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Billet de blog 30 décembre 2019

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«On vit plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps»

C'est avec cette maxime que le gouvernement nous vend la réforme des retraites. Et c'est vrai, si on ne se penche pas plus en avant, que la démonstration paraît impossible à contredire. Il y a pourtant quelques questions qu'il serait de bon ton de se poser ; d'abord vivons-nous vraiment plus longtemps ? Et si oui, pourquoi ? Et qui est ce « on » qui vit plus longtemps ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

D'abord, il est important de souligner que le calcul de l'espérance de vie correspond à une projection de la population à la naissance, année par année. Par exemple, les hommes nés en 2017 ont une espérance de vie de 79,5 ans. Comme l'explique l'INSEE sur son site : « L’espérance de vie calculée pour une année représente la durée de vie moyenne d’un groupe de personnes qui seraient soumises, âge après âge, aux conditions de mortalité de l’année. »1 Ainsi l'espérance de vie des hommes nés en 1946 n'était que de 40 ans. Pourtant les hommes nés cette année là ne sont pas tous morts en 1986… La méthode de calcul de l'INSEE s'appuyant sur les données des années précédentes, les années de guerre font irrémédiablement chuter les statistiques.

Ainsi, si l'espérance de vie a bien augmenté depuis le début du XXième siècle cela s'explique par quelques évolutions :

- d'ordre sanitaires ; médecine, vaccination, médicaments, conservation des aliments...

- des normes ; sécurités dans les entreprises, les transports, les bâtiments...

- sociales ; améliorations des conditions de travail, réduction du temps de travail (journalier et de carrière), création de la sécurité sociale.

D'un point du vue sanitaire, la réduction drastique de la mortalité infantile est une des raisons de l'allongement de l'espérance de vie. En réduisant le nombre de décès des nourrissons on fait automatiquement grimper les statistiques vers le haut, autrement dit, moins d'enfants meurent plus on vit vieux. On peut donc estimer que si l'on vit plus vieux, il serait erroné de croire qu'il n'y aurait que des personnes âgées dans notre société, nous sommes plus nombreux à vivre après 6 mois, après 3 ans, après 10 ans. Si il y a plus de « vieux », il y a aussi plus de trentenaires, plus de quarantenaires, plus de cinquantenaires etc.

A ce stade, il est indispensable de souligner qu'avec une vision purement libérale de la société comme l'a notre gouvernement un retraité est un poids. Le capital, s'il veut continuer sa marche en avant, s'il veut continuer de produire plus, ne peut se permettre de conserver dans ses rangs des oisifs, des repentis, des traînes-savates… N'oublions pas qu'un retraité ne produit rien, il est donc le diable. Et autant être le diable le plus tard possible.

Parce que si l'espérance de vie est plus longue pour tout le monde (le fameux « on ») c'est aussi parce que les classes populaires ont vu leurs conditions de vie s'améliorer, les différents combats menés durant tout le XXième siècle ont permis l'émergence d'une régulation, d'un encadrement du travail. Les métiers durs sont reconnus comme tels, ils sont d'ailleurs (pour certains) moins durs que par le passé. Les conditions de travail sont meilleures, moins usantes, les cadences ont diminué, les pensions de retraites permettent de se soigner même après avoir arrêté de travailler… toutes ces avancées sont des acquis, des « prises », arrachées à ceux qui tiennent les moyens de productions.

Avec la réforme des retraites qui voit l'allongement de la durée du travail, ce n'est pas seulement un retour en arrière immense (on vit plus longtemps parce qu'on travaille moins vieux, donc on (ré)augmente la durée du travail…) c'est surtout, et ce n'est que trop rarement souligné, un combat de la bourgeoisie contre les classes populaires. Les acquis sociaux soulignés plus haut, sont autant de moyens de rééquilibrer en faveur des plus faibles un système qui récompense toujours les plus riches, pour s'en assurer deux point; Premièrement, en accédant relativement tôt à la retraite, dans des conditions décentes (ce qui n'est pas toujours le cas) le travailleur n'a plus à trimer pour vivre. Il est libéré des contingences du travail. Le fait de ne pas partir trop tard lui permet de profiter d'une seconde vie, délesté des cadences, du rendement, du résultat. En ayant cotisé toute sa vie, il s'offre le droit de souffler. Deuxième point, un cadre vit en moyenne 6 ans de plus qu'un ouvrier, l'espérance de vie si souvent scandée par le gouvernement n'est donc pas universelle (tiens, tiens!). On peut donc s'étonner de la notion de justice. Prenons un cas pratique, deux travailleurs : l'un est ouvrier, l'autre est cadre, ils cotisent tout les deux pendant 44 ans, au moment du départ à la retraite on sait que l'un a toutes les chances de vivre 6 ans de plus que l'autre… De voir avec quel acharnement le gouvernement tente de présenter cette réforme comme étant juste et universelle a donc de quoi rendre fou.

Pour finir, on pourrait partir de ce postulat : l'espérance de vie des Hommes n'a pas changé depuis son apparition, c'est seulement que de plus en plus d'Hommes atteignent cette limite. Si certains n'atteignent pas ces âges c'est « seulement » dû à des accidents de la vie (maladie, accidents, condition de vie, travail pénible, non accès aux soins...) et les accidents de la vie touchent plus facilement les personnes en situation de précarité, de petits revenus, de faible patrimoine. On peut d'ailleurs le vérifier facilement en regardant les statistiques de l'INSEE sur l'espérance de vie en bonne santé.2 Celle-ci est aujourd'hui plus faible (63 ans pour les hommes) que l'âge de départ à la retraite (64 ans) prévue par le gouvernement. En regardant dans le rétroviseur on peut s'apercevoir que bon nombre de personnes ont atteint des âges canoniques, Hyppocrate, Grégoire IX, Michel Ange… des personnes qui, si elles n'ont pas exercées des métiers parmi les plus durs de leur temps ont surtout eut accès à des ressources et à des soins que les classes inférieurs n'avaient pas.

Ainsi, on ne vit pas forcément plus longtemps mais on est plus nombreux à vivre vieux, ce qui n'est pas exactement la même chose.

1Site de l'INSEE: https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/

2https://www.insee.fr/fr/statistiques/3281641?sommaire=3281778#tableau-figure1

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