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La crise économique qui frappe durement le Tchad a une cause principale bien connue : l’effondrement des cours du pétrole. Les prévisions de croissance économique et le budget de l’Etat ont été brutalement affectés par la baisse drastique des revenus pétroliers. Mais la chute des cours ne suffit pas à expliquer à elle seule le manque à gagner pour l’État tchadien.
Dès le démarrage des premiers puits, le gouvernement d’Idriss Déby a souhaité renforcer le contrôle de l’État sur l’extraction des ressources pétrolières. Au lieu de verser des royalties en devises, les entreprises exploitant le pétrole tchadien devaient reverser à l’Etat une partie de la production. La Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) était alors chargée de commercialiser ce pétrole. Cette évolution permettait à l'État d'amorcer le développement de tout un secteur d'activité, grâce notamment à la raffinerie ultra-moderne de Djermaya ouverte en 2011. La société de négoce suisse Glencore a été sollicitée par l’État en 2012 pour commercialiser le pétrole tchadien, devenant ainsi l’intermédiaire entre la SHT et le marché mondial. À volume égal, ce système permettait à l’État d’augmenter ses revenus.
Pour renforcer le secteur pétrolier tchadien, le gouvernement a racheté les participations de Chevron dans le consortium qui exploite le gisement de Doba et gère l'oléoduc Tchad-Cameroun. Le Tchad prenait ainsi le contrôle de 25% de la production du bassin de Doba et de 21% de l’exploitation de l’oléoduc qui achemine ce pétrole vers l’Atlantique. Glencore s’est proposé de financer ce rachat selon un schéma simple : les 1,25 milliards de dollars avancés par la société suisse correspondrait à un à-valoir sur les ventes futures. Se fiant aux projections du moment, le Tchad jugea l’opportunité excellente, et l’accord fut conclu le 13 juin 2014.
Mais dès le mois d’août 2014, les cours ont amorcé un décrochage brutal qui ne s’est arrêté que début 2015, quand le baril s’est stabilisé entre 35 et 40 dollars. Le tarif du brut était alors très inférieur au cours qui était le sien quelques mois plus tôt, quand le baril atteignait les 110 dollars. La hausse de la production n’a pas permis de compenser la baisse de 65% de la valeur du pétrole tchadien. Mécaniquement, la part du revenu d’exploitation du pétrole consacrée au remboursement de Glencore a explosé. De fait, l'État ne touche virtuellement aucun dividende de l’exploitation de Doba, alors qu'il possède 25% du consortium d'exploitation en propre. La quasi-totalité est absorbée par Glencore.
Cet état de fait est problématique. Glencore se rembourse sur du pétrole dont elle assure elle-même la commercialisation. On peut s’interroger sur l’intérêt de la société suisse à vendre ce pétrole au meilleur prix, puisque la dette du Tchad correspond à un montant en devises, pas en volume. Plus préoccupant : le rachat des parts de Chevron financé par Glencore est intervenu en juin 2014, et les cours ont commencé à plonger seulement six semaines après. Glencore, en tant qu’acteur majeur du négoce, n’avait-elle rien vu venir de cette baisse ? La question n’est pas illégitime. C’est celle que pose aujourd’hui Idriss Déby. Le président s’est interrogé publiquement en fin de semaine dernière sur l’éventualité d’un délit d’initié. À sa demande, une enquête a été ouverte. Si Glencore a effectivement dupé le Tchad, les conséquences pourraient être douloureuses pour la multinationale.