Le Sénat doit être au rendez-vous.