Je reviens d'un forum avec la "vraie gauche", celle des 3 partis du Front de gauche, celle des associations qui luttent pour les droits de l'homme. Une question en débat : "le féminisme, un gros mot?". A la tribune, des représentantes de la diversité du Front de gauche et une trans qui témoigne. Des interventions intéressantes sur la nécessité de lutter hier et aujourd'hui contre la logique du patriarcat, toujours à l'œuvre et sur le féminisme comme logique d'émancipation.
Mais Alima Boumedienne-Thiery dit que le féminisme est instrumentalisé dans les affaires de foulard. Grognements et moues significatives à la tribune et dans la salle. La discussion s'engage, manifestement à contrecœur pour la majorité de la tribune qui tente d'éluder le débat en disant : "on verra ça plus tard, il faut un long débat pour savoir si on est pour ou si on est contre. "
MAIS CE N'EST PAS LE PROBLEME!!! Moi non plus le foulard, le voile ou autre, ce n'est pas ma tasse de thé! PEU IMPORTE pour le moment ce débat! Ce qui compte, dans l'instant où on est, c'est la LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS, LA VIOLENCE dont ces femmes qui le portent sont victimes.
On a fait le tour de l'émancipation forcée quand les colons arrachaient le voile des Algériennes, non? Ou quand l'Occident impose la "démocratie" au Moyen-Orient….
Combattre le juste droit de ces femmes d'exprimer librement leurs opinions religieuses, ce n'est en aucun cas défendre le foulard, c'est défendre le droit de le porter, si c'est leur choix. C'est être en accord avec l'article 1 de la belle loi de 1905 sur la laïcité : "La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes". Alors oui, il faut PARLER avec ces femmes, discuter avec elles de leur choix, voir s'il n'y a pas de contrainte, mais en confiance, et pour cela elles doivent être sécurisées.
Or les violences islamophobes s'accroissent de manière très inquiétantes et notamment les agressions, verbales ou physiques, contre les femmes voilées. Elles sont ignorées, méprisées, discriminées, voire violentées. Oh eh, les féministes! Il est là notre travail! Ce combat pour le droit de ces femmes s'inscrit pleinement dans le combat de celles et ceux qui luttent contre les discriminations, contre le racisme, contre le colonialisme.
Dreyfus avait-il les mêmes idées que Zola ou Jaurès? Non. Et PEU IMPORTE, car ce n'était pas le problème : il s'agissait de le défendre car il était accusé, car son seul crime était d'être juif dans une France où nombreux étaient ceux "qui ne pouvaient les souffrir" dit Zola dans sa lettre Pour les juifs, comme le rappelle l'excellent livre d'Edwy Plenel Pour les musulmans. Comme aujourd'hui, nombreuses et nombreux sont ceux qui sont "mal à l'aise" avec les femmes voilées. ET ALORS? Nous, gens de bonne volonté, humanistes, de la gauche, de la "vraie gauche" on va crier avec la louve Le Pen? On va faire la "fine bouche" et laisser prospérer l'islamophobie, la violence faite aux musulman-e-s parce qu'ils/elles le montrent ? On a déjà franchi un pas vers l'infâme avec l'histoire de la jupe, qui n'est pas anecdotique : elle a retiré son voile, mais elle est suspecte de prosélytisme, qu'elle retire la jupe! Et l'étape d'après? C'est qu'ils disparaissent de notre terre, c'est le combat de tous les réactionnaires, retournez chez vous, pour ces musulman-e-s, la plupart français-e-s depuis plusieurs générations maintenant. Et après? Eh bien, dans la configuration la plus grave, c'est le génocide : qu'ils disparaissent de la Terre. Lire sur cette montée des périls les ouvrages de Jacques Sémelin . Alors qu'on combatte les fascistes, néofascistes, réactionnaires : c'est attendu, on est prêt-e-s. Mais entre nous??? Comment ne pas comprendre que le féminisme, la laïcité se font instrumentalisés? Comment ne pas s'arc-bouter de toutes nos forces pour qu'un tel processus ne se passe pas?
Comme le disait Emile Zola dans sa Lettre à la France de 1898, repris par E. Plenel au début de son livre déjà cité : "La République est envahie par les réactionnaires de tous genres, ils l'adorent d'un brusque et terrible amour, ils l'embrassent pour l'étouffer". Cela reste oh combien vrai pour la République, mais la phrase est malheureusement très juste aussi si on pense "laïcité" et/ou "féminisme". Alors, il ne faut rien lâcher et il faut combattre, les yeux ouverts, pour la liberté de ces femmes, pour leur égalité, contre les discriminations, et si possible, ensemble, dans un combat fraternel.
Florence Braud, le 9 mai 2015