Les énergies fossiles en question : En dépit des efforts en cours, l’augmentation de la température du globe dépasse les prévisions du GIEC pour l’année 2050, soit 3 degrés au lieu de 1,5 degrés, limite au-delà de laquelle le réchauffement, précédé par la constante progression de la part du CO2 dans l’atmosphère (de 185 PPM à 415 PPM en 40 ans), deviendra incontrôlable et probablement irréversible. Il est scientifiquement établi que les énergies fossiles exploitées sont directement responsables de l’élévation du taux de CO2 et il est clairement établi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre doit être considérablement accrue.
L’abandon des combustibles fossiles est une étape incontournable pour parvenir à cet objectif.
Pourtant l’urgence du recours impératif aux énergies non fossiles fait débat.
A la COP 28 de Dubaï, au motif que la part des énergies non carbonées dans le mixte énergétique mondial (7%) restera longtemps minoritaire au regard de celle des énergies carbonées (80 %), son Président Sultan Al Jaber a pu se saisir opportunément de ce constat pour fixer les règles du jeu énergétique mondial :
« Nous ne pouvons pas débrancher le système énergétique d’aujourd’hui avant de construire le système de demain. Ce n’est tout simplement ni pratique, ni possible. »
Ces déclarations, qui alimentent de dangereuses tentations de travestir des vérités scientifiques, encouragent l’immobilisme et protègent un marché de l’énergie abandonné à une minorité d’entreprises transnationales. Nous découvrons aujourd’hui, alors que progresse le réchauffement partout dans le monde, que les dénis climatiques et écologiques progressent également et deviennent des fléaux additionnels qui nuisent à toute prise de conscience salutaire.
Ils sont devenus de ce fait les supplétifs d’un ordre établi, voire les vecteurs d’un « ordre nouveau » géopolitique, aussi mortifère l’un que l’autre.
Aussi convient-il d’opposer une rationalité absolue au déni climato-sceptique et aux dénégations de l’urgence :
- en considérant que les stratégies d’adaptation climatique qui se développent frénétiquement tous azimuts au détriment d’une lutte prioritaire contre les causes du réchauffement sont synonymes de renoncement ou d’impuissance,
- en dénonçant une pseudo transition sur fond de « green washing » dont le but est de maintenir le plus longtemps possible un statu quo, synonyme d’échappement.
- en déconstruisant le « système de demain » de monsieur Jaber fondé sur des dogmes économiques auto-qualifiés d’indépassables (libre marché, croissance, productivisme, innovations technologiques etc…) et sur des arguments plus économiques qu’écologiques, synonyme d’évitement.
Cela revient à dire que l’alternance énergétique restera impossible sans une conversion civilisationnelle salutaire en rapport avec un changement de modèle de développement à l’opposé :
- d’un progrès dogmatique fondé sur l’accumulation des richesses et la consommation effrénée des biens,
- d’une pensée économique matrice d’une croissance qui en génère les injustices et les inégalités dont témoignent les fractures sociales, territoriales, ethniques ou culturelles qui ouvrent la voie aux pulsions populistes et /ou totalitaires au détriment des démocraties,
- du pillage extractiviste, de la prédation, et de l’empoisonnement de la planète par un mode productiviste et consumériste aussi avide qu'aveuglé par ses propres conséquences ;
- et à l’opposé de toute uniformisation énergétique dont l’exclusivité technologique imposerait un unique mode de vie contraire au principe naturel de coévolution par la diversité et l’adaptation, sous un contrôle totalitaire de ses producteurs.
Au-delà d’une transition nécessaire, la Fondation appelle de ses vœux une « métamorphose radicale » de nos sociétés, concept emprunté à Edgar Morin qui porte à la fois la rupture et la continuité. La menace climatique mondiale peut être en effet assimilée à une pression évolutive qui incitera les humains à changer de mode de vie. Encore faut-il qu’ils en comprennent et en acceptent l’augure. Quoiqu’il en soit et dès aujourd’hui il leur faut choisir une transformation au moindre risque mais nécessairement contraignante.
A cet égard, la Fondation entend ériger la lutte contre l’effondrement du vivant par la proclamation de droits fondamentaux pour les espèces et les écosystèmes, - définis comme sujets de droit -, sur le même fondement, le même objectif et le même impératif que la défense des droits humains.
Elle inscrit ce débat dans une démarche de requalification de l’espèce humaine dans ses rapports à son environnement naturel afin de permettre la coexistence de nombreux mondes à la condition de les rendre possibles, d’en prendre soin et de leur permettre de s’épanouir.
Effet d’aubaine ?
La menace climatique doit avoir pour effet de permettre à notre espèce de faire émerger ce monde pluriel, juste et solidaire fondé sur d’autres modèles garants d’un destin commun universel.
Pour que cet « effet d’aubaine » cesse d’être une utopie, il est nécessaire d’affirmer nos convictions universalistes et humanistes, seules sauvegardes de notre espèce.
Il en va de même pour la promotion d’un indispensable codéveloppement en lieu et place d’un progrès économique mesuré par la seule production de richesses qui exclut toute notion de partage et d’équité entre les hommes, les pays et les continents.
A défaut, sonnera l’heure d’un post humanisme artificiel au service d’une minorité totalitaire oublieuse de ses origines.
France Libertés, Fondation Danielle Mitterrand a toujours veillé à la cohérence et la complémentarité de ses engagements militants en faveur :
- du respect des droits humains et de l’exercice des libertés fondamentales,
- de la reconnaissance des Communs, notamment l’eau,
- d’un indispensable codéveloppement des peuples autochtones, garants de la diversité humaine,
- d’une démarche de décolonisation des esprits quant à la supposée absence d’alternative au mode de pensée économique libéral dominant, de sa définition unilatérale du progrès et de sa conception uniformisante de la civilisation,
- et de l’affirmation des droits de la nature par la reconnaissance de la capacité juridique aux espèces et aux écosystèmes.
Face à la situation de crise historique qui menace la capacité de notre planète à supporter l’hyperactivité humaine, il est urgent de partager avec le plus grand nombre la pressante obligation de changer de modèle énergétique comme de modèle de production industrielle par l’abandon du recours aux énergies fossiles, et de modèle agricole par le refus du “réarmement” chimique.
Urgent de concevoir notre mode de vie en adéquation avec la nécessité d’une décarbonation de l’atmosphère et d’un retour à un équilibre thermique indispensable à la vie.
Urgent de partager avec les enfants, particulièrement exposés à un risque écologique majeur, cette prise de conscience et la connaissance des causes et raisons des transformations qui s’imposent.
Urgent d’élaborer à leur intention des programmes spécifiques de compréhension de l’évolution du climat, de protection des valeurs démocratiques et de coexistence des variétés animales et végétales.
Urgent, enfin, de lutter contre toute forme d’indifférence et contre tout excès de confiance en une improbable adaptation spontanée, collective et institutionnelle, de nos principes de vie aux conditions climatiques à venir.
Notre fondation entend contribuer à écarter ces obstacles et souhaite porter la parole de celles et ceux qui l’ont perdue par impuissance ou par repli sur des certitudes factices ; elle entend convaincre celles et ceux qui renoncent à échanger un doute confortable mais trompeur, contre une responsabilité douloureuse mais vitale.
Elle s’adresse à celles et ceux qui imaginent une humanité responsable juste et solidaire tant dans ses relations communautaires que dans ses rapports avec le vivant.
Gilbert Mitterrand
Président de la Fondation Danielle Mitterrand