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Billet de blog 9 janvier 2016

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On peut craindre le pire

De jour en jour, à Calais, Grande Synthe, Lille, Paris, et ailleurs, la situation s’aggrave dangereusement. Elle menace les réfugiés, les mineurs isolés et les associations.

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Pratiquement toutes les nuits à Calais, sous les yeux et avec la complicité agissante de groupes d’extrême-droite, qui tiennent des propos particulièrement violents et obscènes à l’encontre des réfugiés, les forces de police déversent des quantités de grenades lacrymogènes. Ce fut de nouveau le cas dans la nuit du 7 janvier. Le scénario est pratiquement identique à chaque fois. Jusque tard dans la nuit, postés à l'entrée principale de « la jungle » - appelée aujourd’hui le forum par les réfugiés -, les CRS empêchent les gens d’en sortir. Puis ils se déplacent pour provoquer une réponse violente de ses habitants. Ils empruntent le chemin situé à l'entrée et tirent des grenades lacrymogènes, créant un écran de fumées toxiques qui masque leurs mouvements. Sans aucun avertissement, ils tirent de nouveau (lacrymogènes et balles en caoutchouc) en visant directement et indistinctement ceux qui se sont rassemblés pour les observer et ceux qui dorment, sur l’étendue de la jungle qui se remplit d’épais nuages ​​de gaz lacrymogènes nocifs.

Lors d’une rencontre avec la presse, le 4 janvier 2016, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio a clairement laissé entendre que les jours de la « jungle » étaient comptés. Elle a confirmé l’ouverture progressive à partir du 11 janvier du camp humanitaire de 1500 places, installé par l’Etat. Elle a déclaré : « Idéalement, et le chemin est encore long, notre objectif est que Calais ne dépasse pas 2 000 places »… « La lande de Calais n’est ni un lieu d’hébergement ni un projet de vie. Notre objectif est que plus aucun migrant ne dorme dehors sur la lande. »  Par ailleurs, alors que chacun sait que les associations bénévoles à Calais tentent notamment d’assurer chaque jour la distribution de repas chauds, face à l’indigence du Centre Jules Ferry qui distribue 2 000 repas une fois par jour pour une population de 4 500 à 6 000 personnes, la préfète n’a pas hésité à dire : « Nous distribuons déjà des repas élaborés par des nutritionnistes. C’est une bêtise, elles doivent arrêter cela. » Et de poursuivre : « Il faut stopper cela, voire démonter. On doit le respect aux migrants, qui pour 95 % sont de pauvres gens qui cherchent un avenir meilleur. Ils ne doivent pas servir de fonds de commerce aux associatifs ».

Quatre jours plus tard, la préfète rencontrait ces mêmes associations, auxquelles elle expliquait la « nécessité » de réduire de 100 mètres la taille de la lande. Christian Salomé de l’Auberge des migrants s’inquiète de cette mesure : « 100 mètres, c’est la distance qui permet aux CRS de lancer des bombes lacrymogènes sans risquer de recevoir des cailloux ». Il craint que le déplacement des 500 migrants vivant sur cette distance de 100 mètres ne soit pas évident. « Je pense déjà qu’ils sont plus nombreux que 500. Et il y aura aussi des commerces à déplacer. Ceux qui les tiennent refuseront de bouger. Pour les autres migrants, même s’ils acceptent d’aller dans le camp pour dormir la nuit, en journée ils auront besoin d’un abri. » Cette mesure en tous cas répond à la demande réitérée de la maire de Calais, qui souhaite la réduction du camp. Pour Christian Salomé : « C’est la première étape du démantèlement. »

Pendant ce temps, la compagnie de gendarmerie de Calais recevait trois « véhicules blindés à roues de la Gendarmerie » (VBRG). Ces blindés seraient destinés à assurer une meilleure « protection des forces de sécurité ». Ils sont également en mesure de projeter des bombes lacrymogènes pour faire reculer les groupes d’assaillants… Aujourd’hui, réfugiés et associations, sont tous coupables. Tous soupçonnés et menacés. Le « délit de solidarité » devient une affaire courante.

Début janvier, les responsables de l'association de soutien aux immigrés (Gisti), du Syndicat de la magistrature (SM) et de la Ligue des droits de l'Homme (LDH) ont été renvoyés en procès par le parquet de Paris pour avoir critiqué une décision de justice visant un mineur étranger. En mars 2015, un jeune Malien, dont la minorité avait été attestée par le bureau de la fraude documentaire, s’est vu refuser, par un arrêt de la cour d’appel de Paris, une mesure d’assistance éducative. Les trois organisations concernées avaient dénoncé dans un communiqué commun « le raisonnement (…) doublement fallacieux » des magistrats : «  Pour rendre cette invraisemblable décision, la cour n’a pas seulement renié toute humanité, elle a dû aussi tordre le droit »… Les organisations ont été renvoyées en procès pour avoir « cherché à jeter le discrédit sur une décision juridictionnelle dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de justice ou à son indépendance » - un délit puni de six mois de prison et 7 500 € d’amende…

Paris, Place de la République, le 7 janvier, les réfugiés appellent à un rassemblement le lendemain pour que le gouvernement respecte leurs droits. « Nous sommes des réfugiés, toujours à la rue Place de la République. Nous avons besoin de sacs de couchages, de bâches et de tentes car il y a du vent et beaucoup de pluie. Nous avons besoin d’habits chauds et de chaussures. Depuis deux semaines nous sommes à République mais le gouvernement nous ignore et ne fait rien pour garantir nos droits. Nous resterons là jusqu’à ce que notre message soit entendu et que le gouvernement s’acquitte de son devoir de nous fournir des hébergements, une éducation et des papiers. » Dès le lendemain à 6 h 45, la Mairie de Paris et les forces de police évacuent le campement de la place de la république. Une centaine de réfugié-e-s sont poussé-e-s violemment dans les bus affrétés par la Mairie de Paris qui vont dans des centres en Ile-de-France sauf un qui s'en va vers l'Allier...

A Grande Synthe, le cauchemar continue et tout semble fait pour ne pas répondre à la demande du maire et de MSF d’installer un campement humanitaire aux conditions de vie décentes. Au large de la Turquie, les naufrages se poursuivent et les noyés s’échouent sur les plages grecques. En Hongrie, la police et l’armée sont autorisées à ouvrir le feu sur les migrants…

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