Dans la lignée du printemps Arabe et de son formidable élan vers la démocratie, après les mouvements plus ou moins aboutis des indignés en Espagne, en France et même en Angleterre, après les révoltes moins connues et médiatisées du Chili, on peut à juste titre s'interroger sur la nature de la vaste contestation « Occupy wall street».
Alors que ces événements, du cœur de New York se répandent un peu partout aux États-unis, il est surprenant de constater les divergences d'opinion sur ce mouvement. Comme chaque mobilisation sociale d'ampleur, il permet notamment à un certains nombre d'idéologues d'établir des comparaisons caricaturales et vides de sens. La conséquence? Nourrir un imaginaire toujours plus affabulateur sur les mouvements de contestation. (voir par exemple le titre de l'article d'Atlantico du premier novembre qui comparait le mouvement à un miroir du Tea Party, comparaison reprise par Joe Biden vice président d'Obama). Entre scepticisme des uns et malhonnêteté des autres on voit déjà poindre à l'horizon les raccourcis simplistes qui assimileront bientôt ces activistes à des groupes« extrémistes », ou terroristes », puisque le terme est devenu banal. Cette forme de stigmatisation, si elle persiste, risque de justifier une répression toujours plus légitime dans la bouche du pouvoir et/ou des médias de masse (les arrestations et la répression en témoigne déjà). Mais, au delà des discours approximatifs, il y a les faits, les revendications, et les modes d'organisations concrets qui permettent de mieux cerner ce mouvement.
Si vous avez raté le début!
Le mouvement est né le 17 septembre dernier après un large appel à une manifestation pacifique.
Date doublement importante puisqu'elle constitue à la fois la date anniversaire de l'adoption de la Constitution américaine en 1787, mais également la journée mondiale des indignés.
Comme l'explique un article des Inrock du 16 septembre, à l'origine, l'idée a été lancée presque comme une blague au cœur de l'été par l'organisation antipub et anticapitaliste de Toronto nommée Adbusters. L'idée : la prise démocratique et populaire de la première place financière du monde, « façon place Tahrir du Caire ». Le mouvement a dès lors rassemblé d'autres collectifs: US day of rage, Occupy Wall street, We are the 99per cent et la NYC general assembly. (Le mouvement des « anonymous » semble également avoir appelé ses membres a participer de façon individuelle)
Depuis, la mobilisation s'étend dans d'autres villes des États-Unis et pourrait bientôt débarquer au Canada comme on peut l'observer sur le site http://occupytogether.org qui sert de plate-forme de communication et d'organisation à l'ensemble du mouvement à travers le pays. Alors que 5 syndicats New-yorkais ont apporté leur soutien au mouvement (ainsi que de nombreuses personnalités du parti démocrate et même certaines (plus rares) du parti Républicain, il devient difficile de discerner les soutiens sincères des velléités opportunistes.
Un mouvement populaire, ouvert et rassembleur:
Avant toute chose, il n'est pas souhaitable de ramener ce mouvement populaire à une idéologie en particulier. D'abord parce que cela dessert sa compréhension, ensuite parce que c'est quasiment impossible. C'est justement la non affiliation d'« Occupy wall street » à une idéologie unique qui semble garantir actuellement le caractère pluraliste et démocratique de cette mobilisation ainsi que ses chances de succès. Bien évidemment la plupart des points de contestation et les modes d'action incitent à la ramener dans le sillage des mouvements « anti-capitalistes et « anti mondialistes ». En témoigne, outre les actions, l'ensemble des mots d'ordre et des slogans observables sur les nombreuses vidéos et photos existantes. Voir par exemple:
Photos:
http://www.slate.fr/grand-format/-indignes-wall-street-44899
http://davidscameracraft.blogspot.com/2011/10/700-arrested-during-occupy-wall-street.html
Vidéos:
http://youtu.be/Z2YiTiRb_dc (vidéos dans plusieurs villes des Etats-Unis)
http://www.livestream.com/globalrevolution (chat et vidéos « officielles » du mouvements.)
http://youtu.be/zx19waGfSiM (aperçu du campement et de l'Etat d'esprit)
On trouve également dans ce mouvement qui se revendique de la désobéissance civile et de la non violence un comportement qu'on peut comparer à ceux des révolutionnaires Tunisiens qui ont finalement eu raison de leurs gouvernements tyranniques sans revendiquer la violence. On retrouve en effet les deux facteurs que sont la mobilisation de masse et le caractère pacifiste (malgré la répression) qui ont permis à ce peuple de se faire entendre en ne laissant que peu de prises aux mensonges et à la calomnie des médias au service du pouvoir chancelant.
Outre le rapport à l'idéologie, l'autre spécificité de ce mouvement semble être son auto-détermination, son caractère populaire et ouvert à un large pan de la société. En effet, même s'il a été impulsé à la base par les collectifs cités plus haut, rien ne semble indiquer à l'heure actuelle le leadership de la mobilisation par une quelconque organisation politique (qui serait basée sur un programme politique et institutionnalisé ). L'appel lancé sur le site officiel (http://occupywallstreet.org) est d'ailleurs particulièrement rassembleur et résume bien l'ouverture d'esprit qui anime ces militants ainsi que leur détermination:
« We are unions, students, teachers, veterans, first responders, families, the unemployed and underemployed. We are all races, sexes and creeds. We are the majority. We are the 99 percent. And we will no longer be silent. »
Quelles revendications politiques principales?
« We spoke out, resisted, and successfully occupied Wall Street. Today, we proudly remain engaged in non-violent civil disobedience while building solidarity based on mutual respect, acceptance, and love. » (voir le PDF Occupy guide sur http://occupywallstreet.org)
[« On s'exprime, on résiste et on occupe Wall Street successivement. Aujourd'hui, nous sommes fièrement engagés dans une désobéissance civile et non violente pendant que se construit une solidarité basée sur le respect mutuel, l'acceptation et l'amour »]
Comme on a pu le constater, ce sont d'abord les revendications économiques qui ont été médiatisé: la volonté d'en finir avec le règne de la finance, d'un monde de l'hyper-consommation qui prend le pas sur les besoins élémentaires des individus (santé,éducation, droit à un logement, etc.) et qui s'endettent pour vivre même s'ils cumulent plusieurs emplois. Il y a donc une critique radicale et massive de la précarité vécue par ces Américains dictée par un système économique et politique qu'ils déclarent être le problème. C'est ce qu'explique la présentation du collectif « we are the 99 per cent ( à lire sur http://wearethe99percent.tumblr.com/Introduction) « We are the 99 percent. We are getting kicked out of our homes. We are forced to choose between groceries and rent. We are denied quality medical care. We are suffering from environmental pollution. We are working long hours for little pay and no rights, if we're working at all. We are getting nothing while the other 1 percent is getting everything. We are the 99 percent. »
A voir ici:
http://youtu.be/5jKhT9r1seM (revendications de participants)
De fait, si la revendication majeure du mouvement est une vaste restauration de la démocratie et la fin du règne de la finance, elle semble être également et de manière plus large, une vaste réflexion sur le pouvoir du peuple et un autre type de société. C'est dans ce sens que vont les paroles de Nadeem Mazen d'occupy Boston qui confiait à dailykos à ce sujet le 1er octobre:
"We're talking about government reform. We’re talking about finance reform And we’re opening up a national dialogue as part of a really big issue that’s on so many people’s minds »
Si les avis à ce sujet sont très variable, le point de convergence entre les différents participants semble être une rupture avec le système politique et représentatif traditionnel. La plupart des mots d'ordre critiquent le pouvoir des élites à décider pour chaque citoyen de manière verticale, ne les laissant s'exprimer qu'à chaque échéance électorale. Cet extrait du site officiel du mouvement en témoigne: ( http://occupywallst.org/)
"The leaders of this movement are the everyday people participating in the occupation. We use a tool called the "General Assembly" to facilitate open, participatory and horizontal organizing between members of the public. We welcome people from all colors, genders and beliefs to participate in our daily assemblies".
[Les leaders de ce mouvement participant à l'occupation sont des individus de tous les jours. Nous utilisons un outil appelé « Assemblée Générale » dans le but de faciliter une organisation ouverte, participative et horizontale entre les membres de la société. Nous invitons les individus de toute couleurs de peau, genres et croyances à participer à nos assemblées quotidiennes.]
C'est là un point particulièrement intéressant: loin de ne s'adonner qu'à des revendications exclusivement théoriques, les indignés New-Yorkais produisent des messages politiques qu'ils se donnent les moyens de mettre en œuvre par le biais de la participation du plus grand nombre (ce qui, au passage les porte à mille lieux du Tea party). Le mouvement a ainsi mis en place de nombreuses manières de vivre et de pratiquer sa vision de la démocratie. C'est notamment le cas par le biais d'une organisation auto-gestionnaire qui se concrétise dans la tenue d'assemblées populaires à la manière de celles dont parlait déjà Tocqueville dans son livre « De la démocratie en Amérique ».
Quel système de prise de décision et quelle(s) expérimentation démocratique(s)?
C'est dans un contexte où l'on fait croire au peuple que seuls les experts peuvent gouverner et qu'ils savent ce qui est bon pour lui que s'expérimente ce vaste mouvement d'alternative démocratique.
Si ces volontés s'expriment de plusieurs manières, l'assemblée générale en est le symbole le plus fort. Comme l'explique le « guide de l'assemblée générale », cette dernière a vocation à ce que l'ensemble des participants s'expriment sur le mouvement, de façon horizontale et démocratique. Les décisions sont donc validées lorsque tout le monde est d'accord ou qu'un consensus est possible. La voix de chacun a le même poids et aucun leader ou corps dirigeant n'est en théorie maitre de l'assemblée. Si l'assemblée ne parvient pas à prendre les décisions de cette façon, le groupe ou l'individu responsable du refus est chargé de réviser la proposition jusqu'à ce qu'une une majorité ou un consensus soit acté.
En dehors de cette assemblée générale, l'organisation s'articule autour de « commissions thématiques de travail » ou petits groupes qui réfléchissent à la vie pratique du mouvements tant dans ses aspects concrets que dans la production de pensée ( commission nourriture, soins médicaux, Art et culture, action directe...voir la liste complète des commissions sur nycga.cc/groups/). Les décisions de ces commissions qui sont ouvertes à tous sont d'ailleurs visibles sur le site officiel du mouvement. Autre point original: la possibilité d'une proportion large et variée d'individus à participer à ces réflexions par le biais du net.
Le mouvements a ainsi son facebook, son twitter, ses « tchats », ses espaces de discussions et d'échanges d'informations sur plusieurs sites (voir par exemple http://globalrevolution). Ce phénomène a un impact particulièrement important qui participe à la coordination, au sérieux et à la réussite actuelle de cette mobilisation qui prouve un peu plus chaque jour la faculté des gens ordinaires à réinventer leur démocratie.
Enfin, une des clés de la réussite du mouvement à l'heure actuelle réside peut-être également dans la créativité dont il fait part en expérimentant dans sa diversité (libertaires, conservateurs, écolo, hippies, bobos …) un rapport encourageant à l'avenir. Un petit tour sur les réflexions dans le domaine de l'art, de la culture mais également dans les domaines politiques et économique en atteste. (voir les comptes rendus sur le site occupywallstreet.org) Ainsi, loin d'être confiné à une logique de destruction du vieux monde, il ouvre le champ des possibles et les diversités envisageables du présent.
Limites:
Il est évident qu'à l'heure actuelle le succès de cette mobilisation est à saluer tout en prenant garde à ne pas tomber dans le fétichisme. Les risques d'échec sont en effet nombreux et variés. Le premier d'entre eux qui est également le plus probable est qu'à cause de son caractère large le mouvement aboutisse à un réformisme mou qui passerait à coté des enjeux prometteurs qu'il suscite. Par ailleurs ce caractère populaire et ouvert excite les tentatives de récupération de tout bord. Les tentatives de comparaisons calomnieuses et la minimisation sont aussi de la partie. Les main stream médias Américains ont d'ailleurs été vivement critiqués par une partie de la gauche qui leur a reproché d'avoir d'avantage médiatisé les rassemblements du Tea party que ceux des d'occupy wall street. Cependant et malgré ces possibilités, l'ensemble de ces réactions prouve l'impact de la mobilisation et la peur qu'elle propage chez les élites dirigeantes. L'extrême vitalité de ce mouvement nous invite à ne pas nous laisser aveugler ou berner par l'imaginaire véhiculé si souvent autour de mouvements de contestation. Dans cette période de crise de la démocratie représentative, « Occupy wall street » est une expérimentation pleine d'espoir qu'il faut encourager, et ce, même à défaut d'y croire.