Je les ai entendu ce matin sur RFI. J'ai eu envie de lire ce rapport. Il est très concret sur la situation en Europe et particulièrement en France sur la situation des réfugiés, demandeurs d'asile et de plus en plus déboutés, alors qu'ils ont été victimes de tortures ... Ils expliquent aussi les conséquences de cette non-prise en compte sur eux bien sûr, mais aussi sur leurs proches et notamment leurs enfants, comme à terme, sur l'ensemble de la société française. J'ai copié des extraits. Lisez-les ou mieux lisez ce rapport de 28 page. Précis et édifiant.

EN FRANCE, UN DISPOSITIF
DE SANTÉ INADAPTÉ
Il n’existe pas de structures adaptées à la prise en charge des victimes de la torture dans le
dispositif de santé publique, ni même d’étude épidémiologique sur cette population. Par
ailleurs, l’accès à une couverture santé (Couverture Maladie Universelle et Aide médicale
d’Etat) est très compliqué — quand il ne leur est pas refusé. C’est pour ces raisons que le
Centre Primo Levi a été fondé en 1995.
• Un manque de formation des professionnels
• Absence de recours à des interprètes
• Des temps de consultation insuffisants
On ne peut pas « guérir » de la torture mais on peut apprendre à vivre avec.
Un problème croissant de logement :
• Les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile sont progressivement devenus saturés (aujourd’hui, 1 place pour 3 demandes)
• Les autres solutions institutionnelles (foyers, hôtel) sont inadaptées et elles aussi saturées ;
• Les solutions « personnelles » (compatriotes, famille) sont de moins en moins fréquentes car, souvent, ces personnes ont
également été atteintes par la précarité.
> Depuis 2011, en moyenne 13% de SDF parmi nos patients
contre 2% en moyenne à la fin des années 90
Une nette dégradation
de l’accueil en France,
avec des conséquences
directes sur la thérapie
Les conditions d’accueil très
fortement dégradées et les
difficultés grandissantes pour
obtenir une protection donnent
un sentiment d’insécurité aux
patients que nous recevons et
prolongent inévitablement la
durée des soins.
La durée moyenne des suivis
est aujourd’hui de 2 ans et
demi, mais 15% des patients
ayant quitté le centre en 2014
avaient été suivis sur une durée
de 6 à 12 ans. Cette réalité est
importante à connaître car les
effets des violences induites par
l’homme, bien souvent couplés
avec la dureté de la vie et
l’absence de papiers, rendent la
sortie du centre de plus en plus
problématique.
Retrouver une certaine
« normalité » dans sa vie de
tous les jours, rejoindre « le droit
commun » pour les soins, arriver
à « vivre enfin et pas seulement
survivre » après la torture et
la violence politique devient
difficilement envisageable pour
certains patients, tellement
les obstacles paraissent
insurmontables.
la dégradation des
conditions de vie a un impact visible sur la santé des
réfugiés. Non seulement sur le plan psychique, parce que la
précarité (synonyme d’isolement social, d’inactivité, parfois de
décrochage scolaire des enfants) perpétue les souffrances et le
déséquilibre de personnes dont le parcours est marqué par de
nombreuses ruptures et pertes ; mais aussi, sur le plan physique,
parce qu’elle empêche la rémission de certains symptômes (comme
les insomnies, les maux de tête ou les douleurs musculaires).
Dans le pire des cas, ce qui est malheureusement de plus en
plus fréquent, les conditions de logement sont même la cause
de nouveaux symptômes
La violence infligée par les bourreaux vise
aussi la famille de la victime
La barbarie et la terreur désarticulent les liens. Les
enfants sont battus devant leurs parents, les parents
humiliés ou exécutés devant les enfants : ces violences
produisent immanquablement des traumatismes au-delà
de la douleur physique. Père et mère sont déchus de
leur rôle, fondamental, de protection vis-à-vis de
leurs enfants : une situation qui, à certains égards, se
perpétue dans l’exil. Ce qui devient éminemment difficile
après de tels traumatismes, c’est de réussir à trouver sa
place de père, de mère, d’enfant au sein de sa famille,
ou de ce qui en reste. Cette difficulté est exacerbée en
exil, lorsque l’enfant est scolarisé et apprend rapidement
le français, ce qui l’amène souvent à jouer les interprètes
pour ses parents, à être propulsé intimement dans les
inquiétudes des adultes. Alors que les enfants prennent
rapidement des repères à l’école et s’y investissent,
les parents se retrouvent sans activité, ne pouvant
subvenir à leurs besoins (les demandeurs d’asile ne
sont pas autorisés à travailler), et sans la moindre
occupation (l’Etat a renoncé aux cours de français pour
les demandeurs d’asile dont plus de 70% seront déboutés
et « ont pour vocation à quitter le territoire »). Dévorés par
un sentiment d’insécurité, même en exil, hantés par les
images des violences subies, les parents sont devenus
l’ombre de ce qu’ils étaient, maintenus dans un état de
dépendance totale, déchus socialement.
Les enfants veillent sur leurs parents, les soutiennent, ne
posent pas de questions embarrassantes, ou très peu.
Comment être père, mère ici, quand les conditions
d’accueil mettent en difficulté leurs capacités à veiller
aux besoins de leur famille ? Quand la précarité et la
misère figent le quotidien, quand les quelques mètres
carrés d’une chambre d’hôtel, souvent minable et où règne
la promiscuité, font fonction de chez soi ?
Les réfugiés statutaires ont le droit de faire venir leur
famille sans conditions préalables de revenu ni de
logement (exigées pour les autres migrants). Sauf que
la durée de traitement des dossiers de demande d’asile
a considérablement augmenté jusqu’à atteindre dix-neuf
mois en moyenne aujourd’hui, et que le service d’état
civil de l’OFPRA met souvent des mois pour établir les
documents nécessaires au regroupement familial… on
peut donc considérer qu’à l’heure actuelle, cette demande
n’est envisageable qu’après au moins deux ans de
séparation !
: il n’y a désormais plus d’organisme attitré ayant pour
mission l’accompagnement des réfugiés dans cette
longue démarche. . Le réfugié se retrouve dans une solitude absolue,
sans accompagnement, sans aide financière et sans
préparation pour le calvaire supplémentaire qui l’attend.
Bref, l’obtention du statut de réfugié n’est pas un sésame
pour ces familles mutilées : de part et d’autre, les liens
sont mis à rude épreuve.
A leur arrivée au centre, les déboutés du droit
d’asile sont de plus en plus nombreux...
... alors qu’il s’agit des personnes le plus en
besoin de protection.
Jusqu’en 2005, ils représentaient entre 0 et 6% de nos
patients. Depuis, ils sont entre 10 et 25%. A l’inverse, entre
Jacques a 19 ans. Il est erythréen. Un jour, en voiture avec sa petite amie, ils ont un
accident ; elle ne survit pas à ses blessures. C’était la fille d’un haut gradé, autrement dit
d’un homme puissant.
Menacé par cet homme et ses sbires qui le considèrent responsable de cette mort, il doit prendre
la fuite. Une fois en France, il rencontre des compatriotes qui l’entraînent dans des manifestations
contre le régime erythréen. Alors que son dossier de demande d’asile est presque prêt, il
se fait arrêter et renvoyer en Erythrée.
A peine sorti de l’avion, il est
embarqué par la police, direction
la prison. Les tortionnaires ont
trouvé sur les réseaux sociaux
les photos de manifestations
auxquelles il a participé en France.
Pendant plus de deux mois, il sera
quotidiennement torturé, violé,
humilié, menacé de mort.
Une fois libéré, il quitte de nouveau
son pays pour la France, où il dépose une demande d’asile.
Débouté de cette demande sous
prétexte de ne pas avoir assez
de preuves pour étayer son
récit, il s’enfonce dans la dépression. À la rue, il ne mange plus, ne parle à personne, vit dans la
peur d’être de nouveau renvoyé en Erythrée.
Un jour, un compatriote lui recommande le Centre Primo Levi. Un médecin le reçoit au centre pour
soigner les séquelles des tortures. Quelques mois plus tard, lors d’un banal contrôle de police,
il est envoyé en centre de rétention1, alors même qu’il a rendez-vous à la préfecture deux jours
plus tard. Trois ans jour pour jour après sa première expulsion d’Europe, qui l’avait directement
jeté dans les geôles eryhréennes... Terrorisé à l’idée d’être une fois encore renvoyé dans son pays,
Jacques est heureusement libéré par le juge administratif, après 5 jours d’angoisse, grâce au travail
acharné de la juriste du Centre Primo Levi.
Aujourd’hui, il est suivi par le médecin du Centre mais aussi par un psychologue, car cette
arrestation a ravivé ses traumatismes.
A 22 ans, Jacques est un jeune homme brillant mais paralysé par ses angoisses. Il rêve
pourtant de choses simples : pouvoir poser son bagage, trouver une formation, reprendre ses études, avoir un toit.
En termes d’accord du statut de réfugié, des quatre pays
d’Europe ayant reçu le plus grand nombre de demandes
d’asile en 2014, la France est celui y accédant le moins
avec 30,1% de réponses positives sur la totalité des demandes
d’asile traitées. En comparaison, l’Allemagne a rendu 48,9%
de réponses positives en 2014, l’Italie 58,6% de réponses
positives et la Suède 82,7% de réponses positives.
Ramenés aux populations des Etats membres, le nombre
de demandeurs d’asile est le plus élevé en Suède (8,4
demandeurs par millier d’habitants), devant la Hongrie (4,3),
l’Autriche (3,3) et Malte (3,2).
Sachant que la liste des pays considérés comme « sûrs »
diffère d’un pays d’Europe à l’autre, il faut également
noter que le traitement des demandes d’asile varie
considérablement : les personnes originaires d’un même
pays peuvent largement obtenir le statut de réfugié dans un
pays, et très difficilement dans un autre.
En 1981, 78% des personnes requérant l’asile en France
obtenaient une protection. Depuis, ce taux a régulièrement
baissé avec 30,1% de réponses positives sur la totalité des demandes
d’asile traitées.
QUELQUES IDÉES REÇUES
SUR LES MIGRANTS
Les prétextes à fermer nos frontières aux personnes en quête de protection sont
malheureusement nombreux. Les contextes de crise économique et sociale forment un
terreau idéal à la xénophobie et aux idées préconçues. Les principes de solidarité et de respect
des conventions internationales ne semblent pas suffisants à convaincre l’opinion et les
décideurs publics d’offrir un accueil digne à ces personnes. Au-delà de ces principes, il existe
pourtant un « intérêt » réel à favoriser leur accueil et à améliorer leur prise en charge.
Fermer les frontières ne fait qu’accroître
les arrivées illégales
Les personnes forcées à fuir leur pays n’ont en général pas
de possibilité de retour car les conflits durent des années,
parfois plus. Les pays frontaliers des principaux foyers de
violence sont, pour la plupart, des pays pauvres ou euxmêmes
en situation politique instable. N’ayant plus rien à
perdre, ces hommes, ces femmes et ces enfants risquent
donc leur vie pour rejoindre des lieux où ils pensent trouver
refuge. Les politiques de fermeture des frontières ne les
dissuaderont pas de tenter leur chance pour retrouver une
vie stable et digne.
Les déboutés : un faux débat
En France si ce n’est dans toute l’Europe, l’asile
a progressivement perdu ses lettres de noblesse.
Considéré, à l’époque de la signature des conventions
de Genève, comme un droit humain destiné à protéger
des personnes menacées, il est aujourd’hui miné par une
autre idée fausse selon laquelle il serait pris d’assaut par
des « migrants économiques déguisés ». Ce préjugé
légitime le nombre particulièrement élevé de personnes
déboutées du droit d’asile et porte à croire en un dispositif
infaillible à détecter les « vrais » des « faux ». Il suffit
pourtant de jeter un oeil aux principales nationalités des
demandeurs d’asile (République démocratique du Congo,
Russie, Bangladesh, Syrie) pour se convaincre des réelles
motivations qui les ont amenés à s’engager dans cette
procédure longue et douloureuse.
Aujourd’hui, entre 10 et 25% des personnes se présentant
au Centre Primo Levi ont été déboutées alors qu’elles
présentent manifestement, en consultation médicale
ou psychologique, des séquelles de violences graves.
Souvent incapables de parler de ces violences au premier
contact, et encore moins devant des personnes incarnant
l’autorité (qu’il assimilent à leurs tortionnaires), ou inaptes à
fournir un récit parfaitement cohérent à cause des troubles
de mémoires et autres effets causés par le traumatisme,
ces personnes voient leur parole mise en doute et en
ressortent moins confiantes et plus anéanties encore.
Les soins coûtent moins cher s’ils sont
adaptés
Comme dans toutes les problématiques de santé publique,
il est évident qu’une prise en charge adaptée et précoce
est moins coûteuse pour le contribuable. Aujourd’hui, il
n’existe pas dans le droit commun de dispositif de santé
adapté aux demandeurs d’asile en besoin de soins. Ceux
qui bénéficient de la Couverture Maladie Universelle ou de
l’Aide médicale d’Etat vont de consultation en consultation
dans des structures ne disposant pas d’interprètes, où
les rendez-vous sont souvent trop rapides pour entrer
en confiance avec le soignant et livrer les raisons de leur
souffrance, où la moindre absence (souvent due à des
conditions de vie instables, si ce n’est aux troubles de la
mémoire et de la concentration consécutifs aux violences
subies) vaut exclusion de la file active. Ainsi, les personnes
qui s’adressent au Centre Primo Levi arrivent souvent avec
des dossiers médicaux qu’eux-mêmes ne comprennent
pas, des diagnostics erronés et des traitements inadaptés.
Intégrer ces personnes au droit commun et leur offrir
une prise en charge adaptée serait d’autant moins
coûteuse qu’elle éviterait ces consultations inutiles ainsi
que d’éventuelles prises en charge plus lourdes, en cas
d’absence de soins précoces et d’aggravation de leur état.
L’impact des effets de la torture sur
l’entourage
La santé et la stabilité des conditions de vie des
personnes victimes de la violence politique a un impact
sur leur entourage et sur la société. D’une part, les effets
de cette violence ont la particularité de se transmettre
aux générations suivantes : les enfants d’une personne
ayant subi la torture en « absorbent » les effets sans pour
autant l’avoir vécue ni même en avoir témoigné. Ces
effets peuvent se manifester de différentes façons — par
exemple sous la forme d’une agressivité particulièrement
forte au moment de l’adolescence. Soigner ces personnes
permet de diminuer ces effets, qui ont tendance par ailleurs
à renforcer l’exclusion de l’ensemble de la communauté
des exilés et donc de porter atteinte au « bien vivre
ensemble ».
http://www.primolevi.org/actualites/rapport-20-ans-de-soins-de-soutien-aux-exiles.html