Une situation alarmante
Ce serait extrêmement savoureux si cela n'était pas aussi grave. Les responsables politiques de la majorité, les éditorialistes des médias dominants ont passé les cinq dernières années à pointer la complicité supposée de la Gauche - et surtout de la France Insoumise - vis-à-vis du RN. En effet, parce qu'ils ne votaient pas les réformes néolibérales, parce qu'ils avaient une posture critique de l'Union Européenne, parce qu'ils mettaient plutôt les thèmes du pouvoir d'achat et du partage des richesses que la Sécurité ou l'Islam, les Gauches dites radicales auraient porté le même agenda que le parti nationaliste et non celui du "progressisme" présidentiel.
Cela a été suffisamment rabâché pour donner la nausée aux électeurs de Gauche. C'est encore le cas aujourd'hui quand la majorité relègue LFI à l'extérieur de la République, au même endroit qu'un certain parti xénophobe. Combien d'éditoriaux, d'interviews ont vu les membres de cette gauche être attaqués, rabaissés par des arguments et des procédés fallacieux ? Dans le même temps, les médias dominants lançaient tant de lauriers à Marine Le Pen, la normalisant, la dédiabolisant. "Elle est hyper dédiabolisée" relatait l'éditorialiste Nathalie Saint-Cricq après une émission de France 2, trouvant que la cheffe du RN avait beaucoup "travaillé" depuis son échec lors du débat. Avec une continuité farouche, le ministre de l'Intérieur raillait Marine Le Pen sur le service public pour sa mollesse quant à l'islamisme et l'immigration se plaçant ainsi plus intraitable que l'Extrême droite.
Le jeu dangereux des macronistes
L'instauration d'un clivage RN - LREM (devenu Renaissance) a battu son plein dans les médias suite à 2017. Après une courte période où Jean-Luc Mélenchon faisait figure de premier opposant, sondages, sujets, perquisitions ont replacé Le Pen en recours si bien qu'elle n'avait le plus souvent aucun besoin de dire quoi que ce soit. Macron lui-même instaurait le clivage entre Nationalistes et progressistes pour les Élections Européennes. Cela permettait aisément d'exclure de la boucle les partis de Gauche et d'invisibiliser leurs revendications sociales et écologiques. Plutôt que de se poser en réel rempart de l'Extrême Droite et donc en menant une politique opposée à ses ressentiments nauséabonds, le parti présidentiel a recyclé ses thématiques en allant plus loin. "Sécurité", "Islamo-gauchisme", "séparatistes", les mots ont été si nombreux pour qualifier ce glissement honteux d'un macronisme supposé progressiste et sociétal. Ce clivage servant à gober Les Républicains et à repousser le RN encore plus à droite n'a pas fonctionné. Pire, le RN est devenu pour beaucoup un parti comme les autres.
Le point d'orgue de tout cela auront été les campagnes électorales récentes. Macron - refusant de mener campagne sur un programme - a relancé ce duel mortifère pour assurer sa réélection, on pourrait l'appeler : "moi ou l'extrême droite". Entre les deux tours et devant la volonté de nombreux électeurs de gauche de ne plus faire de barrage, le Président lança des appels du pieds aussi peu crédibles qu'insultants envers les électeurs de Gauche. Ceux-là furent ensuite repoussés quelques semaines plus tard dans le camp de l'antirépublicanisme avec le Rassemblement National dans une contorsion aussi ridicule que contradictoire. Cela a conduit à un succès inattendu du parti frontiste aux législatives avec des candidats de la majorité incapables de choisir entre la Gauche et les héritiers du fascisme français, renvoyés dos-à-dos.
Pour donner le coup de grâce, la majorité (relative) présidentielle s'est entendue avec le RN et lui a donné deux vices-présidents à l'Assemblée Nationale. Rien ne l'y obligeait. Rien n'obligeaient les députés de droite et de la majorité à voter pour l'Extrême droite - 201 voix séparent le résultat du vote du nombre de députés du RN.
Voilà l'héritage de Macron. La remontée de l'extrême droite, lui qui fixait pourtant l'objectif inverse en 2017. Les électeurs les plus attentifs n'auront pas été surpris de cette montée parfois relatée tout au long du quinquennat. En reprenant ses thèmes, en poursuivant la casse du modèle social français, en montant toujours plus les français les uns contre les autres (séparatistes contre républicains, laïcs contre complices de l'islamisme, progressistes contre nationalistes, riches contre pauvres), Emmanuel Macron a ouvert la voie à une arrivée au pouvoir de l'Extrême droite. Qui à gauche fera encore barrage alors que la majorité préfère le RN à LFI (les débats autour de la commission des finances l'ont montré) ? Qui a encore envie de participer au Suffrage truqué par des médias complices qui mettent en exergue l'agenda de l'Extrême droite ? Qui a encore peur du RN ?
Oubli de l'histoire, négation du présent
Beaucoup pensaient l'arrivée d'un parti fasciste au pouvoir complètement impossible, or, on voit bien que cette montée peut se montrer progressive, lissée dans le temps. Le NSDAP n'est pas parvenu au pouvoir par un coup d'état. Ce parti nazi a profité d'une crise créée par le Capitalisme dérégulé, engendrant chômage et pauvreté. Il a surfé sur les ressentiments passés, les haines les plus faciles. Aucune leçon n'a été retenue de l'Histoire. Les néolibéraux (ou marchéistes) mènent depuis 40 ans la même politique idiote que durant les années 1920 (confère La Déconnomie de Jacques Généreux). Ceux-là n'ont toujours pas compris que la politique qu'ils estiment "courageuse" (elle est simplement débile) fait monter la colère, dégoûte de la politique et... accélère la montée de l'extrême droite (Ou alors ils s'en fichent cyniquement). Les électeurs reproduisent les erreurs du passé en se disant que ce n'est pas la même chose cette fois-ci.
Ce sinistre résultat devrait alerter et pousser les dominants à changer une politique qui fait monter l'extrême droite et ravage l'écosystème nécessaire à la survie de l'espèce humaine. Pourtant, loin de le prendre en compte, les macronistes jouent encore avec le feu, maintiennent un clivage Nous (= la République) / Eux (les Extrêmes). Cette vision populiste n'est absolument pas remise en cause par les médias dominants. Ceux-ci jouent encore plus avec le feu, ils reprennent les mots d'ordre du Front National (pardon, Rassemblement) en affirmant dès le lendemain des législatives que le RN est la "première force d'opposition" avec le premier "groupe d'opposition à l'Assemblée avec 89 députés".
Peut importe que la gauche unie conquiert 93 circonscriptions et le RN seulement 83. Peut importe que la NUPES ait presque deux fois plus de voix au second tour que le RN (6 555 984 contre 3 589 269). Peut importe que la NUPES compte officiellement 131 députés et le RN 89. Les médias - dans un bas compte d'apothicaire - séparent les force de gauche ce qui revient à nier leur programme commun, leur intergroupe, leurs votes bientôt quasiment identiques.
Qu'est-ce qui l'emporte ? Est-ce le dégoût ? La résignation ? La colère ?
Sûrement faut-il prendre un autre chemin. Celui ouvert par Jean-Luc Mélenchon au soir du premier tour de la présidentielle : "Faîtes mieux."
Misons sur une recomposition du bloc populaire. C'est ce que tente la NUPES avec des profils très variés. Entre un Ruffin proche des aspirations populaires qui pourrait aller chercher l'électorat RN, des députés écologistes, insoumis, socialistes et communistes qui iront chercher les électeurs des classes moyennes comme les enseignants. Des profils comme Sandrine Rousseau et Clémentine Autain qui sauront fédérer les féministes. Des profils comme Aurélie Trouvé qui permettent de rappeler qu'il n'existe pas qu'un chemin en économie mais plusieurs alternatives sérieuses.
Ce qui se joue est historique, l'Extrême droite arrivera-t-elle au pouvoir ? La responsabilité de la majorité et de la gauche sont énormes et ambivalentes : la macronie fait monter l'extrême droite, la gauche peut la combattre et l'enterrer.
Là, réside l'espoir.