« L’émancipation masculine n’a pas eu lieu. Vos imaginations sont soumises. On vous dit « domination » et vous ne bandez que pour la domination. On vous dit de vous mettre au service de la guerre et vous répondez les armes sont plus importantes que l’air qu’on respire ou que l’eau que l’on peut boire, les armes c’est le sel de l’humanité. On s’attaque aux patrons, ça vous fait paniquer. Vous vous bousculez pour défendre les patrons. C’est ça, ce que vous faites – vous vous bousculez pour redire le droit du patron à faire ce qui lui plaît. Ce que vous nous dites, nous l’entendons, c’est ne vous libérez surtout pas de vos chaînes, vous risqueriez de briser les nôtres dans le mouvement. »
« J’ai lu sur Internet que ça faisait partie de ton personnage, picoler taper gober rouler… à la Bukowski, à la Hemingway. T’as raison, c’est le seul truc un peu viril chez toi… Écrivain, c’est difficile à concilier avec une masculinité un tant soit peu dynamique. C’est tellement proche de la broderie, votre truc. Tu vas décevoir beaucoup de monde si la prochaine que tu ouvres ta boutique tu annonces que es devenu sobre. Les gens aiment qu’on se détruise, c’est un spectacle intéressant. Il y a une légende qui veut que les artistes qui arrêtent de se défoncer perdent leur talent. Je n’y crois pas. J’ai trop d’amis qui n’ont jamais arrêté de se droguer et qui sont devenus complètement nuls. C’est juste qu’en vieillissant, on devient chiant. Si la drogue y changeait quelque chose, ça se saurait. La plupart des artistes ont trois choses à dire, une fois que c’est fait ils feraient mieux de changer d’activité. »
« Certains amours ressemblent à la drogue dure. Tu ne laisses pas tomber, même quand c’est devenu une démolition. Tu es convaincue qu’en étant loyale, courageuse et capable d’obstination, les choses redeviendront comme elle étaient au début. Quand elles étaient extraordinaires. Ton intelligence sait que c’est foutu mais tes tripes commandent, qui disent tu dois rester dans cet amour. Dans mon cas, c’était toujours des mecs qui étaient comme moi. Qui voulaient combler un vide comme un précipice et qui y croyaient dur comme fer. »
« C’est une histoire d’éducation. On m’a tant répété, quand j’étais petite, que le plus beau c’était de mourir par amour ! Il n’y avait pas destin plus tragique, pour une femme. Sauf être mère qui souffre beaucoup. C’est toujours le malheur qu’on vénère, dans la maternité. Jamais l’épanouissement. Et la mort tragique, pour les amantes. Si tu aimes le sexe avec un homme, tu dois être prête à mourir. »
« On supporte très bien l’idée que les femmes soient tuées par les hommes, au seul motif qu’elles sont des femmes. Sauf si elles sont des petites filles ou des vieilles dames. Ce qui veut dire qu’on supporte très bien l’idée qu’une femme soit victime d’un homme tant qu’elle est en âge d’avoir une sexualité active. Même si elle mariée, même si elle est maman, même si elle est bonne sœur – à partir du moment où elle est pubère et jusqu’à ses soixante-quinze ans – elle est une victime acceptable. Et je crois que c’est parce qu’elle est éventuellement sexuelle. La société comprend l’assassin. Elle le condamne, évidemment. Mais avant tout, elle le comprend. C’est plus fort que lui. Que ce soit sa femme ou une inconnue.
Imagine qu’à la place des femmes qui sont tuées par les hommes, il s’agisse d’employés tués par leurs patrons. L’opinion publique se raidirait d’avantage. Tous les deux jours, la nouvelle d’un patron qui aurait tué son employé. On se dirait, ça va trop loin. On doit pouvoir aller pointer sans risquer d’être étranglé ou criblé de coups ou abattu par balles. Si tous les deux jours, un employé tuait un patron, ce serait un scandale nationale. Panse à la gueule des gros titres : le patron avait déposé trois plaintes et obtenu un ordre d’éloignement mais l’employé l’a attendu devant chez lui et abattu à bout portant. C’est quand tu transposes que tu réalises à quel point le féminicide est bien toléré. Les hommes peuvent te tuer. Ça flotte au-dessus de nos têtes. On le sait. C’est comme si on te recommandait de jouer à la roulette russe. Je n’ai jamais eu envie de mourir mais j’ai aimé les drogues dures, les hommes violents et la vitesse. On m’aura beaucoup plus sermonnée sur les drogues dures que sur les hommes. »
« L’état sait que les lois qui concernent les drogues sont avant tout des lois de dignité économique. Ceux à qui on la retire et ceux à qui on l’octroie. Le petit détaillant de shit est un criminel. Il rend service à la communauté, il est utile et ne fait de tort à personne. Et il sert à blanchir l’argent de l’actionnaire puissant, qui lui ne sert à rien et bousille les communautés. Aux uns les honneurs, aux autres la prison. »
« La drogue, c’est aussi de la dissidence pas compliquée, de la dissidence qui se fume qui se sniffe qui se shoote ou se gobe. De la dissidence à bon compte. N’importe quel imbécile peut se défoncer. Il n’y a pas besoin de courage pour recommencer. Puisque c’est plus fort que soi ; alors ça devient de la désobéissance facile. Puisque désobéir finalement, c’est toujours décider d’obéir à autre chose qu’au pouvoir en place. Obéir à son instinct, ou obéir à la justice, ou obéir à son désir. Le désobéissance, c’est toujours dire au père : tu n’es pas le patron. Tu n’es pas le seul patron. Ta parole n’est pas divine.
Mais bien sûr, quand on obéit à la drogue c’est à la parole du parrain qu’on obéit. A la parole du banquier qui fait du blanchiment d’argent. On devient l’employé d’un système parallèle au sommet duquel, en vérité, c’est toujours la même masculinité qu’on se soumet. D’une pure démonstration de violence à l’autre, c’est toujours la même connerie qui finit par nous écraser. »
« Quand j’avais vingt ans, il y avait ce truc avec les voitures. Les rond trips, une fascination pour les grosses américaines, mais aussi pour certaines vieilles bagnoles françaises - il y avait un engouement populaire. On faisait dix heures de route sans se poser de question. On aimait rouler. On aime la voiture plus que la vie humaine. C’est une question d’industrie. D’économie du pétrole. De gestion des routes. D’actionnaires puissants qui n’ont pas envie que ça change ; mais on continue de croire qu’il y a quelque chose de rationnel dans nos comportements. Ils peuvent être expliqués par l’avidité d »un pourcentage de gens qui ont intérêt à ce que ce soit comme ça. Mais je crois qu’on prend la voiture pour une divinité. Nous sommes sidérés par nos technologies. C’est pas rationnel. Ce n’est pas plus rationnel que sacrifier des enfants en haut d’une pyramide tous les ans pour faire plaisir aux dieux ou calmer leur fureur. C’est infiniment plus meurtrier, c’est moins assumé, mais ce n’est pas plus rationnel. »
« Elle m’a draguée, tranquille, direct. Elle a le sens de la formule, elle me fait de jolis compliments. Je laisse faire. Depuis des semaines, elle me signale qu’elle est en couple « ouvert ». Ouvert à toutes les conneries, j’ai pensé. »
Virginie Despentes