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Victoire Ingabire Umuhoza est un leader de l’opposition dont les efforts pacifiques en faveur de la réconciliation, de la démocratie, du respect des droits de l'homme, de l'État de droit et du développement au Rwanda ont été reconnus au niveau international.
Le 19 juin 2025, elle a été arrêtée par les autorités rwandaises. Toutefois, cette arrestation était précédée de déclarations dangereuses, répétées du président rwandais Paul Kagame à l'encontre de Mme Ingabire, ce qui révèle l'influence de l'exécutif sur le système judiciaire du Rwanda. Parmi celles-ci, on peut citer la déclaration du président Kagame en 2020 selon laquelle Mme Ingabire serait remise à sa place, quel que soit le bruit que cela ferait. Par ailleurs, lors de la campagne présidentielle de 2024, à laquelle Mme Ingabire a été interdite de participer, le président Kagame l'a publiquement qualifiée de “petite femme de genocidaire”. À un autre moment, il a dit que Mme Ingabire finirait mal.
Dans ce contexte, la Cour a convoqué Mme Ingabire en juin 2025 pour qu'elle s'explique sur l'affaire concernant huit membres de son parti politique et un journaliste indépendant. Ces personnes avaient été arrêtées en octobre 2021 après avoir lu et discuté un livre, puis suivi une formation en ligne sur la résistance non violente. La justice rwandaise les a alors accusées de planifier le renversement du gouvernement rwandais, une accusation qu’elles nient fermement. Elles ont passé trois ans en détention sans procès, puis ont comparu pour la première fois devant un tribunal le 18 octobre 2024. Le groupe de travail de l'ONU contre la détention arbitraire a jugé leur détention et leur procès illégaux, exhortant les autorités rwandaises à les libérer.
Estimant ses explications insatisfaisantes, les juges ont ordonné au ministère public d’ inculper Mme Ingabire afin qu'elle puisse être poursuivie. Le jour même, le bureau d'enquête du Rwanda a procédé à une descente à son domicile et l'a placée en garde à vue pour l'interroger.
Une liste provisoire d'allégations à l'encontre de Mme Ingabire a été établie. Cependant, ces dernières ne sont pas nouvelles. En 2021, le procureur avait déjà interrogé Mme Ingabire au sujet de ces mêmes allégations. À l'issue de l'enquête, il avait conclu qu'il n'existait pas de preuves contre elle.
Après avoir examiné attentivement le cas de Mme Ingabire, son avocat rwandais a déposé un recours constitutionnel contre les récentes poursuites et la détention de son client auprès de la Cour suprême.
L'impartialité du système judiciaire dans l'affaire Mme Ingabire est en effet remise en question.
Selon Iain Edwards, avocat spécialisé dans les affaires pénales internationales et membre de l'équipe juridique de Mme Ingabire, son arrestation et ses poursuites judiciaires illustrent clairement que les opposants politiques qui osent critiquer le régime actuel au Rwanda le font au péril de leur liberté. De plus, on ne peut s'attendre à ce qu'un procès soit mené équitablement ou jugé par un tribunal impartial.
Déjà, l'avocat que Mme Ingabire avait choisi ne lui a pas été accordé. l'Ordre des avocats du Rwanda a rejeté la demande de l'avocate kényane Emily Osiemo, spécialiste du droit international des droits de l'homme, de représenter Mme Ingabire, invoquant des raisons de réciprocité. Toutefois, l'article 79 (8) du règlement intérieur du barreau du Rwanda stipule que les ressortissants de l'Afrique de l'Est sont exemptés de cette obligation.
Cette décision enfreint aussi le Protocole du Marché commun de l'Afrique de l'Est, affirme Me Osiemo. Ce protocole exige des États partenaires qu'ils autorisent la libre circulation des services, y compris les services juridiques. Me Osiemo a donc contesté cette décision en intentant une action contre le gouvernement rwandais devant la Cour de justice de l'Afrique de l'Est.
De plus, la demande de mise en liberté sous caution de Mme Ingabire a été également rejetée par les juges, y compris en appel sur la base de motifs sérieux de la soupçonner d'avoir commis les infractions qui lui sont reprochées. Toutefois, selon la défense, le refus de mise en liberté sous caution serait contraire à la loi, car il n'aurait pas tenu compte de la contestation constitutionnelle en cours concernant les poursuites et la détention de Mme Ingabire. Selon l’article 74 de la loi dèterminant la compétence des jurisdictions au Rwanda, lorsqu’une telle question est soulevée par les parties aux procès ou d’office par la juridiction inférieure au cours de l’audience, la juridiction inférieure sursoit à statuer sur le fond et demande d’abord à la Cour Suprême de se prononcer sur cette question. Les juges n'ont pas tenu compte de cette loi, soulignant que l'intention du système judiciaire rwandais n'est pas de rendre justice à Mme Ingabire, mais de la maintenir en détention.
Mme Ingabire est également soumise à une détresse mentale et émotionnelle.
D'après Kate Gibson, avocate spécialisée dans le droit pénal international et les droits de l'homme, qui fait également partie de l'équipe juridique de Mme Ingabire, l'un des aspects les plus troublants de cette nouvelle arrestation injustifiée est la décision des autorités rwandaises de la soumettre à des conditions de détention qui violent ses droits fondamentaux.
Depuis son arrestation, le 19 juin 2025, les autorités rwandaises ne lui ont pas permis de parler à sa famille. Pendant sa détention au bureau d'enquête rwandais, elle n'était pas autorisée à sortir régulièrement pour prendre l'air ou profiter du soleil. Elle ne sortait que pour se rendre au tribunal. De plus, le mépris de la loi de la part des juges, qui ne l'ont pas libérée sous caution, aggrave la situation. Elle a depuis été transférée à la prison de Mageragere, où elle est détenue à l'isolement dans des conditions ne respectant pas les règles Mandela de détention.
De graves violations des droits humains et un comportement anticonstitutionnel de la part du tribunal rwandais et de l'accusation sont observables dans le traitement de l'affaire Mme Ingabire. Il est donc peu probable, voire impossible, qu’elle puisse bénéficier d'un procès équitable. La communauté internationale doit donc fermement exhorter les autorités rwandaises à se conformer à leurs obligations nationales et internationales dans le traitement de cette affaire.